CHAMBRES DE RECOURS
Décisions des Chambres de recours techniques
Décision de la Chambre de recours technique 3.5.01 en date du 15 novembre 2006 - T 154/04 - 3.5.01
(Traduction)
Composition de la Chambre :
Président : | S. Steinbrener |
Membres : | R. R. K. Zimmermann |
| G. Weiss |
Demandeur : DUNS LICENSING ASSOCIATES, L.P.
Référence : Evaluation des performances de vente/DUNS LICENSING ASSOCIATES
Article : 52(1), 52(2) et (3), 54, 56, 112(1)a) et b), 123(2) CBE 1973
Article : 15, 16 RPCR
Article : 52(1) CBE
Article : 31 Convention de Vienne sur le droit des traités de 1969
Mot-clé : "Exigence d'invention - méthode, requête principale (non)" - "exigence d'invention - méthode, requête subsidiaire 1 (oui)" - "Activité inventive - système, requête principale et requêtes subsidiaires 1 à 3 (non)" - "Modifications - revendication 1, requêtes subsidiaires 4 et 5 (non admissibles)" -"Renvoi pour suite à donner (non)" - "Saisine de la Grande Chambre de recours (non)"
Sommaire
I. Les méthodes de recherche commerciale sont exclues "en tant que telles" de la brevetabilité en vertu de l'article 52(2)c) et (3) CBE.
II. Le recueil et l'évaluation de données dans le cadre d'une méthode de recherche commerciale ne confèrent pas de caractère technique à cette méthode, à moins que lesdites étapes contribuent à la solution technique d'un problème technique.
Exposé des faits et conclusions
I. La demande de brevet européen n° 94 912 949.8, publiée en tant que demande internationale sous le numéro WO-A-94/23382, revendique une priorité de 1993 pour une invention concernant l'évaluation des performances de vente d'un produit dans des points de vente ne fournissant pas de données à ce sujet.
II. Le rapport de recherche publié avec la demande internationale mentionne notamment, en tant qu'état de la technique pertinent, le document US-A-4 972 504, qui a été publié en 1990 et qui est cité comme document D1 dans la procédure d'examen devant l'OEB.
III. La division d'examen a rejeté la demande au motif que l'objet revendiqué est exclu de la brevetabilité en vertu de l'article 52(2)c) et (3) CBE. La décision écrite et motivée a été remise à la poste le 1er septembre 2003.
IV. Le requérant (demandeur) a formé un recours contre cette décision. Il a déposé l'acte de recours et l'ordre de débit relatif à la taxe de recours le 17 octobre 2003, et le mémoire exposant les motifs du recours le 12 janvier 2004.
Le 12 janvier 2004 et le 1er novembre 2006, le requérant a produit des jeux de revendications modifiées, dont les revendications indépendantes s'énoncent comme suit :
Revendication 1 selon la requête principale déposée le 12 janvier 2004 :
"1. Méthode d'évaluation des performances de vente d'un produit dans des points de vente (U1,U2) qui comprend :
la réception des données relatives à la vente dudit produit provenant de plusieurs premiers points de vente (S1-S5) ;
la constitution d'une base de données (205) relative aux points de vente, qui contient les données géographiques et caractéristiques desdits premiers points de vente (S1-S5) et d'au moins un autre point de vente (U1,U2) ;
la détermination de la distance dsu entre l'autre point de vente (U1,U2) et chacun des premiers points de vente sélectionnés (S1-S5) en utilisant les données géographiques susmentionnées ;
la formulation d'un facteur de pondération pour chacun des premiers points de vente sélectionnés et pour ledit autre point de vente, ledit facteur de pondération étant fonction de la distance et des données caractéristiques susmentionnées, et
l'évaluation des ventes dans l'autre point de vente (U1,U2) en utilisant les données relatives aux ventes pour les premiers points de vente sélectionnés (S1-S5) et lesdits facteurs de pondération."
Revendication 1 selon la première requête subsidiaire déposée le 12 janvier 2004 :
"1. Méthode d'évaluation des performances de vente d'un produit dans des points de vente utilisant un système de traitement des données (U1,U2), et comprenant :
la réception des données relatives à la vente dudit produit provenant de plusieurs premiers points de vente (S1-S5) ;
la constitution d'une base de données (205) relative aux points de vente, qui contient les données géographiques et caractéristiques desdits premiers points de vente (S1-S5) et d'au moins un autre point de vente (U1,U2) ;
l'utilisation d'un processeur pour déterminer la distance dsu entre ledit autre point de vente (U1,U2) et chacun des premiers points de vente sélectionnés (S1-S5) en utilisant les données géographiques susmentionnées ;
l'utilisation dudit processeur en vue de formuler un facteur de pondération pour chacun des premiers points de vente sélectionnés et ledit autre point de vente, ledit facteur de pondération étant fonction de la distance et des données caractéristiques susmentionnées, et
l'utilisation dudit processeur pour évaluer les ventes dans l'autre point de vente (U1,U2) en utilisant les données relatives aux ventes pour les premiers points de vente sélectionnés (S1-S5) et lesdits facteurs de pondération."
Revendication 7 selon la requête principale et la première requête subsidiaire déposées le 12 janvier 2004 :
"1. Système d'évaluation des performances de vente d'un produit dans des points de vente qui comprend :
un récepteur de données (201) destiné à recevoir les données relatives aux ventes provenant de chacun des premiers points de vente sélectionnés (S1-S5),
une mémoire (205) renfermant une base de données relative aux premiers points de vente (S1-S5) et à au moins un autre point de vente (U1,U2), ladite base de données contenant des données géographiques et caractéristiques pour chacun desdits points de vente, et
un processeur (215) connecté au récepteur de données (201) et à la mémoire (205) et comprenant un programme qui permet au processeur (215) de déterminer la distance dsu entre ledit autre point de vente et chacun des premiers points de vente sélectionnés en utilisant lesdites données géographiques, de formuler un facteur de pondération pour chacun des premiers points de vente sélectionnés et pour ledit autre point de vente, ledit facteur de pondération étant fonction de la distance et des données caractéristiques susmentionnées, et d'évaluer les ventes dans l'autre point de vente en utilisant les données relatives aux ventes provenant des points de vente sélectionnés et lesdits facteurs de pondération."
Revendication 1 selon la deuxième requête subsidiaire déposée le 1er novembre 2006 :
"1. Système permettant d'évaluer, à partir d'un poste central, la distribution d'un produit dans plusieurs points de vente et comprenant :
plusieurs premiers points de vente (S1-S5) générant chacun des données sur la distribution du produit,
au moins un autre point de vente (U1,U2) ne générant pas de données sur la distribution du produit,
un récepteur de données (201) destiné à recevoir les données relatives à la distribution du produit provenant de chacun des premiers points de vente sélectionnés (S1-S5), mais pas d'au moins l'autre point de vente (U1,U2),
une mémoire (205) renfermant une base de données qui contient les données géographiques et caractéristiques concernant les premiers points de vente (S1-S5) et au moins l'autre point de vente (U1,U2) et
un processeur central (215) connecté au récepteur de données (201) et à la mémoire (205) et comprenant un programme qui permet au processeur (215) de déterminer la distance dsu entre au moins l'autre point de vente et un ou plusieurs premiers points de vente sélectionnés en utilisant les données géographiques susmentionnées, d'utiliser ladite distance et les données caractéristiques susmentionnées afin de formuler un facteur de pondération pour le premier point de vente ou chacun des premiers points de vente sélectionnés, et d'évaluer la distribution du produit dans au moins l'autre point de vente en utilisant les données relatives à la distribution provenant du ou des premiers points de vente sélectionnés et lesdits facteurs de pondération."
Revendication 1 selon la troisième requête subsidiaire déposée le 1er novembre 2006 :
"1. Système permettant d'évaluer, à partir d'un poste central, les performances de vente d'un produit dans plusieurs points de vente et comprenant :
plusieurs premiers points de vente (S1-S5) reliés au poste central,
un autre point de vente (U1,U2) non relié au poste central,
un récepteur de données (201) destiné à recevoir les données provenant de chacun des premiers points de vente sélectionnés (S1-S5),
une mémoire (205) renfermant une base de données relative aux premiers points de vente (S1-S5) et à l'autre point de vente (U1,U2), ladite base de données contenant des données géographiques et caractéristiques concernant chacun desdits points de vente, et
le processeur central comprenant un processeur (215) connecté au récepteur de données (201) et à la mémoire (205) et comprenant un programme qui permet au processeur (215) de déterminer la distance dsu entre ledit autre point de vente et chacun des premiers points de vente sélectionnés en utilisant les données géographiques susmentionnées, de formuler un facteur de pondération pour chacun des premiers points de vente sélectionnés et ledit autre point de vente, ledit facteur de pondération étant fonction de ladite distance et des données caractéristiques susmentionnées, et d'évaluer le volume des ventes dans l'autre point de vente en utilisant les données provenant des premiers points de vente sélectionnés et lesdits facteurs de pondération."
Revendication 1 selon la quatrième requête subsidiaire déposée le 1er novembre 2006 :
"1. Dispositif de gestion des stocks fondé sur les performances de vente d'un produit dans des points de vente (U1,U2) et comprenant :
un poste central (120) destiné à recevoir les données primaires relatives audit produit provenant de plusieurs premiers points de vente (S1-S5),
le poste central disposant d'une base de données (205) relative aux points de ventes qui contient des données géographiques et caractéristiques des premiers points de vente (S1-S5) et d'au moins un autre point de vente (U1,U2),
le poste central permettant de déterminer la distance dsu entre l'autre point de vente (U1,U2) et chacun des premiers points de vente sélectionnés (S1-S5) en utilisant les données géographiques susmentionnées,
le poste central permettant de formuler un facteur de pondération pour chacun des premiers points de vente sélectionnés et pour l'autre point de vente, ledit facteur de pondération étant fonction de la distance et des données caractéristiques susmentionnées, et
le poste central étant conçu aux fins d'évaluer des données secondaires relatives audit produit dans l'autre point de vente (U1,U2), en utilisant les données primaires relatives aux premiers points de vente sélectionnés (S1-S5) et lesdits facteurs de pondération, et d'utiliser les données secondaires pour évaluer les stocks dans l'autre point de vente."
Revendication 1 selon la cinquième requête subsidiaire déposée le 1er novembre 2006 :
"1. Dispositif de gestion des stocks fondé sur les performances de vente d'un produit dans des points de vente et comprenant :
un récepteur de données (201) destiné à recevoir les données primaires provenant de chacun des premiers points de vente sélectionnés (S1-S5),
une mémoire (205) renfermant une base de données relative aux premiers points de vente (S1-S5) et à au moins un autre point de vente (U1,U2), ladite base de données contenant des données géographiques et caractéristiques pour chacun desdits points de vente, et
un processeur (215) connecté au récepteur de données (201) et à la mémoire (205) et comprenant un programme permettant au processeur (215) de déterminer la distance dsu entre ledit autre point de vente et chacun des premiers points de vente sélectionnés en utilisant les données géographiques susmentionnées, de formuler un facteur de pondération pour chacun des premiers points de vente sélectionnés et l'autre point de vente, ledit facteur de pondération étant fonction de ladite distance et des données caractéristiques susmentionnées, d'évaluer des données secondaires relatives audit produit dans l'autre point de vente en utilisant les données primaires provenant desdits points de vente sélectionnés et lesdits facteurs de pondération, et d'utiliser les données secondaires pour l'évaluation des stocks dans l'autre point de vente."
V. La procédure orale devant la Chambre a eu lieu le 15 novembre 2006. Au cours de cette procédure, le requérant a produit les questions suivantes en vue d'une saisine de la Grande Chambre de recours :
"(1) Quelle est l'approche correcte à suivre pour déterminer si une invention porte sur un objet exclu de la brevetabilité en vertu de l'article 52 CBE ?
(2) Comment les éléments d'une revendication relatifs à un objet exclu de la brevetabilité doivent-ils être traités lors de l'examen de la nouveauté et de l'activité inventive au titre des articles 54 et 56 CBE ?
(3) En particulier :
3a) Un programme d'ordinateur opérationnel chargé sur un support tel qu'une puce électronique ou un disque dur d'un ordinateur est-il exclu de la brevetabilité en vertu de l'article 52(2) CBE dès lors qu'il ne produit pas d'effet technique et, si oui, que faut-il entendre par "effet technique" ?
3b) Quelles sont les caractéristiques clés de l'exclusion relative aux méthodes dans le domaine des activités économiques ?
(4) Un système d'évaluation de la distribution d'un produit dans des points de vente ne fournissant pas de données à ce sujet, système fondé sur des facteurs de pondération qui sont fonction d'une part de la distance entre les points de vente ne fournissant pas de données et des points de ventes sélectionnés qui fournissent de telles données, et d'autre part des caractéristiques (telles que la taille) des points de vente qui ne fournissent pas de données et de ceux qui en fournissent, est-il de nature technique ?
5a) Ya-t-il lieu de traiter différemment les diverses exclusions formulées à l'article 52 CBE lors de l'appréciation de l'activité inventive ?
5b) Les inventions dont il est prétendu qu'elles relèvent de l'article 52 CBE doivent-elles être examinées différemment quant à l'activité inventive que celles qui ne sont pas supposées tomber sous le coup de cet article ?"
Les questions 1, 2, 3a) et 3b) sont explicitement reprises des questions proposées en vue d'une saisine de la Grande Chambre de recours dans le jugement rendu par le Court of Appeal d'Angleterre et du Pays de Galles dans l'affaire "Aerotel/Macrossan" (voir le jugement rendu dans l'affaire Aerotel Ltd v. Telco Holdings Ltd (et al.) and Macrossan's Patent Application [2006] EWCA Civ 1371, paragraphe 76).
VI. Pendant la procédure orale devant la Chambre, le requérant a demandé l'annulation de la décision contestée et la délivrance du brevet sur la base des revendications 1 à 12 selon la requête principale ou des jeux de revendications selon les requêtes subsidiaires 1 à 5. Il a également demandé à titre subsidiaire que la Grande Chambre de recours soit saisie des questions 1 à 5 soumises lors de la procédure orale ou que l'affaire soit renvoyée à la première instance pour suite à donner.
VII. Les arguments du requérant peuvent se résumer de la façon suivante :
L'invention propose un système et une méthode permettant une évaluation plus exacte, par rapport aux méthodes et systèmes antérieurs, des ventes ou de la distribution d'un produit dans un point de vente ne fournissant pas de données à ce sujet, et ce sur la base des données échantillonnées relatives aux ventes dans des points de vente qui fournissent de telles données.
D'après le requérant, la contribution technique apportée par une invention réside en règle générale dans le progrès réalisé par rapport à ce qui était connu avant la date de priorité. Conformément à la décision T 953/94 (non publiée au JO OEB), point 3.1 des motifs, il convient de se demander si ce progrès relève ou non des exclusions prévues à l'article 52(2), (3) et (4) CBE, pour déterminer s'il est technique. Les exclusions relevant de dispositions distinctes, elles doivent être examinées séparément.
La présente invention est indépendante de toute activité économique dans la mesure où elle ne constitue pas en soi une méthode pour l'exercice d'une activité économique, même si elle peut être mise en oeuvre pour promouvoir les affaires. Le progrès réside dans une meilleure estimation des performances de vente globales de sorte qu'il est de nature technique. L'invention permet un meilleur mode de traitement des données, lesquelles constituent des entités physiques.
La création d'une base de données relative à des points de vente et l'étape consistant à déterminer des distances sont des processus techniques. Les données traitées concernent les performances de vente d'un produit dans des points de vente, un produit constituant indubitablement une entité physique. Le traitement de données qui représentent une entité physique (les performances de vente d'un produit) et sont susceptibles d'influer sur l'efficacité d'un processus (la distribution du produit) peut être qualifié d'effet technique supplémentaire au sens de la décision T 1173/97 – Produit "programme d'ordinateur"/IBM (JO OEB 1999, 609). Le calcul des distances est une caractéristique technique. A cet égard, le mécanisme permettant d'établir ces distances importe peu. Même si ces dernières peuvent être déduites des centroïdes des codes ZIP disponibles auprès des services postaux, cela ne devait pas être pris en compte pour déterminer si l'objet de l'invention est de nature technique.
En tout état de cause, l'établissement d'un facteur de pondération et la réalisation d'une évaluation fondée sur les données relatives aux ventes et sur les facteurs de pondération constituent des étapes qui impliquent clairement des considérations techniques, si bien qu'elles satisfont au critère de technicité posé dans la décision T 769/92 – Système de gestion universel/SOHEI (JO OEB 1995, 525). Le système décrit dans la revendication 7 est un dispositif au sens de la décision T 931/95 – Contrôle d'un système de caisse de retraite/PBS Partnership (JO OEB 2001, 441) et doit donc être considéré comme ayant un caractère technique.
La présente invention fournit un instrument utile pour faire fonctionner une chaîne d'approvisionnement sur un vaste territoire géographique et pour contrôler les stocks. Que le nouvel instrument puisse être utilisé en combinaison avec des procédures commerciales ne change rien au fait qu'il s'agit d'un instrument technique.
Le problème technique à résoudre consiste à trouver une technique plus précise d'évaluation des performances de vente dans un point de vente donné en utilisant un système de traitement des données relatives aux performances de vente dans d'autres points de vente, bien que ces performances soient une fonction discontinue de la localisation.
Le document D1, qui constitue l'état de la technique le plus proche, expose seulement que chaque magasin avait un dispositif interne permettant de saisir, d'interpréter, de traiter et de stocker des données en temps réel. La présente invention propose comme solution technique de mesurer les distances entre les divers points de vente, d'établir un facteur de pondération en se fondant sur ces distances pour chacun des points de vente considérés ainsi que sur leurs caractéristiques, puis de traiter ces données pour obtenir l'estimation désirée. L'état de la technique est muet sur l'utilisation de données relatives aux performances de vente dans un magasin pour évaluer celles d'un autre magasin ne fournissant pas de données à ce sujet, et ce sur la base de la distance géographique entre les magasins. Aussi l'invention est-elle clairement nouvelle et inventive par rapport à l'état de la technique.
La requête en saisine de la Grande Chambre de recours est justifiée, car le requérant réfute expressément "l'approche COMVIK" que la chambre a appliquée pour apprécier l'activité inventive dans la décision T 641/00 (Deux identités/COMVIK, JO OEB 2003, 352) et dans la décision T 931/95 (supra). Cette approche introduit une fiction juridique en ce qui concerne l'exigence d'activité inventive, qui ne procède pas d'une démarche intellectuelle honnête. Il est en effet anormal de considérer qu'une chose fait partie de l'état de la technique alors que ce n'est pas le cas. Si l'on supposait par exemple que l'homme du métier avait connaissance de la méthode mathématique et du programme d'ordinateur en tant que tels dans les décisions VICOM (T 208/84 – Invention concernant un calculateur/VICOM, JO OEB 1987, 14) ou AT&T (T 212/94, non publiée au JO OEB), la mise en oeuvre de l'invention impliquerait uniquement les étapes classiques consistant à programmer et à faire fonctionner un ordinateur. Le demandeur n'obtiendrait dès lors pas de protection pour une nouvelle invention technique et utile.
L'approche COMVIK est manifestement erronée parce qu'elle utilise des connaissances acquises a posteriori pour déterminer l'état de la technique. Par définition, celui-ci est constitué par ce qui est effectivement accessible au public, alors que le constat d'évidence dans la décision COMVIK repose sur un point de départ occulte, non révélé et, partant, sur un raisonnement défectueux. Il n'est tout simplement pas juste de dire qu'une invention est évidente sans révéler le point de départ adopté.
L'homme du métier est un praticien habituel qui n'a pas connaissance de ce qui n'est pas accessible au public. Cela vaut tant pour les divulgations non techniques ou prétendues que pour les divulgations techniques. L'"approche HITACHI" appliquée dans les décisions HITACHI (T 258/03 – Méthode d'enchères/HITACHI, JO OEB 2004, 575) et Caisse de retraite (T 931/95 supra) est erronée en ce que l'on prête à l'homme du métier, aux fins de l'appréciation de l'évidence, des intentions secrètes et jusque là inconnues à propos de la fonction à obtenir, et que l'on prétend que la fonction souhaitée était connue, ce qui n'était pas le cas.
L'industrie pharmaceutique fournit un bon exemple montrant pourquoi l'approche HITACHI est déficiente dans certains cas. La découverte (exclue de la brevetabilité) que la substance chimique XXX permet de guérir la maladie YYY constitue la clé de la mise au point d'un nouveau médicament. Une fois cette connaissance acquise, le reste du processus de mise au point d'un nouveau médicament relève de la routine et n'implique aucune activité inventive. Si l'on appliquait l'approche HITACHI, aucun brevet pharmaceutique ne serait valable.
L'approche correcte est celle que la Grande Chambre de recours a suivie dans l'avis G 1/04 – Méthodes de diagnostic (JO OEB 2006, 334), lorsqu'elle a adopté une interprétation étroite de ce qui est exclu de la brevetabilité et souligné l'importance de l'usage délibéré, par le législateur, des mots "en tant que tel" dans les dispositions d'exclusion de l'article 52 CBE.
Lors de l'examen de la brevetabilité, il convient de considérer l'invention dans son ensemble, étant donné que la combinaison des caractéristiques peut être de nature technique, même si les caractéristiques individuelles doivent être considérées comme non techniques. L'approche COMVIK est incompatible avec cette interprétation puisqu'elle revient à examiner chaque revendication dans ses différents éléments et à en extraire des caractéristiques occultes et non techniques, qui sont soi-disant connues de l'homme du métier.
VIII. La Chambre a prononcé sa décision à la fin de la procédure orale.
Motifs de la décision
1. Le recours est recevable, mais non fondé.
Pour les raisons indiquées ci-après, l'invention revendiquée dans la requête principale et les requêtes subsidiaires 1 à 3 ne remplit pas les conditions de brevetabilité, et les revendications selon les requêtes subsidiaires 4 et 5 comportent des modifications non admissibles.
Il y a lieu de rejeter la requête subsidiaire visant à renvoyer l'affaire devant la première instance pour suite à donner, étant donné qu'il serait inutile d'ordonner la poursuite de l'examen sur la base de revendications qui ne sont pas admissibles sur le fond.
La requête subsidiaire en saisine de la Grande Chambre de recours conformément à l'article 112(1)a) CBE est également rejetée. Les motifs de ce rejet étant pertinents pour statuer sur les requêtes précédentes, la requête en saisine sera examinée en premier.
Saisine de la Grande Chambre de recours
2. Conformément à l'article 112(1)a) CBE, la Grande Chambre de recours ne peut être saisie que si une décision est nécessaire pour assurer une application uniforme du droit ou si une question de droit d'importance fondamentale se pose. La réponse à la question soumise ne doit pas présenter un intérêt purement théorique ou général, mais doit être essentielle pour statuer sur le recours considéré (voir, par exemple, la décision G 3/98 – Délai de six mois/University Patents, JO OEB 2001, 62, point 1.2.3 des motifs de la décision).
En vertu de l'article 16 RPCR, la Grande Chambre de recours est saisie si une chambre juge nécessaire de s'écarter d'une interprétation ou d'une explication de la Convention figurant dans un avis antérieur ou dans une décision de la Grande Chambre de recours.
Une décision qui s'écarte d'un avis donné dans une autre décision d'une chambre de recours, un avis divergent exprimé dans des décisions de plusieurs chambres de recours ou une divergence par rapport à la jurisprudence nationale, par exemple la jurisprudence de la Court of Appeal du Royaume-Uni à laquelle s'est référé le requérant à l'appui de sa cause, ne sont pas en soi des motifs valables de saisine (voir aussi l'article 15 RPCR). Le système juridique de la Convention sur le brevet européen est donc suffisamment souple pour permettre l'évolution de la jurisprudence (qui n'est pas synonyme de "case law" au sens strict où l'entendent les Anglo-saxons) et laisse les chambres de recours libres d'exposer les raisons pour lesquelles elles rendent une décision divergente ou décident de saisir la Grande Chambre d'une question de droit. Le Président de l'Office européen des brevets peut quant à lui intervenir en vertu de l'article 112(1)b) CBE, notamment si la situation juridique devient confuse pour la première instance.
3. Dans l'intérêt de l'harmonisation des dispositions juridiques nationales et internationales, les chambres de recours tiennent compte des décisions et avis rendus par les juridictions nationales lorsqu'elles interprètent le droit (voir la décision G 5/83 – Deuxième indication médicale/EISAI, JO OEB 1985, 64, point 6 des motifs). Dans la procédure devant l'Office européen des brevets, ces considérations n'exemptent toutefois pas une chambre du devoir qui lui incombe, en tant qu'instance juridictionnelle indépendante, d'interpréter et d'appliquer la Convention sur le brevet européen et de statuer en dernier ressort en matière de délivrance de brevets. En outre, même si les dispositions juridiques sont harmonisées, il n'est pas évident que leur interprétation par différentes juridictions nationales d'un même Etat soit également harmonisée, et encore moins lorsqu'il s'agit de juridictions de différents Etats contractants, de sorte que les chambres de recours ne sauraient quelle interprétation suivre si elles ne pouvaient exercer leur libre arbitre.
4. Compte tenu des critères susmentionnés, il convient de rejeter la requête en saisine.
La question 3a) concerne la brevetabilité des programmes d'ordinateur chargés sur un support, ce qui ne fait l'objet d'aucune revendication de la demande. Par conséquent, même si elle peut présenter un intérêt général, cette question n'est absolument pas pertinente pour statuer sur le bien-fondé du présent recours.
La question 4 a trait à un sujet tout à fait particulier, à savoir la brevetabilité d'un système d'évaluation de la distribution d'un produit dans des points de vente ne fournissant pas de données à ce sujet. Il ne s'agit ni d'une question de droit d'importance fondamentale, ni d'une question qui requiert une réponse de la Grande Chambre de recours pour assurer une application uniforme du droit.
Les questions 1, 2, 3b) ainsi que 5a) et b) concernent certes des questions de droit d'importance fondamentale qui sont pertinentes pour le présent recours, mais ne justifient pas une saisine de la Grande Chambre de recours, étant donné que la Chambre n'a pas de doute sur la façon de répondre à ces questions sur la base de la Convention et conformément à la jurisprudence constante en matière de brevetabilité des inventions.
Jurisprudence relative à la brevetabilité des inventions
5. Un examen plus détaillé des questions 1, 2, 3b) et 5a) et b) montre que les problèmes soulevés se résument à l'application des articles 52, 54 et 56 CBE eu égard à des éléments et activités exclus de la brevetabilité en vertu de l'article 52(2) CBE.
Dans la mesure où elle intéresse la présente affaire, la jurisprudence constante des chambres de recours peut se résumer brièvement par les principes suivants :
A) L'article 52(1) CBE énonce les quatre exigences que doit remplir une invention pour être brevetable : il doit s'agir d'une "invention" et, si tel est le cas, celle-ci doit satisfaire aux exigences de nouveauté, d'activité inventive et d'applicabilité industrielle.
B) Une condition implicite d'une "invention" au sens de l'article 52(1) CBE est qu'elle doit présenter un caractère technique (critère de "technicité").
C) L'article 52(2) CBE n'exclut de la brevetabilité aucun objet ou activité possédant un caractère technique, même si cet objet ou cette activité se rapporte à des éléments énumérés dans cet article, étant donné que ces éléments sont seulement exclus "en tant que tels" (article 52(3) CBE).
D) Les quatre exigences (invention, nouveauté, activité inventive et applicabilité industrielle) sont pour l'essentiel des critères de brevetabilité distincts et indépendants, qui peuvent donner lieu à des objections concomitantes. La nouveauté, notamment, n'est pas une condition à remplir pour qu'il y ait invention au sens de l'article 52(1) CBE, mais une exigence de brevetabilité distincte.
E) Lors de l'examen de la brevetabilité d'une invention faisant l'objet d'une revendication donnée, il convient d'interpréter la revendication en vue de déterminer les caractéristiques techniques de l'invention, c.-à-d. les caractéristiques qui contribuent au caractère technique de l'invention.
F) Une revendication peut à la fois comprendre des caractéristiques techniques et "non techniques", les caractéristiques "non techniques" pouvant même constituer la majeure partie de l'objet revendiqué. Toutefois, la nouveauté et l'activité inventive ne peuvent reposer que sur des caractéristiques techniques, qui doivent donc être clairement définies dans la revendication. Les caractéristiques "non techniques" qui n'interagissent pas avec l'objet technique de la revendication aux fins de résoudre un problème technique, c.-à-d. les caractéristiques non techniques "en tant que telles", n'apportent pas de contribution technique à l'état de la technique et ne sont donc pas prises en compte lors de l'examen de la nouveauté et de l'activité inventive.
G) Aux fins de l'approche problème-solution, le problème doit être un problème technique que l'homme du métier du domaine technique concerné pouvait être amené à résoudre à la date de priorité. Il est possible de formuler le problème technique au moyen d'un objectif à atteindre dans un domaine non technique, cet objectif ne faisant par conséquent pas partie de la contribution technique de l'invention à l'état de la technique. A cet effet, on peut en particulier définir une contrainte à respecter (même si l'objectif provient d'une connaissance a posteriori de l'invention).
6. Ces principes sont clairement et solidement ancrés dans la Convention ainsi que dans la jurisprudence des chambres de recours et de la Grande Chambre de recours notamment.
La disposition fondamentale de la CBE qui régit la brevetabilité des inventions est l'article 52(1) CBE, lequel s'énonce comme suit :
"Les brevets européens sont délivrés pour les inventions nouvelles impliquant une activité inventive et susceptibles d'application industrielle."
Cette disposition a été modifiée comme suit dans la version révisée de la Convention (CBE 2000) :
"Les brevets européens sont délivrés pour toute invention dans tous les domaines technologiques, à condition qu'elle soit nouvelle, qu'elle implique une activité inventive et qu'elle soit susceptible d'application industrielle."
L'article 52(1) CBE pose le principe fondamental selon lequel les inventions peuvent obtenir une protection par brevet dans tous les domaines technologiques (voir les décisions G 5/83 (supra), point 21 des motifs; G 1/98 - Plante transgénique/NOVARTIS II (JO OEB 2000, 111), point 3.9 des motifs; G 1/03 - Disclaimer/PPG (JO OEB 2004, 413), point 2.2.2 des motifs, G 1/04 (supra), point 6 des motifs). Par conséquent, toute limitation du droit général à l'obtention d'une protection par brevet ne relève pas du pouvoir d'appréciation du juge, mais doit avoir un fondement juridique clair dans la Convention sur le brevet européen.
L'application de l'article 52(1) CBE pose un problème d'interprétation, étant donné qu'il n'existait pas de définition juridique ou généralement admise du terme "invention" lors de l'adoption de la Convention en 1973. L'OEB n'a entre-temps pas formulé non plus de définition explicite, et ceci pour de bonnes raisons. Le deuxième paragraphe de l'article 52 CBE n'est qu'une simple liste négative et non exhaustive de ce qui ne doit pas être considéré comme une invention au sens de l'article 52(1) CBE. Il est clair que les Etats contractants n'ont pas voulu conférer un champ d'application trop étendu à cette liste d'éléments exclus de la brevetabilité, comme cela ressort de la genèse de l'article 52(2) CBE (alors l'article 50), lequel a été modifié à l'initiative de la délégation allemande sur la base du raisonnement suivant :
"On pourrait en tirer la conclusion erronée que les notions mentionnées au paragraphe 2 ne faisant pas l'objet d'une telle restriction doivent être interprétées de manière extensive."
(cf. Travaux préparatoires relatifs à la Convention sur le brevet européen, Munich 1999, document M/11 de mars 1973, vol. 35E, n° 21 et document M/PR/I, vol. 42E, n° 42).
Le paragraphe 3 du présent article 52 CBE a été introduit pour éviter une telle interprétation extensive de l'article 52(2) CBE. En se référant explicitement à la "brevetabilité des éléments", le paragraphe 3 consacre de fait le droit à la protection par brevet pour les non-inventions énumérées au paragraphe 2, tout en le limitant lorsqu'il exclut la brevetabilité "dans la mesure où la demande de brevet européen ou le brevet européen ne concerne que l'un de ces éléments, considéré en tant que tel".
7. L'article 52(3) CBE visait manifestement à garantir que tout ce qui constituait auparavant une invention brevetable, conformément aux critères classiques de brevetabilité, le soit encore en vertu de la Convention sur le brevet européen. Le fait, par exemple, que la Suisse, en tant qu'Etat contractant, ait jugé inutile ("überflüssig") d'inclure le contenu de l'article 52(2) et (3) CBE dans sa législation nationale lorsqu'elle l'a harmonisée avec la CBE (voir le message du Conseil fédéral à l'Assemblée fédérale au sujet des trois traités en matière de brevets et de la modification de la loi sur les brevets, 76.021, 24 mars 1976, page 67), montre également qu'il n'était pas dans l'intention des pères de la Convention d'opérer un changement radical.
Comme indiqué dans la décision VICOM (T 208/84, supra), au point 16 des motifs, "le critère déterminant [pour que l'invention soit brevetable] [est] la contribution qu'apporte à l'état de la technique l'invention telle que définie dans la revendication et considérée dans son ensemble". Ce principe se rapporte à une invention brevetable, c.-à-d. à une invention qui remplit tous les critères de brevetabilité prévus dans la Convention. La décision VICOM ne pose pas le principe que la contribution technique de l'invention à l'état de la technique est le véritable critère à appliquer lorsqu'il s'agit de déterminer s'il y a invention.
Les chambres de recours, tenant compte de l'objet et de la finalité des conditions de brevetabilité ainsi que de la pratique juridique dans les Etats parties à la CBE, ont estimé que le caractère technique de l'invention est le critère général inhérent auxparagraphes 2 et 3 de l'article 52 CBE (voir, par exemple, les décisions T 22/85 – Résumé et recherche de documents/IBM (JO OEB 1990, 12), point 3 des motifs, T 931/95 - Caisse de retraite (supra), point 2 des motifs, et plus récemment T 619/02 – Sélection d'odeurs/QUEST INTERNATIONAL (JO OEB 2007, 63), point 2.2 des motifs, ainsi que T 930/05 - Modellieren eines Prozessnetzwerkes/XPERT (non publiée au JO OEB), point 2 des motifs). Si un produit, un procédé ou autre présente un caractère technique, il n'est pas exclu de la brevetabilité en vertu des paragraphes 2 et 3 de l'article 52 CBE, même s'il porte, d'un point de vue formel, sur un des éléments énumérés au paragraphe 2.
8. On s'est en effet toujours accordé sur le fait que les créations dans les domaines de la technique peuvent bénéficier d'une protection par brevet en vertu de la Convention sur le brevet européen. Comme l'a estimé la chambre dans la décision T 930/05 (supra), point 2 des motifs, ce critère découle de la logique interne de l'article 52(1) et (2) CBE. Le simple fait que l'article 52(2) CBE contient une liste non exhaustive ("notamment") des éléments qui ne doivent pas être considérés comme des inventions montre qu'il doit exister un critère d'exclusion commun à l'ensemble de ces éléments, qui permettrait éventuellement de compléter la liste. L'énumération à l'article 52(2) CBE des non-inventions typiques comprend des éléments ayant en commun d'être dénués de caractère technique. En fin de compte, le libellé de la disposition découle de la notion classique d'invention qui a été adoptée, laquelle établit une distinction entre les applications scientifiques pratiques et les réalisations intellectuelles en général. Le rapport entre la notion d'invention et le caractère technique de l'invention s'impose d'emblée, car la liste des exclusions figurant à l'article 52(2) CBE, avec sa référence à l'article 52(1) CBE, doit être considérée comme une définition négative de la notion d'invention. Ce rapport est également inhérent à d'autres dispositions de la CBE, telles que les articles 18 et 56 ainsi que les règles 27(1) et 29(1) CBE, qui expriment clairement ce principe de base du droit des brevets.
La Conférence des Etats contractants pour la révision de la Convention sur le brevet européen, qui s'est déroulée du 20 au 29 novembre 2000, a confirmé expressément que le caractère technique était une condition juridique de l'invention. Le texte révisé de l'article 52(1) CBE a été approuvé par les Etats contractants sur la base de la proposition de base pour la révision de la Convention sur le brevet européen (document MR/2/00), laquelle est donc, en tant qu'élément constitutif d'un accord ultérieur des Etats contractants relatif à la CBE, un instrument valable pour interpréter la Convention conformément aux règles classiques d'interprétation (voir la décision G 5/83 (supra), point 5 des motifs, règle n°4, et l'article 31 correspondant de la Convention de Vienne de 1969 sur le droit des traités).
La proposition de base confirme clairement que les inventions techniques peuvent en tout état de cause, quelle que soit leur nature, bénéficier d'une protection par brevet (MR/2/00f, page 43, n°1) et que le caractère technique est une condition sine qua non que toute invention brevetable doit remplir. Le paragraphe 4 ne laisse aucun doute à ce sujet :
"4. Néanmoins, il y a lieu de maintenir que la protection par brevet est réservée aux créations dans le domaine de la technique. La nouvelle rédaction de l'article 52(1) CBE exprime désormais cela clairement. Pour être brevetable, l'objet revendiqué doit avoir un "caractère technique" ou - pour donner une définition plus précise - avoir pour objet "un enseignement pratique en matière technique", c'est-à-dire qu'il doit enseigner à l'homme du métier comment s'y prendre pour résoudre un problème technique donné en mettant en oeuvre certains moyens techniques. C'est également ainsi qu'est comprise la notion d'invention dans la pratique en matière de délivrance suivie par l'OEB et dans la jurisprudence des chambres de recours. L'évaluation des programmes d'ordinateur ne saurait se faire autrement.
C'est donc toujours à la jurisprudence et à la pratique de l'OEB qu'il reviendrait de déterminer si un objet revendiqué comme invention a un caractère technique, et de poursuivre d'une manière appropriée le développement du concept d'invention à la lumière de l'évolution technique et de l'état des connaissances du moment."
9. La présence d'un caractère technique dans une invention est (à l'instar de l'applicabilité industrielle) une condition absolue qui n'implique pas nécessairement une contribution nouvelle à l'état de la technique. Toutefois, une invention brevetable, c'est-à-dire qui répond à toutes les conditions de brevetabilité, doit bien entendu apporter à l'état de la technique une contribution technique nouvelle et inventive.
Il découle clairement du texte de l'article 52(1) CBE et de l'emploi du terme "invention" dans le contexte des critères de brevetabilité que les exigences d'invention, de nouveauté, d'activité inventive et d'applicabilité industrielle constituent des critères distincts et indépendants, qui peuvent donner lieu à des objections concomitantes.
Cette interprétation de l'article 52(1) CBE est clairement fondée sur la jurisprudence de la Grande Chambre de recours. Ainsi, dans la décision G 2/88 – Additif réduisant le frottement/Mobile Oil III (JO OEB 1990, 93), la Grande Chambre de recours, invoquant l'exemple d'une découverte dépourvue de caractéristiques techniques nouvelles, a déclaré aux points 7.2, 7.3 et 8 des motifs que :
"7.2 […] la revendication n'indique pas de caractéristique technique nouvelle et est inadmissible au regard de l'article 54(1) et (2) (car les seules caractéristiques techniques indiquées dans la revendication sont connues).
7.3 Dans le cas d'une revendication n'indiquant pas de caractéristique technique nouvelle, il n'est évidemment pas nécessaire d'examiner si l'invention revendiquée concerne une découverte […] ou si elle est exclue par ailleurs de la brevetabilité en vertu de l'article 52(2) CBE.
8. […] Dans certains cas, il se peut que des objections soient soulevées concurremment au titre des articles 54(1) et (2) et 52(2) et (3) CBE. Il s'agit toutefois d'objections distinctes."
Dans la décision G 1/95 – Nouveaux motifs d'opposition/DE LA RUE (JO OEB 1996, 615), la Grande Chambre de recours a déclaré aux points 4 s. :
" 4.3 […] mis à part le rappel de la définition générale des inventions brevetables selon l'article 52(1) CBE et des exceptions à la brevetabilité selon l'article 53 CBE, il n'est fait référence à l'article 100a) CBE qu'à un certain nombre de définitions données à l'article 52, paragraphes 2, 3 et 4, et aux articles 54 à 57 CBE, qui précisent ce qu'il faut entendre par "invention", "nouveauté", "activité inventive" et "application industrielle", termes qui, utilisés en conjonction avec l'article 52(1) CBE, définissent des exigences spécifiques et représentent donc des motifs d'opposition distincts en ce sens qu'ils constituent des objections ou des fondements juridiques distincts pour la formation d'une opposition."
Dans la décision T 1002/92 - Séquence d'attente des clients/PETTERSSON (JO OEB 1995, 605), le requérant avait soutenu que l'objet revendiqué n'impliquait aucune contribution à l'état de la technique dans un domaine non exclu de la brevetabilité, étant donné que la seule caractéristique de la revendication non divulguée dans l'état de la technique n'était pas de nature technique. A ce propos, la Chambre a déclaré au point 1 des motifs de la décision que :
"D'après la Chambre, ces arguments témoignent d'une interprétation erronée de la relation existant entre l'article 52 et l'article 56 CBE. La première question qu'il convient de se poser dans un cas comme celui-ci est de savoir si le requérant a raison d'affirmer que l'objet de la revendication 1 ne constitue pas une "invention" au sens de l'article 52(1) CBE. Si, contrairement à ce que prétend le requérant, cet objet n'est pas exclu de la brevetabilité en vertu de l'article 52 CBE, une autre question qui se pose, qui a également été soulevée par le requérant, est de savoir si cet objet implique une activité inventive."
10. Par conséquent, il convient d'examiner séparément si l'on est en présence d'une invention au sens de l'article 52(1) à (3) CBE et de ne pas confondre cette exigence avec les trois autres conditions de brevetabilité énoncées à l'article 52(1) CBE. Cette distinction a pour effet d'abstraire la notion d'"invention", en tant que condition absolue et générale de brevetabilité, par rapport aux critères relatifs de la nouveauté et de l'activité inventive, lesquelles sont ordinairement considérées comme étant les attributs de toute invention, et par rapport à l'exigence d'applicabilité industrielle. Le caractère inhérent de l'objet revendiqué est décisif pour déterminer si l'on est en présence d'une invention (potentiellement brevetable).
11. La distinction entre l'exigence absolue d'invention et les exigences relatives de nouveauté et d'activité inventive n'est pas inconnue dans la jurisprudence nationale. Ainsi, Lord Justice Mustill de la Court of Appeal d'Angleterre et du Pays de Galles a fait observer dans le jugement rendu dans l'affaire Genentech Inc.'s Patent [1989] R.P.C. 147, pages 262 s. :
"La suggestion selon laquelle il convient d'identifier l'invention m'amène à évoquer un aspect de l'affaire qui m'a semblé particulièrement complexe. L'essentiel des arguments s'est concentré sur les trois conditions énumérées aux paragraphes a) à c) de l'article 1(1) et que l'invention doit remplir pour qu'un brevet soit délivré, ce qui est compréhensible vu la formulation de l'ancienne législation. Toutefois, cette approche tend à dissimuler l'existence d'une condition encore plus fondamentale à remplir pour qu'un brevet puisse être valablement délivré, à savoir que le demandeur doit avoir réalisé une "invention". [...]
[...] A mon avis, ceci montre qu'il convient de déterminer en premier lieu si la revendication divulgue un objet susceptible d'être qualifié d'invention avant d'examiner s'il satisfait aux conditions visées aux paragraphes a) à d). Cela ressort de manière encore plus évidente du texte de l'article 52 dans les trois langues. [...]
[...] A première vue, cela pourrait sembler compliquer inutilement les choses, puisque les paragraphes a) à c) définissent déjà ce qui est susceptible de bénéficier d'un monopole, et il pourrait sembler absurde de parler d'une invention qui n'impliquerait pas d'activité inventive, comme il faut s'y préparer si l'interprétation qui vient d'être suggérée est correcte [...].
Par conséquent, même s'il arrive fréquemment que l'objection formulée contre un brevet selon laquelle ce dernier protège une chose qui n'est pas une invention se recoupe avec une autre objection potentielle, ce qui n'est pas nouveau en droit des brevets, il s'agit néanmoins d'un aspect distinct qui, le cas échéant, doit être examiné séparément."
La Cour fédérale de justice allemande (Bundesgerichtshof) a adopté une interprétation extensive similaire de la notion d'"invention". Ainsi, dans l'arrêt X ZB 20/03 - Elektronischer Zahlungsverkehr [Paiements électroniques] du 24 mai 2004 (voir les points II 3. b) (1) et II 4. des motifs de la décision), elle a déclaré ce qui suit :
"(1) [...] Toutefois, la question de savoir jusqu'à quel point un objet est connu est un aspect lié aux conditions de brevetabilité que sont la nouveauté et l'activité inventive (articles 3 et 4 de la loi allemande sur les brevets) et non aux exclusions de la brevetabilité. Comme la chambre l'a déjà indiqué à propos du critère de technicité (BGHZ 143, 255, 263 – Vérification de la logique), même dans le cas d'enseignements ayant trait aux ordinateurs ou utilisant le traitement des données, l'examen de la question de savoir s'il existe un problème technique concret à résoudre et si une solution est proposée ou, à défaut, si l'une des exclusions de la brevetabilité prévues à l'article 1, paragraphe 2, point 3, et paragraphe 3 de la loi sur les brevets s'applique, ne saurait dépendre, en définitive, de la question de savoir si la proposition à examiner est nouvelle et inventive.
"4. Pour cette raison, le Tribunal fédéral des brevets devra soumettre la demande à un nouvel examen au fond, sans avoir à respecter un ordre particulier en ce qui concerne l'examen des conditions de brevetabilité prévues dans la loi et des exclusions de la brevetabilité. [...]"
(Traduction de l'allemand :
"(1) [...] Dessen Bekanntheit hingegen ist ein Gesichtspunkt, den nicht die Frage eines Patentierungsausschlusses, sondern die nach den Patentierungsvoraussetzungen der Neuheit und der erfinderischen Tätigkeit (§§ 3, 4 PatG) berührt. Wie der Senat bereits hinsichtlich des Erfordernisses der Technizität ausgeführt hat (BGHZ 143, 255, 263 - Logikverifikation), darf auch bei computerbezogenen oder Datenverarbeitung nutzenden Lehren die Wertung, ob ein konkretes technisches Problem besteht und gelöst wird oder ob mangels eines solchen ein gesetzlicher Patentierungsausschluss nach § 1 Abs. 2 Nr. 3, Abs. 3 PatG greift, im Ergebnis nicht davon abhängen, ob der zu beurteilende Vorschlag neu und erfinderisch ist."
"4. Das Bundespatentgericht wird deshalb die Anmeldung einer erneuten sachlichen Prüfung unterziehen müssen, wobei hinsichtlich der gesetzlichen Patentierungsvoraussetzungen und Patentierungsausschlüsse keine bestimmte Prüfungsreihenfolge eingehalten werden muss. [...]")
12. Ces points de vue sont parfaitement en accord avec la notion juridique d'"invention" qui est appliquée par la Chambre dans le contexte de l'article 52(1) à (3) CBE et qu'il ne faut pas confondre avec la notion ordinaire d'invention telle que la comprend une personne non initiée, à savoir en tant que contribution nouvelle et souvent inventive à l'état de la technique. Il serait erroné sur le plan juridique d'appliquer simultanément ces deux conceptions fort différentes de l'invention.
"L'approche fondée sur l'effet technique", qui a été approuvée par Lord Justice Jacob dans la décision Aerotel/Macrossan (voir les paragraphes n° 26(2) et 38), semble reposer sur le sens ordinaire ci-dessus du mot invention, ce qui paraît compréhensible "vu la formulation de l'ancienne législation" (Lord Justice Mustill, passage cité). Une telle pratique est toutefois incompatible avec une interprétation de bonne foi de la Convention sur le brevet européen conformément à l'article 31 de la Convention de Vienne de 1969 sur le droit des traités.
Toute référence à l'état de la technique dans le contexte de l'article 52(2) et (3) CBE conduirait en effet à des difficultés insurmontables. L'art antérieur, ou "état de la technique" selon la terminologie de la Convention, est une notion complexe régie avec précision par une combinaison de dispositions, à savoir les articles 54 à 56 CBE, et dont le contenu dépend des dates de dépôt et de priorité de la demande ou du brevet ainsi que de la condition de brevetabilité impliquée. Il n'existe toutefois aucune règle qui définit l'état de la technique à appliquer dans le contexte de l'article 52(2) CBE. Or, il est tout simplement inconcevable que les Etats contractants aient oublié un point aussi important lors de l'adoption de la Convention. Il existe donc des raisons convaincantes pour lesquelles il convient d'abandonner l'approche fondée sur la "contribution" ou l'"effet technique", ce que les chambres de recours ont fait il y a une dizaine d'années.
13. Une autre raison pour laquelle "l'approche fondée sur l'effet technique (avec la condition)", qui a été appliquée dans la décision Aerotel/Macrossan, est incompatible avec la Convention sur le brevet européen est qu'elle présuppose qu'un "objet nouveau et inventif, mais entièrement exclu de la brevetabilité", ne compte pas comme contribution technique (Aerotel/Macrossan, p. ex. paragraphe 26(2)). Ceci n'a aucun fondement dans la Convention et n'est pas conforme aux critères conventionnels de brevetabilité. Ainsi, dans la décision G 2/88 (supra), la Grande Chambre de recours a déclaré au point 8 des motifs à propos des méthodes mathématiques et des découvertes que :
"[...], comme il a été affirmé dans la décision T 208/84 [...] (il s'agissait dans cette affaire d'une méthode mathématique et non d'une découverte, mais le principe posé reste valable), le fait que l'idée ou le concept qui sous-tend l'objet de la revendication constitue une découverte n'implique pas nécessairement que l'objet revendiqué soit une découverte 'en tant que telle'."
Une caractéristique non technique peut effectivement agir réciproquement avec des éléments techniques de manière à produire un effet technique, par exemple si elle contribue à la solution technique d'un problème technique (voir par exemple l'avis G 1/04 (supra), points 5.2 s. des motifs). Si cela est vrai pour un élément purement et simplement exclu, par exemple pour l'exercice d'activités intellectuelles cité dans l'avis susmentionné, il doit être pris en compte comme contribution au caractère technique de l'invention dans la mesure où il contribue à l'effet technique.
14. Si une invention ne doit pas nécessairement être nouvelle pour établir son caractère technique, l'inverse est faux étant donné que la nouveauté et l'activité inventive ne peuvent être déterminées que sur la base des caractéristiques techniques de l'invention. Ceci est conforme à la jurisprudence des chambres de recours. Ainsi, dans la décision G 2/88 (supra), la Grande Chambre de recours a déclaré au point 7 des motifs que :
"7. [...], les revendications d'un brevet européen doivent clairement définir les caractéristiques techniques de l'invention et, par conséquent, son objet technique, afin de permettre de déterminer la protection conférée par le brevet et d'apprécier par rapport à l'état de la technique si l'invention revendiquée est nouvelle, entre autres. Pour pouvoir être considérée comme nouvelle, l'invention revendiquée doit se distinguer de l'état de la technique par au moins une caractéristique technique essentielle.
Donc, lorsqu'il s'agit de décider si une revendication est nouvelle, il est essentiel d'analyser tout d'abord cette revendication afin de déterminer quelles sont les caractéristiques techniques qu'elle comporte."
"7.2 [...] si la revendication, correctement interprétée, ne comporte pas de caractéristique technique témoignant de la nouveauté de cette utilisation, et que dans le texte de la revendication faisant valoir la nouveauté de cette utilisation sans définir de caractéristique technique, cette nouveauté a un caractère purement intellectuel, la revendication n'indique pas de caractéristique technique nouvelle et est inadmissible au regard de l'article 54(1) et (2) CBE (car les seules caractéristiques techniques indiquées dans la revendication sont connues)."
15. Il résulte de la distinction faite entre caractéristiques techniques et non techniques ("caractère purement intellectuel" dans le passage cité ci-dessus) que les caractéristiques non techniques, dans la mesure où elles n'entrent pas en interaction avec des caractéristiques techniques de façon à produire un effet technique, ne peuvent établir la nouveauté ou l'activité inventive (voir aussi les décisions citées dans "La Jurisprudence des Chambres de recours de l'Office européen des brevets", 5e édition, décembre 2006, Office européen des brevets 2006, chapitre I.D.8.4). Dans la décision Aerotel/Macrossan, il est dit au point 27 que : "considérer que la nouvelle œuvre musicale ou le nouveau récit fait partie de l'état de la technique (le dispositif dans les affaires Caisse de retraite et Hitachi) manque tout simplement de probité intellectuelle". C'est toutefois passer à côté de l'approche appliquée par la Chambre pour déterminer les caractéristiques techniques d'une revendication lorsque les éléments techniques et non techniques sont étroitement mêlés dans une revendication mixte, comme cela est typique des inventions mises en œuvre par ordinateur (voir, par exemple, la décision T 172/03 - Order management/RICOH (non publiée au JO OEB), points 4 s. des motifs, et la décision T 619/02 (supra), point 4.2 des motifs).
16. Aux fins de l'approche problème-solution, qui a été conçue comme test pour déterminer si l'invention satisfait à l'exigence d'activité inventive, le problème doit être de nature technique (voir la décision COMVIK T 641/00 (supra), points 5 s. des motifs). Il est toutefois difficile de définir le problème technique si le concept nouveau et inventif qui est au cœur de l'invention revendiquée ne se situe dans aucun domaine technique, comme c'est souvent le cas pour les inventions mises en œuvre par ordinateur. Vouloir définir le problème sans évoquer cet aspect non technique de l'invention, pour autant que ce soit possible, aboutira généralement soit à une définition tronquée et inintelligible, soit à une formulation artificielle qui ne reflète pas de manière appropriée la contribution technique réelle apportée à l'état de la technique.
C'est pourquoi la chambre, dans la décision COMVIK, a estimé qu'un but à atteindre dans un domaine non technique pouvait être énoncé dans la formulation du problème, en tant que partie du cadre dans lequel s'inscrit le problème technique à résoudre, notamment comme contrainte à respecter (point 7 des motifs). Une telle formulation présente également l'avantage que les aspects non techniques de l'invention revendiquée, qui portent en général sur des desiderata, idées et concepts non brevetables et concernent la phase précédant l'invention, sont automatiquement exclus lors de l'examen de l'activité inventive et ne peuvent être confondus avec des caractéristiques techniques contribuant à l'activité inventive. Etant donné que seuls les aspects et caractéristiques techniques de l'invention revendiquée doivent être pris en compte pour apprécier l'activité inventive, c.-à-d. que l'innovation doit concerner la partie technique et non pas relever d'un domaine non brevetable (voir aussi les décisions T 531/03 - Discount certificates/CATALINA (non publiée au JO OEB), points 2 s. des motifs, et T 619/02 (supra), point 4.2.2 des motifs), peu importe qu'un tel but non technique soit connu ou non avant la date de priorité de la demande.
Bien qu'elle n'ait pas été formulée explicitement avant la décision T 641/00 (COMVIK), cette approche est conforme à la jurisprudence des chambres de recours, comme le montre l'analyse de plusieurs décisions antérieures effectuée dans la décision T 764/02 - Banking Services/ONLINE RESOURCES (non publiée au JO OEB), point 11 des motifs.
17. En résumé, la pratique et la jurisprudence de la Chambre citées dans les questions 1, 2, 3b) et 5a) et b) sont solidement ancrées dans la Convention et sont conformes à la jurisprudence des chambres de recours et de la Grande Chambre de recours. Il n'est donc pas nécessaire, pour statuer en l'espèce, que la Grande Chambre de recours réponde à l'une quelconque de ces questions. Dès lors, la requête en saisine de la Grande Chambre de recours doit être rejetée.
Brevetabilité : le critère d'invention
Requête principale
18. La revendication 1 selon la requête principale définit une méthode d'évaluation des performances de vente d'un produit dans un point de vente (ne fournissant pas de données à ce sujet). Les ventes estimées sont calculées essentiellement en établissant une corrélation entre les données relatives aux ventes dans des points de vente fournissant des données, en fonction de la distance respective entre ces points de vente et ceux qui ne fournissent pas de données (voir la revendication 1 et la publication WO, page 4, lignes 33 s. et page 8, lignes 3 à 36, par exemple). Une telle méthode n'est pas une invention au sens de l'article 52(1) à (3) CBE.
19. La production d'informations relatives à des performances de vente ou d'autres données commerciales, et ce en utilisant des méthodes mathématiques et statistiques pour évaluer des données recueillies de l'environnement commercial sélectionné, est une activité de recherche commerciale qui, à l'instar d'autres méthodes de recherche, ne contribue pas à résoudre un problème technique dans un domaine technique quelconque. La Chambre estime que par analogie avec les plans, principes et méthodes dans le domaine des activités économiques, les méthodes de recherche commerciale sont exclues "en tant que telles" de la brevetabilité en vertu de l'article 52(2)c) et (3) CBE.
20. Agir en interaction avec le monde physique et exploiter les informations y afférentes sont le propre de toute activité commerciale. Or, l'exclusion des méthodes dans le domaine des activités économiques au titre de l'article 52(2)c) CBE serait sans objet si l'on considérait de telles caractéristiques comme suffisantes pour établir la brevetabilité. Aussi la Chambre estime-t-elle que le recueil et l'évaluation de données dans le cadre d'une méthode de recherche commerciale ne confèrent pas de caractère technique à une méthode de recherche commerciale, même si les données concernent des paramètres physiques ou des informations géographiques comme en l'espèce, à moins que lesdites étapes contribuent à la solution technique d'un problème technique.
21. Etablir des données relatives à la vente d'un produit ainsi que des distances géographiques entre des points de vente et utiliser ces données pour évaluer les ventes dans des points de vente particuliers à l'aide de la méthode statistique revendiquée et divulguée dans la demande ne résolvent aucun problème technique dans un domaine technique. Les définitions figurant dans la revendication 1 n'impliquent pas l'utilisation de moyens ou de systèmes techniques. Le terme "base de données", en particulier, peut s'interpréter comme désignant toute collection de données, de sorte que la revendication 1 englobe des méthodes susceptibles d'être mises en œuvre sans aucun moyen technique.
La méthode selon la revendication 1 est donc exclue de la brevetabilité en vertu de l'article 52(1), (2)c) et (3) CBE.
Requête subsidiaire 1
22. La requête subsidiaire 1 revendique explicitement des moyens techniques (processeur) pour réaliser les étapes individuelles de la méthode. Il découle de la décision HITACHI T 258/03 (supra), points 4.1 à 4.7 des motifs, que la méthode revendiquée est une invention au sens de l'article 52(1) EPC.
Exigence d'activité inventive
23. Pour l'appréciation de l'activité inventive, il est possible d'examiner ensemble la revendication de système 7 selon la requête principale et la requête subsidiaire 1, ainsi que la revendication de système 1 selon les requêtes subsidiaires 2 et 3, étant donné que l'objet technique de ces revendications ne présente que des différences minimes.
24. Le système revendiqué consiste essentiellement en un poste central relié à plusieurs premiers points de vente qui fournissent des données sur leurs performances de vente au poste central en vue d'évaluer les ventes (distribution des produits, volume des ventes) dans au moins un autre point de vente (ne fournissant pas de données). Tous s'accordent sur le fait que le document D1 constitue un état de la technique pertinent et un point de départ adéquat pour apprécier l'activité inventive d'un tel système.
25. Selon la terminologie de la présente demande, le document 1 divulgue un système qui comprend plusieurs premiers points de vente (figure 1 : magasin 1,..., magasin N) fournissant des données sur les ventes, leur volume et la distribution du produit (identification du point de vente au détail, date de la transaction, code universel du produit CUP, quantités achetées etc., ces données permettant une analyse du panier de la ménagère, voir colonne 7, lignes 19 à 45).
De plus, ce système connu comporte un poste central ("poste central 24", voir les figures 1 et 7) qui reçoit, au moyen d'un récepteur de données ("téléphone 102"), les données relatives aux ventes provenant de chaque premier point de vente (voir colonne 11, lignes 14 à 23, et colonne 16, lignes 19 à 35). Une mémoire stocke une base de données qui contient des données relatives à chaque point de vente ("très grand dispositif de stockage à accès direct DASD 112", voir en particulier la colonne 16, lignes 40 à 45). Cette base de données stocke les données nécessaires aux analyses de marché, telles que les données caractéristiques et géographiques (voir colonne 7, lignes 21 s., et colonne 19, lignes 66 s.).
Un processeur central/processeur ("processeur central 110", "processeur central 114", voir la figure 7 et la colonne 16, lignes 49 à 55) traite les données, par exemple "en effectuant des calculs statistiques nécessaires pour établir des rapports destinés aux clients du système d'étude de marché".
26. Le système revendiqué selon les présentes requêtes se distingue de l'état de la technique susmentionné par les caractéristiques suivantes :
- il y a au moins un autre point de vente qui ne fournit pas de données relatives aux ventes/à la distribution du produit et/ou qui n'est pas relié au poste central ;
- le système fournit une analyse de marché différente. Les données relatives aux ventes, les données géographiques et autres données caractéristiques sont traitées de façon à évaluer les performances de ventes/la distribution d'un produit/le volume des ventes dans au moins un autre point de vente sur la base d'une méthode et d'un algorithme spécifiquement divulgués dans la présente demande.
27. La contribution à l'état de la technique réside dans l'utilisation du système connu pour réaliser une analyse de marché de type nouveau, qui diffère des calculs statistiques divulgués dans le document D1 et qui exige par conséquent la mise en œuvre d'un nouvel algorithme en vue de traiter les données relatives aux ventes et d'obtenir les informations souhaitées relatives aux points de vente ne fournissant pas de données. Toutefois, ceci n'implique pas l'utilisation de moyens techniques nouveaux. La contribution à l'état de la technique se limite donc à la mise en œuvre du nouvel algorithme.
28. Pour les raisons susmentionnées, ce nouvel algorithme et la méthode d'évaluation des performances de vente dans un point de vente ne fournissant pas de données font partie d'une méthode de recherche commerciale et ne contribuent pas à résoudre un quelconque problème technique. Il convient donc de ne pas en tenir compte lors de l'appréciation de l'activité inventive. Le seul aspect technique du système revendiqué, à savoir l'utilisation d'un processeur pour mettre en œuvre la méthode non technique et l'algorithme correspondant, est une conséquence évidente de l'utilisation de systèmes informatiques pour effectuer des analyses de marché, comme dans le document D1. Par conséquent, il ne peut être fait droit à la requête principale et aux requêtes subsidiaires 1 à 3 pour défaut d'activité inventive (article 56 CBE).
Modifications non admissibles (requêtes subsidiaires 4 et 5)
29. La revendication 1 selon les requêtes subsidiaires 4 et 5 porte sur "un dispositif de gestion des stocks fondé sur les performances de vente d'un produit dans des points de vente". Cependant, la demande telle que déposée ne divulgue pas la gestion des stocks en tant qu'objet de l'invention. La demande porte dans son ensemble sur l'évaluation des performances de vente dans au moins un point de vente ne fournissant pas de données (voir, par exemple, le résumé de l'invention, pages 4 à 10, et les revendications telles que déposées initialement). La référence très succincte à la "gestion appropriée des stocks", page 1, a trait uniquement à l'arrière-plan de l'invention, et non à l'invention concrète divulguée dans la demande. Les pièces de la demande ne contiennent aucune indication susceptible d'inciter l'homme du métier, à partir de l'évaluation des performances de vente dans un point de vente ne fournissant pas de données, à passer à la gestion des stocks, et encore moins à concevoir comment les données estimées pourraient servir à une telle gestion.
Le requérant a prétendu qu'une telle idée découlait de façon évidente, pour le lecteur initié, de la divulgation initiale. Toutefois, cela ne remplit pas la condition prévue à l'article 123(2) CBE selon laquelle les modifications doivent pouvoir être déduites directement et sans aucune équivoque de la divulgation initiale. La revendication 1 selon les requêtes subsidiaires 4 et 5 n'est dès lors pas admissible en vertu de l'article 123(2) CBE.
Dispositif
Par ces motifs, il est statué comme suit :
Le recours est rejeté.