CHAMBRES DE RECOURS
Communication de la Grande Chambre de recours
Saisine de la Grande Chambre de recours par la Présidente de l'Office européen des brevets en date du 23 octobre 2008, en raison de décisions divergentes des chambres de recours1
Conformément à l'article 112(1)b) CBE, la Présidente de l'Office européen des brevets a soumis à la Grande Chambre de recours les questions de droit suivantes, en raison de leur importance fondamentale et afin d'assurer une application uniforme du droit :
1. Un programme d'ordinateur ne peut-il être exclu à titre de programme d'ordinateur en tant que tel que s'il est revendiqué de façon explicite en tant que programme d'ordinateur ?
2. a) Une revendication relevant du domaine des programmes d'ordinateur peut-elle échapper à l'exclusion prévue à l'article 52(2)c) et (3) CBE en mentionnant simplement de façon explicite l'utilisation d'un ordinateur ou d'un moyen d'enregistrement de données déchiffrables par ordinateur ?
2. b) S'il est répondu par la négative à la question 2 a), un effet technique supplémentaire est-il nécessaire pour échapper à l'exclusion, ledit effet allant au-delà des effets inhérents à l'utilisation d'un ordinateur ou d'un moyen d'enregistrement des données en vue, respectivement, d'exécuter ou d'enregistrer un programme d'ordinateur ?
3. a) Une caractéristique revendiquée doit-elle produire un effet technique sur une entité physique dans le monde réel pour contribuer au caractère technique de la revendication ?
3. b) S'il est répondu par l'affirmative à la question 3 a), suffit-il que cette entité physique soit un ordinateur non déterminé ?
3. c) S'il est répondu par la négative à la question 3 a), des caractéristiques peuvent-elles contribuer au caractère technique de la revendication si les seuls effets auxquels elles contribuent sont indépendants de tout matériel informatique particulier qui est susceptible d'être utilisé ?
4. a) L'activité consistant à programmer un ordinateur implique-t-elle nécessairement des considérations d'ordre technique ?
4. b) S'il est répondu par l'affirmative à la question 4 a), les caractéristiques résultant de la programmation contribuent-elles par conséquent toutes au caractère technique d'une revendication ?
4. c) S'il est répondu par la négative à la question 4 a), les caractéristiques résultant de la programmation ne peuvent-elles contribuer au caractère technique d'une revendication que si elles contribuent à un effet technique supplémentaire lors de l'exécution du programme ?
Sommaire
1. Résumé de la saisine
2. Définitions
3. Questions à soumettre
4. Cadre juridique
1. Résumé de la saisine
La complexité de la question relative à la brevetabilité des programmes d'ordinateur est apparue dès les années mil neuf cent soixante, lorsque les pères fondateurs de l'Office européen des brevets ont rédigé un nouveau droit européen des brevets. Les tentatives visant à changer ou à clarifier le droit dans ce domaine ont plus suscité la controverse qu'elles n'ont porté leurs fruits, bien que l'article 52 CBE ait été modifié en ce sens qu'il dispose désormais que les inventions "dans tous les domaines technologiques" sont brevetables, et explicite ainsi une exigence implicite.
Lorsque la CBE a été rédigée, il a été jugé préférable de ne pas donner de définition juridique précise de l'exclusion, et de confier à l'OEB et aux juridictions nationales le soin de traiter cette question. Cette flexibilité est importante compte tenu de l'évolution de la technique et de l'émergence de nouvelles technologies. Il n'en reste pas moins que, comme le déclarait un groupe de travail en 1972, "l'intérêt a été souligné de ne pas laisser une matière aussi importante que celle des programmes d'ordinateurs dans une incertitude prolongée, dans l'attente des développements de la jurisprudence"2. Or, des décisions divergentes des chambres de recours ont créé une insécurité, et il est nécessaire de répondre aux questions soulevées par ces décisions, afin de permettre l'évolution harmonieuse de la jurisprudence dans ce domaine.
D'aucuns craignent actuellement, à l'instar des juridictions nationales et du public, que l'étendue de l'exclusion ait été interprétée de manière trop restrictive dans certaines décisions des chambres de recours. Or, l'Office européen des brevets devrait à l'évidence frayer la voie à l'harmonisation de la pratique au sein des offices de brevets en Europe.
Les quatre questions ont été choisies de manière à couvrir quatre aspects différents de la brevetabilité dans le domaine considéré. La première porte sur l'importance que revêt la catégorie de la revendication. Les trois autres questions se rapportent aux limites à fixer entre les aspects exclus de la brevetabilité et les aspects contribuant au caractère technique de l'objet revendiqué. Ainsi, la deuxième question a trait à la revendication dans son ensemble, la troisième porte sur les caractéristiques individuelles d'une revendication, et la quatrième, qui est pertinente pour la définition des compétences de l'homme du métier (dans un domaine technique), concerne l'activité (à savoir la programmation) qui est à la base du produit final (c'est-à-dire le programme d'ordinateur).
La saisine de la Grande Chambre de recours devrait avoir pour effet de souligner plus clairement les limites de la brevetabilité dans ce domaine. Elle devrait ainsi faciliter l'application du droit par les examinateurs et favoriser, parmi les demandeurs et le grand public, une meilleure compréhension des dispositions régissant la brevetabilité des programmes d'ordinateurs selon la CBE.
2. Définitions
Un programme d'ordinateur est une série d'étapes (d'instructions) qui sont exécutées par l'ordinateur lorsque le programme est mis en œuvre.
Un ordinateur s'entend dans le sens où il inclut non seulement des dispositifs qui sont généralement considérés comme étant des ordinateurs, par exemple un ordinateur de bureau, mais aussi tout appareil programmable (comme un téléphone portable ou un processeur intégré).
Le terme de "programme d'ordinateur" (ou "programme") est synonyme du terme "logiciel".
Aux fins de la présente saisine, les méthodes mentionnées dans des exemples théoriques désignent des méthodes qui peuvent être entièrement mises en œuvre par ordinateur.
3. Questions à soumettre
3.1 Question 1
Un programme d'ordinateur ne peut-il être exclu à titre de programme d'ordinateur en tant que tel que s'il est revendiqué de façon explicite en tant que programme d'ordinateur ?
I. Contexte
Dans les années mil neuf cent quatre-vingt-dix, les demandeurs ont commencé à rédiger sous la forme de programmes d'ordinateur des revendications se rapportant à des inventions mises en œuvre par ordinateur, p. ex. "programme d'ordinateur pour exécuter la méthode X" ou "moyen lisible par ordinateur pour stocker un programme d'ordinateur destiné à exécuter la méthode X". Les revendications formulées de cette dernière manière ou de façon équivalente sont connues sous le terme de revendications de produit "programme d'ordinateur". Elles sont à l'évidence importantes pour les demandeurs, à en juger par leur utilisation régulière dans les demandes de brevet relevant du domaine de l'informatique.
Dans ce domaine, les revendications sont souvent formulées en termes de
- méthodes
- systèmes (tels que systèmes informatiques)
- méthodes mises en œuvre par ordinateur
- programmes d'ordinateur
- produits "programme d'ordinateur", stockant un programme d'ordinateur.
Cependant, ces revendications ont souvent un objet identique, à savoir la méthode sous-jacente qu'un ordinateur doit exécuter.
Compte tenu d'un jugement de la Court of Appeal d'Angleterre et du Pays de Galles, l'Office de la propriété intellectuelle du Royaume-Uni a récemment établi une note sur la pratique3, indiquant que selon toute probabilité, peu de revendications ayant pour objet des programmes d'ordinateur ou des programmes stockés sur un support échapperaient à l'exclusion de la brevetabilité applicable aux programmes d'ordinateur en tant que tels. Dans la pratique, presque toutes ces revendications ont été rejetées.
En réponse au mécontentement croissant des demandeurs, les juridictions du Royaume-Uni ont été appelées à statuer sur une série d'affaires-types dont le règlement était destiné à faire jurisprudence, et la note sur la pratique a été modifiée en ce qui concerne cet aspect4. Cela illustre bien l'importance que les revendications formulées de cette façon revêtent pour les demandeurs.
II. Les décisions divergentes
S'agissant de la décision T 1173/975, la demande ayant donné lieu au recours avait pour objet la récupération de ressources dans un système informatique. La division d'examen avait conclu à l'admissibilité des revendications indépendantes qui définissaient une méthode de récupération de ressources dans un système informatique et un ordinateur doté de moyens pour exécuter cette méthode.
La demande a été rejetée uniquement en raison de deux autres revendications indépendantes, portant sur un produit "programme d'ordinateur" correspondant. La division d'examen a suivi le texte des Directives de l'OEB applicable à l'époque, et selon lequel, en vertu de l'article 52(2) et (3) CBE, un programme d'ordinateur revendiqué en tant que tel ou en tant qu'enregistrement sur un support n'était pas brevetable, quel que soit son contenu. Elle a estimé que des considérations d'ordre économique et l'évolution au niveau international (p. ex. l'Accord sur les ADPIC et les nouvelles pratiques adoptées par d'autres offices de brevet) ne pouvaient pas entrer en ligne de compte.
La chambre n'étant pas liée par les Directives, elle a décidé de ne pas les suivre dans l'affaire examinée. Tout en observant que l'Accord sur les ADPIC n'était pas directement applicable à la CBE, la chambre en a néanmoins tenu compte et a jugé qu'il ne s'opposait pas à la protection par brevets des programmes d'ordinateur. Elle s'est ensuite attachée à interpréter l'exclusion de la brevetabilité des programmes d'ordinateur, telle que prévue dans la CBE.
La chambre, considérant conjointement les deux dispositions applicables (art. 52(2)c) et 52(3) CBE), a décidé qu'il n'était pas dans les intentions du législateur d'exclure de la brevetabilité tous les programmes d'ordinateur (point 4 des motifs). En d'autres termes, la chambre a estimé qu'il existait, parmi tous les programmes d'ordinateur, un sous-ensemble (les programmes d'ordinateur en tant que tels) qui tombait sous le coup de l'exclusion. Les programmes d'ordinateur qui n'entraient pas dans cette catégorie n'étaient selon elle pas exclus de la brevetabilité.
La chambre a conclu en outre (points 5.2 à 5.4 des motifs) que les programmes d'ordinateur sont brevetables lorsqu'ils ont un caractère technique, celui-ci représentant une exigence fondamentale en matière de brevetabilité. Elle a estimé que cela était compatible avec l'exclusion énoncée à l'article 52(2)c) CBE et avec l'exigence selon laquelle il y a lieu d'interpréter strictement cette exclusion (art. 52(3) CBE).
La décision T 424/036 avait pour objet une demande divulguant une méthode destinée à fournir des formats presse-papiers étendus pour le transfert de données entre formats. Le presse-papiers est un espace de stockage utilisé pour les opérations informatiques classiques consistant à "couper", "copier" et "coller".
Dans cette décision, la chambre a établi une distinction entre une méthode mise en œuvre dans un système informatique et un programme d'ordinateur. La première a été décrite comme une séquence d'étapes effectivement réalisées sur un ordinateur et obtenant un effet. Le programme d'ordinateur a quant à lui été présenté comme une séquence d'instructions exécutables par ordinateur, qui ne peuvent atteindre un tel effet que si elles sont chargées dans un ordinateur et exploitées sur ce dernier. Une méthode mise en œuvre par ordinateur ne peut donc jamais être un programme d'ordinateur en tant que tel. La chambre a ensuite introduit la catégorie de revendications "programme d'ordinateur" (point 5.1 des motifs).
III. La divergence
Dans la décision T 1173/97, la chambre a mis l'accent sur la fonction du programme d'ordinateur (le programme revendiqué a-t-il un caractère technique ?) plutôt que sur la manière dont il est revendiqué (p. ex. en tant que tel, en tant que produit "programme d'ordinateur", ou en tant que méthode mise en œuvre par ordinateur). Elle a noté que ce n'est pas un programme d'ordinateur ou un produit "programme d'ordinateur" qui fait directement apparaître un effet technique dans la réalité physique. Cet effet n'apparaît que lorsque le programme d'ordinateur est mis en œuvre sur un ordinateur. La chambre n'a toutefois vu aucune raison de faire une distinction entre un effet technique direct et la capacité en puissance de produire un effet technique (effet technique indirect) (point 9.4 des motifs).
A l'inverse, dans la décision T 424/03, la chambre a mis l'accent sur la manière dont le programme d'ordinateur est revendiqué. Prenons l'exemple d'une méthode "x" pouvant être mise en œuvre sur un ordinateur. Selon le raisonnement de cette décision, seule une revendication formulée sous la forme d'un "programme d'ordinateur pour la méthode x" pourrait le cas échéant être exclue de la brevetabilité à titre de programme d'ordinateur en tant que tel, alors que des revendications formulées sous la forme d'une "méthode x mise en œuvre par ordinateur", ou d'un "produit 'programme d'ordinateur' stockant un code exécutable pour la méthode x", ne seraient pas exclues (quelle que soit la nature de la méthode x).
IV. Conséquences
Dans le domaine de l'informatique, l'innovation réside souvent dans la méthode particulière exécutée par un programme d'ordinateur sur un matériel classique. L'exclusion des programmes d'ordinateur en tant que tels en vertu de l'article 52(2) et (3) CBE devrait par conséquent revêtir une importance fondamentale dans ce domaine. Si l'on suivait toutefois le raisonnement de la décision T 424/03, il suffirait désormais, pour échapper à l'exclusion des programmes d'ordinateur, de rédiger la revendication sous la forme d'une méthode mise en œuvre par ordinateur ou d'un produit "programme d'ordinateur".
3.2 Question 2
a) Une revendication relevant du domaine des programmes d'ordinateur peut-elle échapper à l'exclusion prévue à l'article 52(2)c) et (3) CBE en mentionnant simplement de façon explicite l'utilisation d'un ordinateur ou d'un moyen d'enregistrement de données déchiffrables par ordinateur ?
b) S'il est répondu par la négative à la question 2 a), un effet technique supplémentaire est-il nécessaire pour échapper à l'exclusion, ledit effet allant au-delà des effets inhérents à l'utilisation d'un ordinateur ou d'un moyen d'enregistrement des données en vue, respectivement, d'exécuter ou d'enregistrer un programme d'ordinateur ?
I. Contexte
Il est constant que si l'objet d'une revendication revêt un caractère technique, il n'est pas exclu de la brevetabilité en vertu de l'article 52(2) et (3) CBE. Cependant, lorsque les revendications concernent le domaine des programmes d'ordinateur (et sont par exemple formulées de façon explicite en tant que programmes d'ordinateur ou en tant que méthodes mises en œuvre par ordinateur), il reste à établir dans quelles conditions exactement des caractéristiques peuvent conférer un caractère technique à ces revendications.
Un programme d'ordinateur a précisément pour but d'être exécuté par un ordinateur. A cet effet, il doit être enregistré sur un moyen d'enregistrement de données déchiffrables par ordinateur. Bien qu'un ordinateur et un moyen d'enregistrement des données soient tous deux indubitablement des dispositifs techniques, l'utilisation implicite d'un ordinateur ou d'un moyen d'enregistrement de données ne peut suffire pour échapper à l'exclusion des programmes d'ordinateur en tant que tels. Dans le cas contraire, l'exclusion serait vidée de sa substance.
II. Les décisions divergentes
Dans la décision T 1173/97 (cf. rubrique 3.1), la chambre a estimé qu'un programme d'ordinateur doit être considéré comme brevetable s'il a un caractère technique (point 5.3 des motifs).
Afin de déterminer ce qui constitue le "caractère technique" pour un programme d'ordinateur, on admet au départ qu'il ne peut pas être considéré que les programmes d'ordinateur ont un caractère technique du seul fait que ce sont des programmes d'ordinateur (point 6.1 des motifs). Aussi les modifications physiques du matériel (engendrant, par exemple, des courants électriques et la commutation de transistors) qui résultent de l'exécution d'instructions données par des programmes d'ordinateur ne peuvent en tant que telles conférer à ces programmes le caractère technique qui est exigé. L'effet technique doit tenir dans les autres effets techniques résultant de l'exécution (par le matériel) des instructions données par le programme d'ordinateur.
Aussi la chambre a-t-elle conclu (sommaire) qu'"un produit 'programme d'ordinateur' n'est pas exclu de la brevetabilité en application de l'article 52(2) et (3) CBE si sa mise en œuvre sur un ordinateur produit un effet technique supplémentaire, allant au-delà des interactions physiques 'normales' entre programme (logiciel) et ordinateur (matériel)". La chambre a en outre observé (point 13 des motifs, 5e paragraphe) que, s'agissant des exclusions prévues à l'article 52(2) et (3) CBE, il est tout à fait indifférent qu'un programme d'ordinateur soit revendiqué en tant que tel ou qu'il soit revendiqué en tant qu'enregistrement sur un support.
Dans la décision T 258/037 (point I du sommaire), la chambre a conclu que toute méthode faisant intervenir des moyens techniques constitue une invention au sens de l'article 52(1) CBE - ce qui signifie qu'elle n'est pas exclue de la brevetabilité en application de l'article 52(2) et (3) CBE. Cet avis a été soutenu par diverses décisions ultérieures, y compris la décision T 424/03 (point 5.1 des motifs, 2e paragraphe) et la décision T 1284/048 (point 2 des motifs).
III La divergence
Les revendications de méthode représentent, par nature, une série d'instructions ou d'étapes qui doivent être exécutées par toute entité apte à le faire (cette entité pouvant être une personne, une machine, une personne et une machine conjointement, voire un ordinateur). Une méthode mise en œuvre par ordinateur correspond au cas spécifique où l'entité exécutant ces étapes est un ordinateur. De même, un programme d'ordinateur est une série d'instructions ou d'étapes qui constituent une méthode et sont exécutées par un ordinateur. Les revendications relatives à un programme d'ordinateur peuvent donc être considérées comme ayant la même portée que les revendications relatives à une méthode mise en œuvre par ordinateur. Conformément à cette argumentation, une revendication de méthode engloberait un programme d'ordinateur destiné à réaliser cette méthode. Telle a aussi été l'opinion exposée dans la décision T 38/869 (point 14 des motifs).
Eu égard à la décision T 1173/97, la chambre, analysant l'Accord sur les ADPIC (point 2.3 des motifs), a constaté que l'article 27(1) dudit Accord dispose qu'"un brevet pourra être obtenu pour toute invention, de produit ou de procédé, dans tous les domaines technologiques". Selon la chambre, cette disposition n'exclut pas les programmes d'ordinateur. Il s'ensuit que la chambre a forcément assimilé les programmes d'ordinateur soit à un produit, soit à un procédé.
La chambre a indiqué ultérieurement dans la décision que l'essence d'une revendication portant sur un programme d'ordinateur réside dans la méthode que celui-ci doit exécuter lorsqu'il est mis en œuvre sur un ordinateur (point 9.6 des motifs, 2e paragraphe, lignes 1 à 3). Force est donc de supposer que la chambre a considéré les programmes d'ordinateur comme un type de revendication de méthode, ce qui serait du reste conforme à la décision G 2/8810 (point 2.2 des motifs), où sont définis les deux types fondamentaux de revendications, à savoir les revendications portant sur une chose et les revendications portant sur une activité physique.
Contrairement à un dispositif, qui pourrait constituer une contrefaçon indépendamment du fait qu'il soit ou non en fonctionnement, il n'y a contrefaçon (directe) dans le cas d'une méthode que lorsque celle-ci est exécutée, soit par un ordinateur, soit par une autre entité. Il ne semble donc pas logique de faire la distinction entre des méthodes mises en œuvre par ordinateur et des programmes d'ordinateur par lesquels une méthode sera mise en œuvre.
Il y a divergence lorsque l'on envisage la même méthode selon qu'elle est revendiquée sous la forme d'une méthode mise en œuvre par ordinateur ou sous la forme d'un programme d'ordinateur. Conformément à la décision T 258/03, il suffit qu'une méthode mise en œuvre par ordinateur fasse intervenir des moyens techniques (l'ordinateur) pour qu'elle soit considérée comme ayant un caractère technique. En revanche, une méthode revendiquée sous forme de programme d'ordinateur est soumise à une autre condition, à savoir la production d'un effet technique supplémentaire, qui doit aller au-delà des effets techniques normaux résultant de l'utilisation d'un ordinateur. Cela signifie que la brevetabilité d'un seul et même objet est évaluée selon des critères différents.
3.3 Question 3
a) Une caractéristique revendiquée doit-elle produire un effet technique sur une entité physique dans le monde réel pour contribuer au caractère technique de la revendication ?
b) S'il est répondu par l'affirmative à la question 3 a), suffit-il que cette entité physique soit un ordinateur non déterminé ?
c) S'il est répondu par la négative à la question 3 a), des caractéristiques peuvent-elles contribuer au caractère technique de la revendication si les seuls effets auxquels elles contribuent sont indépendants de tout matériel informatique particulier qui est susceptible d'être utilisé ?
I. Contexte
Indépendamment de la question de savoir s'il est possible d'échapper à l'exclusion prévue à l'article 52(2) et (3) CBE en choisissant simplement une forme appropriée de revendication, il faudra toujours évaluer les effets produits individuellement ou conjointement par des caractéristiques, pour établir si elles contribuent au caractère technique d'une revendication. Il importe toujours de déterminer cette contribution pour examiner si les autres exigences de la CBE sont remplies (comme l'activité inventive). Il convient de noter qu'aucune distinction n'est effectuée à cet égard entre les entités physiques ou le matériel qui sont à l'intérieur de l'ordinateur, et ceux qui sont à l'extérieur de celui-ci.
II. Les décisions divergentes
La décision T 163/8511 avait trait à une revendication dont l'objet était un signal de télévision qui comprenait intrinsèquement les caractéristiques techniques du système de télévision. La chambre a estimé que la liste non exhaustive des exclusions figurant à l'article 52(2) et (3) CBE pouvait s'appliquer de manière générale à tout objet de nature essentiellement abstraite, non physique et par conséquent non défini par des termes techniques. Elle a considéré que le signal revendiqué constituait une réalité physique qui pouvait être détectée directement par des moyens techniques et n'était donc pas une entité abstraite. De même, dans l'affaire T 190/9412, la chambre a conclu que le système revendiqué apportait une contribution à l'état de la technique dans un domaine qui n'était pas exclu de la brevetabilité, la différence (entre l'objet revendiqué et l'état de la technique) apparaissant dans la réalité, sous la forme d'un effet technique exercé sur une entité physique.
Dans la décision T 424/03, qui portait sur le transfert de données sur un ordinateur via un presse-papiers, la chambre a estimé que la méthode proprement dite avait un caractère technique (lequel ne découlait pas seulement du fait que la méthode était revendiquée sous forme de méthode mise en œuvre par ordinateur). Des structures de données de type fonctionnel étaient en effet utilisées, indépendamment de tout contenu cognitif, pour améliorer le fonctionnement interne d'un système informatique, dans le but de faciliter les échanges de données entre divers programmes d'application (point 5.2 des motifs). Conformément à la revendication 1 (point IV de l'exposé des faits et conclusions), ces structures de données (formats presse-papiers) sont définies en fonction de leur destination ("texte", "contenu de fichier" et "descripteur de groupe de fichiers"). Il est en outre précisé que les données sélectionnées sont converties en format presse-papiers de contenu de fichier et enregistrées sous la forme d'un objet de données, et que le format presse-papiers de descripteur de groupe de fichiers est utilisé pour contenir un descripteur de groupe de fichiers comportant des informations descriptives sur l'objet de données.
La décision T 125/0113, qui a adopté une approche similaire à la décision T 424/03, avait trait à une installation pour commander un appareil de télécommunication, p. ex. un autoradio, la partie distinctive de la revendication portant sur la manière dont le microprocesseur répondait à une information envoyée par l'utilisateur en actionnant des boutons. Les caractéristiques de la revendication qui étaient nouvelles par rapport à l'état de la technique concernaient l'utilisation d'un seul, et non de plusieurs tableaux pour les états de fonctionnement possibles (point 3.3 des motifs). La chambre a admis que le problème correspondant, tel que mentionné dans le brevet litigieux, avait trait à la facilité d'adaptation, et donc à la souplesse d'application, du module de commande. Elle a comparé cette situation à celle d'une interface matérielle, pour laquelle un problème similaire serait à l'évidence considéré comme technique.
III. La divergence
Conformément aux décisions T 163/85 et T 190/94, un effet technique doit être produit dans le monde réel sur une entité physique. Or, cela n'était pas le cas dans les affaires T 125/01 et T 424/03, où les effets techniques se limitaient pour l'essentiel aux programmes d'ordinateur concernés.
Dans l'affaire T 125/01, il s'agissait de formuler un programme de telle sorte - c'est-à-dire en choisissant un seul ou plusieurs tableaux - qu'il puisse être facilement étendu. Cela n'avait aucune incidence sur l'adaptation du matériel (une entité physique), et ne faisait que simplifier la procédure de (re)programmation du module de commande, destinée à modifier le programme de manière qu'il puisse fonctionner avec le matériel adapté.
Dans l'affaire T 424/03, les différents formats presse-papiers qui étaient considérés comme des structures de données de type fonctionnel n'étaient en rien liés aux caractéristiques techniques du système dans lequel ils étaient utilisés. De plus, la simplification du transfert de données entre des applications, ou à l'intérieur d'applications, représente un effet indépendant du matériel utilisé.
S'agissant de caractéristiques liées à des programmes d'ordinateur dont les effets se limitent au fonctionnement interne de l'ordinateur, la question se pose de savoir où il faut tracer la frontière entre effets techniques et effets limités au domaine des programmes d'ordinateur, en particulier si les aspects relevant de la programmation sont revendiqués en détail.
Selon le raisonnement des décisions mentionnées en dernier lieu, il semblerait qu'une activité inventive pourrait être fondée sur le choix, par le programmeur, de concepts de programmation élémentaires (tableaux, boucles, sous-programmes, objets) qui permettent seulement d'exécuter efficacement le programme ou de simplifier le travail du programmeur (p.ex. en substituant un sous-programme à des lignes de programmation répétitives). Il est par conséquent difficile d'établir quels aspects ou effets d'un programme d'ordinateur pourraient tomber sous le coup de l'exclusion.
3.4 Question 4
a) L'activité consistant à programmer un ordinateur implique-t-elle nécessairement des considérations d'ordre technique ?
b) S'il est répondu par l'affirmative à la question 4 a), les caractéristiques résultant de la programmation contribuent-elles par conséquent toutes au caractère technique d'une revendication ?
c) S'il est répondu par la négative à la question 4 a), les caractéristiques résultant de la programmation ne peuvent-elles contribuer au caractère technique d'une revendication que si elles contribuent à un effet technique supplémentaire lors de l'exécution du programme ?
I. Contexte
L'article 52(2) et (3) CBE définit une liste non exhaustive d'éléments qui ne sont pas considérés, en tant que tels, comme des inventions. Cette liste inclut les programmes d'ordinateur. Les chambres de recours ont toujours regroupé ces éléments exclus dans la catégorie "absence de caractère technique" (p.ex. décisions T 1173/97, point 5.2 des motifs, et T 258/03, point 3.1 des motifs).
La CBE est en revanche muette sur la question de savoir si ou quand l'activité liée à la création de programmes d'ordinateur, à savoir la programmation d'un ordinateur, est une activité technique qui est en principe brevetable, ou une activité dépourvue de caractère technique qui, en tant que telle, est exclue de la brevetabilité.
La réponse à cette question influe sur la définition de l'homme du métier et, partant, sur la nature des problèmes qui peuvent être présentés comme des problèmes techniques objectifs. Il est donc essentiel, dans le domaine de l'informatique, de connaître exactement les compétences qui peuvent être attribuées à l'homme du métier.
II. Les décisions divergentes
L'affaire T 1177/9714 concernait un procédé de traduction entre des langages naturels qui était mis en œuvre par ordinateur. La chambre a estimé (point 3 des motifs, 7e paragraphe) que "la mise en œuvre d'une fonction dans un système informatique fait toujours intervenir, du moins de façon implicite, des considérations d'ordre technique". La référence à des "sous-programmes d'ordinateur" montre clairement que ladite mise en œuvre consistait à programmer l'ordinateur (point 7 des motifs, 3e paragraphe) : "Choisir d'appliquer l'un ou l'autre principe [de traduction] a manifestement une incidence pour l'exécution technique … car les sous-programmes d'ordinateur doivent fonctionner différemment".
De plus, la décision T 172/0315 a mis l'accent (aux points 6 et 7 des motifs) sur le fait que l'homme du métier est un expert technique, auquel on ne saurait attribuer des compétences professionnelles dans des domaines non techniques. Dans l'affaire concernée, la chambre a considéré que l'homme du métier était une équipe de projet logiciel, composée de plusieurs programmeurs (point 16 des motifs). Le problème technique auquel l'homme du métier était confronté avait trait à la mise en œuvre logicielle d'une méthode de gestion des commandes ne revêtant pas de caractère technique (points 20 et 21 des motifs).
Contrairement à ces décisions, il a été estimé dans les affaires T 833/9116 (point 3.2 des motifs), T 204/9317 (point 3.2 des motifs) et T 769/9218 (point 3.7 des motifs, 5e paragraphe) que l'activité d'un programmeur, à savoir la formulation de programmes d'ordinateur, tombait sous le coup des exclusions énoncées à l'article 52(2)c) CBE. La programmation a été considérée, dans ces décisions, comme une activité intellectuelle du programmeur.
III. La divergence
Dans les décisions citées en premier lieu, la programmation est, semble-t-il, évaluée selon les mêmes principes que la configuration d'un dispositif technique. Cette approche vaudrait bien entendu même dans le cas où la méthode qui doit être mise en œuvre par l'ordinateur tel que programmé à cet effet revêtait un caractère non technique.
Il convient toutefois de noter que les langages de programmation modernes (de haut niveau) cherchent autant que possible à rendre superflue toute considération technique. Le terme de "programmation" est vaste et couvre un éventail allant de la rédaction de programmes dans des langages de bas niveau (p. ex. des langages d'assemblage), étroitement liés au matériel programmé, jusqu'aux langages de haut niveau qui sont absolument indépendants des détails relatifs au matériel. Même des opérations consistant à enregistrer une macro-instruction (enregistrer une séquence d'étapes destinées à être exécutées sur un ordinateur, dans un cadre qui est souvent un environnement bureautique de type traitement de texte ou feuille de calcul électronique) doivent être considérées comme une forme de programmation, même si cette programmation serait généralement effectuée par un expert, voire un utilisateur ordinaire de l'application bureautique, plutôt que par un expert en informatique ayant des compétences techniques.
Les décisions mentionnées en dernier lieu mettent quant à elles davantage l'accent sur le lien entre le produit final, qui est exclu en tant que tel de la brevetabilité, et l'activité permettant de le générer. La décision T 1173/97 (points 11.4 et 11.5 des motifs) fait également apparaître que la chambre est implicitement d'accord avec le point de vue énoncé dans la décision T 204/93. Celui-ci est en outre étayé par une déclaration de la délégation du Royaume-Uni au cours des travaux préparatoires19, selon laquelle il convient de voir dans un programme d'ordinateur "l'application mathématique d'une succession logique d'opérations ne différant en rien d'une méthode mathématique".
Si un programme d'ordinateur est réputé être dépourvu de caractère technique (s'il s'agit autrement dit d'un programme d'ordinateur en tant que tel), il pourrait s'ensuivre que l'activité mise en œuvre pour produire ce programme doive elle aussi être considérée comme essentiellement non technique.
Les effets générés par un programme d'ordinateur (qui peuvent ou non contribuer au caractère technique de celui-ci) peuvent se produire lors de l'exécution du programme (p.ex. en termes de capacité de mémoire occupée, de rapidité d'exécution des tâches pour lesquelles il a été défini, etc.). D'un autre côté, certains effets liés au développement du logiciel peuvent avoir une incidence sur le travail du programmeur (facilité de maintenance du programme, souplesse, portabilité, réutilisation possible etc.).
Il semble important d'examiner les tâches proprement dites d'un programmeur. Serait-il responsable de la conception du système technique et du rôle joué par le programme d'ordinateur dans ce système, et résoudrait-il par conséquent des problèmes techniques, ou la conception incomberait-elle à un ingénieur qui transmettrait ensuite ses exigences (en matière de programmation) au programmeur ?
De plus, pour répondre à cette question, faut-il établir si les considérations d'un programmeur englobent des aspects techniques de l'ordinateur spécifique sur lequel le programme fonctionnera ?
4. Cadre juridique
4.1Situation actuelle
L'article 52 CBE s'énonce comme suit :
Inventions brevetables
(1) Les brevets européens sont délivrés pour toute invention dans tous les domaines technologiques, à condition qu'elle soit nouvelle, qu'elle implique une activité inventive et qu'elle soit susceptible d'application industrielle.
(2) Ne sont pas considérés comme des inventions au sens du paragraphe 1 notamment :
a) les découvertes, les théories scientifiques et les méthodes mathématiques ;
b) les créations esthétiques ;
c) les plans, principes et méthodes dans l'exercice d'activités intellectuelles, en matière de jeu ou dans le domaine des activités économiques, ainsi que les programmes d'ordinateur ;
d) les présentations d'informations.
(3) Le paragraphe 2 n'exclut la brevetabilité des éléments qu'il énumère que dans la mesure où la demande de brevet européen ou le brevet européen concerne l'un de ces éléments, considéré en tant que tel.
L'article 52(2) CBE contient par conséquent une liste non exhaustive d'inventions qui ne doivent pas être considérées comme des inventions, mais sa portée est limitée par l'article 52(3) CBE, selon lequel l'exclusion de la brevetabilité ne vaut que pour les éléments visés au paragraphe 2 qui sont considérés en tant que tels.
Le texte de l'article 52(3) CBE ne fournit aucun repère en ce qui concerne les conditions dans lesquelles un élément visé au paragraphe 2 doit être considéré comme une invention.
On estime en règle générale qu'un élément essentiel d'une invention brevetable est le caractère technique de celle-ci. Le terme "caractère technique" n'est toutefois pas défini dans la CBE. Bien que dans l'ancienne jurisprudence des chambres de recours, l'exigence de caractère technique ait été évaluée à l'aune de l'approche dite de la contribution20, il semble que, pour l'heure, les avis sont unanimes sur le fait que cette approche est dépourvue de fondement juridique dans la CBE21.
Les programmes d'ordinateur figurent dans la liste non exhaustive des éléments qui, en tant que tels, ne doivent pas être considérés comme des inventions (article 52(2)c) CBE)22. Aucun de ces éléments n'est défini, et il découle clairement des travaux préparatoires initiaux que le législateur voulait se borner à énoncer des principes généraux et laisser à l'OEB et aux juridictions nationales le soin de les interpréter23. Néanmoins, "l'intérêt a été souligné de ne pas laisser une matière aussi importante que celle des programmes d'ordinateurs dans une incertitude prolongée, dans l'attente des développements de la jurisprudence, qui risquent d'ailleurs de différer de pays à pays"24. Il s'ensuit que dès 1972, le législateur était conscient d'une part des difficultés que posait la définition du terme "programmes d'ordinateur", et d'autre part de l'importance de ce domaine de développement (futur, si on se place dans la perspective de l'époque), et qu'il souhaitait instaurer une base juridique uniforme.
4.2 Révision de la CBE ("CBE 2000")
Une conférence diplomatique s'est déroulée en 2000 afin de soumettre la CBE à sa première révision majeure. Il était indiqué dans la proposition initiale25 que "les éléments et méthodes énumérés dans l'article 52(2) CBE ne sont que des exemples d''inventions' non techniques, qui ne seraient pas davantage brevetables si cette disposition n'existait pas", et la suppression de ce paragraphe a donc été suggérée dans la proposition. Des considérations de même nature semblent expliquer l'absence d'une telle disposition dans l'Accord sur les ADPIC26.
Le comité "Droit des brevets" n'a pu parvenir à un avis définitif au sujet de cette proposition27. Lors de sa 81e session, le Conseil d'administration a néanmoins décidé qu'il fallait maintenir les paragraphes 2 et 3 de l'article 52 CBE dans la proposition de base formulée pour la conférence diplomatique, mais que la référence aux programmes d'ordinateur dans le paragraphe 2 devait être supprimée28. Les négociations en 1973 ne se sont pas déroulées autrement29. Les parties prenantes ont ainsi cité, entre autres arguments, la future Directive de l'Union européenne concernant la protection des inventions mises en œuvre par ordinateur, et le fait que "l'exclusion de la brevetabilité des programmes d'ordinateurs tient à leur caractère technique insuffisant"30.
La proposition de base pour la conférence diplomatique reflète les négociations qui ont eu lieu et les éléments de réflexion qui ont été évoqués lors des réunions préparatoires. Ainsi, elle a mis notamment l'accent sur le caractère technique d'une invention brevetable et a indiqué que "le comité "Droit des brevets" et le Conseil d'administration se prononcent en tout cas en faveur de la suppression des programmes d'ordinateur dans l'article 52(2)c) CBE"31.
Bien qu'un large consensus soit apparu avant la conférence diplomatique en ce qui concernait le texte de l'article 52 CBE, la délégation française a réintroduit la référence aux "programmes d'ordinateur" pendant la conférence, par crainte que la suppression de cette exclusion ne soit susceptible d'être interprétée comme un élargissement du domaine de la brevetabilité32. La délégation allemande, tout en ayant exprimé des préoccupations de même nature, a estimé quant à elle, à l'instar d'autres délégations, que la suppression de l'exclusion n'aurait pas de retombées significatives sur la situation juridique33.
Compte tenu de l'éventuelle adoption d'une future législation européenne en la matière, il a été décidé de ne pas supprimer les mots "ainsi que les programmes d'ordinateur". L'unique modification de l'article 52 qui ait été adoptée a consisté à préciser au paragraphe 1 que les brevets européens sont délivrés "dans tous les domaines technologiques". Cette modification avait pour but d'ancrer la "technologie" dans les dispositions fondamentales du droit des brevets, ainsi que d'aligner cet article sur l'article 27(1) de l'Accord sur les ADPIC.
4.3 Accord sur les ADPIC
L'Accord sur les ADPIC34 vise à établir des normes et principes communs concernant la disponibilité, la portée et l'utilisation des droits de propriété intellectuelle touchant au commerce, y compris les brevets. Cet accord ne peut toutefois s'appliquer directement à la CBE, car l'Organisation européenne des brevets n'est pas, en tant que telle, membre de l'OMC et n'a pas adhéré audit accord. Il est douteux que l'article 30 de la Convention de Vienne puisse être invoqué pour justifier l'application de l'Accord sur les ADPIC à la CBE.
L'article 27 de l'Accord sur les ADPIC définit ce qui constitue un objet brevetable. Si le paragraphe 1 pose le principe selon lequel "un brevet pourra être obtenu pour toute invention, de produit ou de procédé, dans tous les domaines technologiques" (c'est la Présidente qui souligne), les paragraphes 2 et 3 prévoient la possibilité d'exclure certains objets. La non-brevetabilité des programmes d'ordinateur ou d'autres éléments similaires n'est cependant mentionnée nulle part. L'article 10(1) de l'Accord sur les ADPIC dispose certes que les programmes d'ordinateur seront protégés en tant qu'œuvres littéraires en vertu de la Convention de Berne de 1971, mais cela ne signifie pas que ces programmes ne peuvent pas être également brevetés.
Il s'ensuit que l'exclusion éventuelle des programmes d'ordinateur en vertu de l'Accord sur les ADPIC dépend de la question de savoir si ces programmes sont définis comme des inventions dans un domaine technologique.
Cette incertitude se retrouve dans la littérature juridique. Certains spécialistes soulignent que le texte de la disposition concernée laisse aux parties à l'Accord sur les ADPIC la liberté de décider si des inventions liées à des logiciels sont brevetables35. D'autres font valoir que les programmes d'ordinateur renferment par nature un élément technique, et estiment par conséquent que la liste des inventions non brevetables figurant à l'article 52(2) CBE contrevient à l'Accord sur les ADPIC36.
S'agissant de la possibilité de considérer certains programmes d'ordinateur comme des inventions, ou de l'éventuel caractère technique de tels programmes, force est de conclure que l'Accord sur les ADPIC ne fournit aucun repère en la matière.
4.4 Union européenne
En 2002, la Commission européenne a proposé une directive destinée à réglementer la brevetabilité des inventions mises en œuvre par ordinateur. Conformément à l'article 4 de la proposition initiale37, les Etats membres doivent veiller à ce qu'une invention mise en œuvre par ordinateur soit brevetable, à condition bien entendu qu'elle soit susceptible d'application industrielle, qu'elle soit nouvelle et qu'elle implique une activité inventive. L'article 4(2) dispose que pour impliquer une activité inventive, une invention mise en œuvre par ordinateur apporte une contribution technique, ce qui signifie que la contribution à l'état de la technique doit avoir un caractère technique.
Selon une version de la directive proposée par le Parlement européen en 200338, le terme de "contribution technique" a été assimilé à celui d'"invention". L'utilisation des forces de la nature afin de contrôler des effets physiques au-delà de la représentation numérique des informations a été jugée appartenir à un domaine technique, ce qui n'était pas le cas du traitement, de la manipulation et des présentations d'informations, même si des appareils techniques étaient utilisés pour les effectuer. Le terme de "domaine technique" a été défini comme "un domaine industriel d'application nécessitant l'utilisation de forces contrôlables de la nature pour obtenir des résultats prévisibles". Ces définitions font appel à certains aspects des termes que les juridictions allemandes utilisent parfois pour définir ce qui est brevetable39.
Il est notoire que l'initiative législative de la Commission européenne a échoué lorsque le Parlement européen a rejeté, le 6 juillet 2005, la proposition de position commune et a déclaré close la procédure législative40.
Les documents liés à la rédaction de la proposition de directive font apparaître que les principales différences entre la position du Conseil européen et celle du Parlement européen résident dans la délimitation des définitions énoncées dans la directive. Alors que la proposition du Conseil européen comportait des définitions relativement vastes, le Parlement européen a introduit certaines modifications qui limitaient l'étendue de la protection conférée par les brevets dans le domaine des inventions mises en œuvre par ordinateur, en particulier en matière d'interopérabilité et de traitement des données. L'une des modifications proposées par le Parlement européen consistait à exiger qu'une invention brevetable relève d'un domaine technique, le "domaine technique" ayant été défini comme "nécessitant l'utilisation des forces contrôlables de la nature pour obtenir des résultats prévisibles dans le monde physique"41.
4.5 Conclusion
Le principe de la protection par brevets de certaines inventions mises en œuvre par ordinateur est conforme à la CBE et à l'Accord sur les ADPIC, ainsi qu'aux différentes versions de la proposition de directive de l'Union européenne.
Ainsi que l'exposé ci-dessus l'a montré, l'article 52 CBE a donné lieu à des discussions approfondies dans les différents forums, avant et pendant la Conférence diplomatique qui a conduit à l'adoption de la CBE 2000. Si le caractère technique des inventions a été mis en évidence avec l'introduction de la référence à "tous les domaines technologiques" dans l'article 52(1) CBE, le paragraphe 2 n'a quant à lui pas été modifié.
Les documents d'archive révèlent que les rédacteurs de la CBE étaient d'accord sur le fait qu'un programme d'ordinateur ne pouvait être breveté que s'il avait un caractère technique. Cette position est étayée par les diverses observations faites par les délégués au sujet de la modification du paragraphe 1. Cependant, aucune définition n'a été donnée de la notion de caractère technique, qui est une condition pour éviter l'exclusion visée à l'article 52(2) CBE.
De plus, le texte de l'article 52(2) CBE est muet sur la question de savoir si l'exclusion de certains éléments découle du fait qu'ils ne satisfont pas à l'exigence de caractère technique, ou si l'exclusion est fondée sur des considérations sociales ou politiques plus vastes. Les termes "ne sont pas considérés comme des inventions" autorisent à penser que certains éléments exclus peuvent bel et bien être techniques. Le texte de l'article 52(2) CBE ne permet donc pas de conclure qu'un programme d'ordinateur est technique, ou ne l'est pas.
Comme les dispositions juridiques et les documents préparatoires y relatifs ne fournissent aucun repère, et que des divergences existent quant à la manière d'appliquer l'exclusion des programmes d'ordinateur, il semble indiqué à ce stade de demander à la Grande Chambre de recours de se prononcer sur les questions exposées précédemment.
1 Affaire en instance sous le numéro G 3/08.
2 5e session de la Conférence Intergouvernementale pour l'institution d'un système européen de délivrance de brevets, tenue les 24 et 25 janvier et du 2 au 4 février 1972, BR/168 f/72 mg, p. 14, point 36.
3 Note sur la pratique, du 2 novembre 2006, point 14 : www.ipo.gov.uk/patent/p-decisionmaking/p-law/p-law-notice/p-law-notice-subjectmatter.htm.
4 Note sur la pratique, du 7 février 2008 : www.ipo.gov.uk/patent/p-decisionmaking/p-law/p-law-notice/p-law-notice-subjectmatter-20080207.htm.
5 T 1173/97 - Produit "programme d'ordinateur"/IBM (JO OEB 1999, 609).
6 T 424/03 - Clipboard formats/MICROSOFT.
7 T 258/03 - Méthode d'enchères/HITACHI (JO OEB 2004, 575).
8 T 1284/04 - Loan system/KING.
9 T 38/86 - Traitement de texte/IBM (JO OEB 1990, 384).
10 G 2/88 - Additif réduisant le frottement/MOBIL OIL III (JO OEB 1990, 93).
11 T 163/85 - Signal de télévision couleur/BBC (JO OEB 1990, 379).
13 T 125/01 - Gerätesteuerung/HENZE.
14 T 1177/97 - Sans référence.
15 T 172/03 - Order management/RICOH.
18 T 769/92 - Système de gestion universel/SOHEI (JO OEB 1995, 525).
19 Rapport sur la 9e réunion du Groupe de travail I, tenue à Luxembourg du 12 au 22 octobre 1971, BR/135 f/71 ret/AC/mq, p. 50, point 96.
20 Par exemple, décision T 38/86 - Traitement de texte/IBM (JO OEB 1990, 384).
21 Par exemple, décision T 931/95 - Contrôle d'un système de caisse de retraite/PBS PARTNERSHIP (JO OEB 2001, 441), points 2 et 6 des motifs.
22 Cependant, les programmes d'ordinateur n'ont pas toujours figuré dans la liste proposée des exclusions - cf. par exemple les avant-projets de CBE (2335/IV/65-F du 22 janvier 1965 et BR/70/70 du 21 décembre 1970).
23 Cf. rapport sur la 9e réunion du Groupe de travail I, tenue à Luxembourg du 12 au 22 octobre 1971, BR/135 f/71 ret/AC/mq, p. 50, point 96, et procès-verbaux de la Conférence diplomatique de Munich pour l'institution d'un système européen de délivrance de brevets, Munich, du 10 septembre au 5 octobre 1973, M/PR/I, p. 30, point 18.
24 Cf. 5e session de la Conférence Intergouvernementale pour l'institution d'un système européen de délivrance de brevets, tenue les 24 et 25 janvier et du 2 au 4 février 1972, BR/168 f/72 mg, p. 14, point 36.
25 Révision de la Convention sur le brevet européen, CA/100/00 f, p. 39, point 6.
26 "TRIPS und das Patentierungsverbot von Software 'als solcher'", Daniele Schiuma, GRUR Int 1998, p. 852 s., 3-4.
27 Procès-verbal de la 14e réunion du comité "Droit des brevets", 3 au 6 juillet 2000, CA/PL PV 14 f, p. 26, point 156.
28 Procès-verbal de la 81e session du Conseil d'administration, 5 au 7 septembre 2000, CA/PV 81 f, p. 10, point 72.
29 Prise de position de la CPCCI (Conférence permanente des chambres de commerce et d'industrie de la communauté économique européenne), 2 avril 1973, M/18, p. 160, point 3.
30 Procès-verbal de la 81e session du Conseil d'administration, 5 au 7 septembre 2000, CA/PV 81 f, p. 7, point 51a.
31 Proposition de base pour la révision de la Convention sur le brevet européen, 13 octobre 2000, MR/2/00, p. 43, point 3.
32 MR/8/00, p. 2 s.
33 MR/16/00.
34 Accord sur les aspects des droits de propriété intellectuelle qui touchent au commerce (Annexe 1C de l'Accord de Marrakech instituant l'Organisation mondiale du commerce).
35 C.M. Correa/A.A. Yusuf, Intellectual Property and International Trade : The TRIPS Agreement, p. 199 s., et Neef, dans Busche/Stoll, TRIPS, art. 27, points 33-34, p. 447 s.
36 "TRIPS und das Patentierungsverbot von Software 'als solcher'", Daniele Schiuma, GRUR Int 1998, p. 852 s., 8.
37 "Proposition de directive du Parlement européen et du Conseil concernant la brevetabilité des inventions mises en œuvre par ordinateur", COM(2002) 92 final, 20 février 2002
38 P5_TC1-COD(2002)0047 du 26 mars 2004 (JO UE C 77 E, p. 230 s., article 2).
39 Par exemple dans les décisions de la Cour fédérale allemande de justice numéros X ZB 15/67 "Rote Taube", du 27 mars 1969 (GRUR 1969, p. 672 s.), et X ZB 15/98 "Sprachanalyseeinrichtung", du 11 mai 2000 (GRUR Int 2000, p. 930 s.).
40 P6_TA(2005)0275 du 6 juillet 2005 (JO UE C 157 E, p. 265).
41 Recommandation pour la deuxième lecture, A6-0207/2005 du 21 juin 2005, amendements 17 et 19.