CHAMBRES DE RECOURS
Décision intermédiaire de la Chambre de recours technique 3.2.01 en date du 24 juin 2024 - T 439/22
(Traduction)
Composition de la Chambre :
Président : | G. Pricolo |
Membres : | V. Vinci |
Intimé/Titulaire du brevet :
Philip Morris Products S.A.
Requérant/Opposant :
Yunnan Tobacco International Co., Ltd.
Référence :
Feuille froncée
Dispositions juridiques pertinentes :
Articles 52(1), 54, 56, 69(1), 112(1)a) CBE
Mots-clés :
Saisine de la Grande Chambre de recours
Interprétation des revendications
Exergue :
Les questions suivantes sont soumises à la Grande Chambre de recours à la fois pour assurer une application uniforme du droit [cf. point 3] et parce qu'une question de droit d'importance fondamentale se pose [cf. point 4] :
1. L'article 69(1), deuxième phrase CBE et l'article premier du protocole interprétatif de l'article 69 CBE doivent-ils être appliqués à l'interprétation des revendications de brevet lors de l'appréciation de la brevetabilité d'une invention en vertu des articles 52 à 57 CBE ? [cf. points 3.2, 4.2 et 6.1]
2. La description et les figures peuvent-elles être consultées lors de l'interprétation des revendications pour apprécier la brevetabilité et, dans l'affirmative, peuvent-elles l'être en général ou seulement si la personne du métier estime qu'une revendication n'est pas claire ou est ambiguë lorsqu'elle est lue isolément ? [cf. points 3.3, 4.3 et 6.2]
3. Une définition ou des informations similaires concernant un terme utilisé dans les revendications qui sont explicitement fournies dans la description peuvent-elles être ignorées lors de l'interprétation des revendications pour apprécier la brevetabilité et, dans l'affirmative, dans quelles conditions ? [cf. points 3.4, 4.4 et 6.3]
Exposé des faits et conclusions
I. Le recours est dirigé contre la décision de la division d'opposition rejetant l'opposition formée contre le brevet européen no 3 076 804.
La revendication indépendante 1 telle que délivrée se lit comme suit (les caractéristiques sont signalées selon la décision attaquée) :
"(a) Article de génération d'aérosol chauffé destiné à être utilisé avec un dispositif de génération d'aérosol à fonctionnement électrique comprenant un élément de chauffage,
(b) l'article de génération d'aérosol comprenant un substrat formant aérosol
(c) dans lequel le substrat formant aérosol comprend une feuille froncée de matériau formant aérosol entouré par un[e] enveloppe
(d) entouré radialement par une feuille froncée de matériau thermoconducteur, l'enveloppe étant la feuille de matériau thermoconducteur qui agit comme une barrière de flamme thermoconductrice pour propager la chaleur et atténuer le risque d'allumage du substrat formant aérosol lorsqu'un utilisateur applique une flamme à l'article de génération d'aérosol."
Dans sa décision, la division d'opposition avait estimé que l'unique motif d'opposition invoqué par l'opposant au titre de l'article 100a) CBE ensemble les articles 54 et 56 CBE ne s'opposait pas au maintien du brevet tel que délivré et avait dès lors rejeté l'opposition. La nouveauté et l'activité inventive ont été appréciées de manière positive eu égard aux documents de l'état de la technique suivants :
D1 : EP 2 368 449A1
D2 : WO 2011 117750 A
D3 : WO 2012 164009 A
D4 : WO 2013 098405 A
Dans le cadre de l'appréciation de la nouveauté par la division d'opposition, l'unique question qui se posait était de savoir si un substrat formant aérosol comprenant une "feuille froncée" selon la caractéristique (c) de la revendication 1 telle que délivrée pouvait être déduit directement et sans ambiguïté des documents D1 et D2 qui divulguaient incontestablement les caractéristiques restantes de la revendication indépendante. Le point de vue de la division d'opposition selon lequel le terme "feuille froncée" avait une signification claire et reconnue, largement adoptée par l'industrie du tabac, a été déterminant pour conclure que l'objet tel que délivré était nouveau au regard de la divulgation de ces documents de l'état de la technique. Ce terme n'appelait donc pas une interprétation à la lumière de la description, cette dernière - comme l'a souligné l'opposant - fournissant au paragraphe [0035] une définition explicite et plus large du terme "feuille froncée" dans le contexte technique du brevet, englobant supposément une feuille de tabac roulée/enroulée et un bouchon cylindrique de matériau de tabac homogénéisé respectivement divulgués dans D1 et D2.
II. Par notification conformément à l'article 15(1) RPCR en date du 5 décembre 2023, la Chambre a informé les parties que l'issue de l'affaire semblait reposer sur la question de savoir si la description devait être prise en considération même lors de l'interprétation d'une revendication contenant un terme prétendument clair. Dans sa notification, la Chambre a fait état de lignes jurisprudentielles divergentes sur cette question (à titre d'exemple, il a été fait référence aux conclusions des décisions T 1473/19 et T 169/20) et estimé que ce point était d'importance fondamentale pour l'interprétation de la CBE par l'Office européen des brevets et par les juridictions nationales et internationales, et qu'il convenait d'y répondre afin que le litige soit tranché. À ce titre, la Chambre a indiqué entendre saisir la Grande Chambre de recours.
Par lettre datée du 18 décembre 2023, le requérant (opposant) a accueilli favorablement la proposition de la Chambre de soumettre la question de l'interprétation des revendications à la Grande Chambre de recours et a retiré sa requête en procédure orale.
Par lettre datée du 5 janvier 2024, l'intimé (titulaire du brevet) a indiqué que les affaires visées dans la notification de la Chambre ne faisaient pas apparaître de divergences nettes entre les différentes Chambres au point qu'une saisine de la Grande Chambre de recours soit exigée ou nécessaire pour traiter le cas d'espèce, et a maintenu sa requête en procédure orale.
La procédure orale s'est tenue devant la Chambre le 10 avril 2024, par visioconférence.
III. Le requérant (opposant) a demandé l'annulation de la décision attaquée et la révocation du brevet européen.
L'intimé (titulaire du brevet) a demandé le rejet du recours.
IV. Les moyens soumis par le requérant (opposant), pertinents pour la présente décision, peuvent être résumés comme suit.
Lors de la procédure orale, le requérant a concédé que, même si le terme "feuille froncée" n'avait pas une signification claire et reconnue comme l'avait estimé la division d'opposition dans la décision attaquée, la personne du métier, à la lecture de la revendication séparément de la description du brevet litigieux, aurait supposé qu'une "feuille froncée" était dotée de plis. De ce fait, une feuille enroulée de manière uniforme comme montrée dans D1 ne serait pas couverte. Cependant, la description du brevet donnait, au paragraphe [0035], une définition de ce qu'il fallait entendre par "feuille [de tabac] froncée" dans le brevet, à savoir une feuille de matériau de tabac qui était "convolutée, pliée ou autrement comprimée ou resserrée sensiblement transversalement à l'axe cylindrique de la tige". Cette définition avait un sens du point de vue technique et n'allait à l'encontre d'aucune signification établie attribuée dans l'état de la technique. Elle s'appliquait de toute évidence à la feuille de tabac enroulée de D1. Ainsi le document D1 était destructeur de la nouveauté de la revendication 1 telle que délivrée.
Conformément à l'article 69 CBE et son protocole interprétatif, il convenait de prendre en considération la description et donc le paragraphe [0035], notamment lors de l'interprétation des revendications.
Cela était conforme à une ligne jurisprudentielle (cf. par exemple T 1473/19, T 0620/08, T 0367/20 ou T 1671/09) ainsi qu'à l'approche généralement adoptée par plusieurs offices nationaux des brevets et récemment suivie par la Juridiction unifiée du brevet dans sa décision no 335/2023.
Par ailleurs, selon l'approche fondée sur la primauté des revendications (cf. T 169/20) que semble avoir adoptée la division d'opposition dans sa décision, la possibilité de se fonder sur la description pour interpréter des revendications était limitée aux cas exceptionnels dans lesquels il était nécessaire de clarifier l'objet revendiqué. À l'inverse, lorsque le texte d'une revendication était clair pour la personne du métier, le rôle de la description comme fondement des revendications n'était jugé ni nécessaire ni justifié selon cette ligne jurisprudentielle.
Si l'absence de nouveauté au regard de D1 ne pouvait pas être reconnue, il convenait de saisir la Grande Chambre de recours pour assurer une application uniforme du droit pour ce qui est de l'interprétation des revendications.
V. La réponse de l'intimé à ces arguments peut être résumée comme suit.
Comme l'a souligné la division d'opposition dans la décision attaquée, le terme "feuille froncée" avait une signification claire et largement reconnue par l'industrie du tabac, à savoir une feuille qui était "pliée et convolutée pour occuper un espace tridimensionnel". Par conséquent, il n'y avait pas lieu de consulter la description pour interpréter ce terme. En tout état de cause, même si le paragraphe [0035] de la description devait être pris en considération, la feuille de tabac roulée de D1 formée par enroulement ne pourrait toujours pas être considérée comme "convolutée" ou "autrement comprimée ou resserrée sensiblement transversalement" puisqu'elle était creuse, avait une forme géométrique définie et en tant que telle ne nécessitait pas de compression ou de resserrage pour conserver sa forme. Par ailleurs, une feuille roulée selon D1 avait dû être exclue eu égard au mode de réalisation décrit dans le brevet en lien avec la figure 1. En outre, un substrat formant aérosol fabriqué pour obtenir une feuille roulée de manière cylindrique ne résoudrait pas le problème technique abordé par le brevet litigieux. De surcroît, si un substrat roulé formant aérosol était utilisé dans l'article de génération d'aérosol chauffé selon le brevet litigieux, la distinction d'avec une cigarette conventionnelle ne pourrait pas être rapidement faite, entraînant le risque d'allumage par erreur du substrat formant aérosol par l'utilisateur.
Un consensus existait au sein des chambres sur le principe de la "primauté des revendications" qui était appliqué de manière constante afin de déterminer l'étendue réelle de la protection conférée par les revendications. Dans les décisions T 169/20 (point 1.4 des motifs), T 1924/20 (point 2.7 des motifs) et T 111/22 (points 1.8 et 1.9 des motifs), les chambres se sont prononcées uniformément en faveur d'une interprétation des revendications en elles-mêmes, du moins quand un terme contenu dans les revendications avait un sens généralement reconnu. Dans la décision T 1473/19, la chambre a déclaré que "[l]a primauté des revendications limite donc également la mesure dans laquelle la description peut servir de dictionnaire pour les termes utilisés dans les revendications" (cf. point 3.16.2 des motifs), soulignant ainsi la prédominance du texte des revendications lorsque le texte en litige était clair et sans ambiguïté pour la personne du métier, comme prétendument dans la présente affaire. Dans l'affaire T 1671/09 (point 3.3 des motifs), la chambre a estimé qu'il était légitime de recourir à la description, mais seulement pour permettre de mieux comprendre un terme de la revendication, à savoir "dots" ("points") qui, en soi, n'était ni particulièrement précis ni dépourvu d'ambiguïté. Le fait est qu'il n'existait pas de lignes jurisprudentielles clairement divergentes sur l'interprétation d'un terme clair et non ambigu contenu dans une revendication.
En conséquence, il n'était pas justifié de saisir la Grande Chambre de recours.
Motifs de la décision
Nouveauté au regard de D1
1. En formant un recours, le requérant a contesté la conclusion de la division d'opposition selon laquelle l'objet de la revendication 1 telle que délivrée était nouveau au regard du document D1.
1.1 Les parties ont convenu que D1 divulgue un article de génération d'aérosol chauffé (cf. paragraphes [0005] et [0014]) destiné à être utilisé avec un dispositif de génération d'aérosol à fonctionnement électrique comprenant un élément de chauffage (résistance, cf. paragraphes [0006] et [0013]), l'article de génération d'aérosol comprenant un substrat formant aérosol (feuille de tabac 21, cf. paragraphe [0022]), dans lequel le substrat formant aérosol comprend une feuille (feuille de tabac 21) de matériau formant aérosol (tabac) entouré par une enveloppe (22, cf. paragraphes [0007] et [0014]), entouré radialement par une feuille de matériau thermoconducteur, l'enveloppe étant la feuille de matériau thermoconducteur qui agit comme une barrière de flamme thermoconductrice pour propager la chaleur et atténuer le risque d'allumage du substrat formant aérosol lorsqu'un utilisateur applique une flamme à l'article de génération d'aérosol (cf. paragraphe [0015]).
Comme montré à la figure 1, D1 divulgue un article de génération d'aérosol sous la forme d'un rouleau 20 devant être uniformément chauffé par la surface intérieure d'une résistance 11 ayant la forme d'un cylindre creux (cf. paragraphe [0020]). Selon l'enseignement de D1, le rouleau 20 comprend une feuille de tabac 21 qui "peut être enroulée en une seule couche ou en plusieurs couches. Dans ce cas, seule la feuille de tabac 21 peut être enroulée en spirale ou un stratifié de la feuille de tabac 21 et d'une feuille d'aluminium peut être enroulé en spirale" (cf. paragraphe [0018]).
Il n'est pas non plus contesté qu'une feuille de tabac enroulée en spirale telle que dans D1 ne serait pas considérée comme une "feuille froncée" lorsque ce terme était compris en ce sens qu'il impliquait que la feuille devait être à la fois "pliée et convolutée".
À titre d'exemple, selon le mode de réalisation divulgué dans le brevet en litige (cf. paragraphes [0064] et [0065], et la figure 1), une feuille de tabac continue est introduite dans un appareil dans lequel elle est engagée par des rouleaux de sertissage pour former une feuille sertie continue présentant une pluralité de crêtes ou d'ondulations espacées parallèles à l'axe longitudinal de la feuille à travers l'appareil et qui est ensuite introduite à travers un entonnoir convergent qui fronce la feuille continue de manière transversale relativement à ses axes longitudinaux. La feuille de tabac prend une configuration sensiblement cylindrique lorsqu'elle traverse l'entonnoir convergent. La feuille de tabac qui en résulte présente ainsi des plis et occupe un espace tridimensionnel.
Conformément à la décision attaquée, la Chambre considère qu'une personne du métier du domaine technique concerné comprendrait que le terme "feuille froncée", lorsqu'il est lu isolément, signifie une feuille pliée le long de lignes de sorte à occuper un espace tridimensionnel.
En conséquence, en donnant à "feuille froncée" cette signification habituelle, l'objet de la revendication 1 doit être considéré nouveau eu égard à la caractéristique distinctive selon laquelle le substrat formant aérosol comprend une feuille froncée de matériel formant aérosol. De fait, la nouveauté selon cette hypothèse n'a pas été contestée par le requérant.
1.2 Cependant, alors que le procédé présenté ci-dessus semble être le moyen couramment utilisé dans l'industrie du tabac pour former des feuilles froncées, il est possible que d'autres moyens existent permettant de froncer des feuilles de tabac plates pour leur donner la forme d'une tige cylindrique.
Le fait qu'il ait été en apparence jugé nécessaire de définir le terme dans le brevet (cf. paragraphe [0035] de la description) indique, du moins en ce qui concerne le titulaire du brevet lors de la rédaction de la demande, que le sens du terme "feuille froncée" n'était pas aussi généralement admis et bien établi pour que toute explication soit sans objet.
Le fait que les "feuilles serties/crêpées", c'est-à-dire des feuilles présentant une pluralité de crêtes ou d'ondulations sensiblement parallèles (cf. paragraphe [0039]), soient décrites comme n'étant qu'une forme de "feuille texturée" (cf. paragraphe [0038]) et le fait, en outre, que l'utilisation d'une feuille texturée ne soit que facultative lors de la production de "feuilles froncées" (cf. paragraphe [0037]) constituent des indications supplémentaires, du moins pour le rédacteur de la demande de brevet, que ce dernier terme n'avait pas une signification aussi précise que celle désormais suggérée par le requérant.
1.3 En conséquence, si, comme le fait valoir le requérant, le terme "feuille froncée" de la revendication 1 ne peut pas être lu isolément, mais doit être interprété à la lumière de la description (notamment du paragraphe [0035] : "Tel qu'utilisé ici, le terme 'froncée' désigne le fait que la feuille de matériau de tabac est convolutée, pliée ou autrement comprimée ou resserrée sensiblement transversalement à l'axe cylindrique de la tige"), le terme revêtirait un sens plus large, tout en conservant un sens du point de vue technique, et qui n'est pas contraire à la signification habituelle attribuée dans l'état de la technique, mais qui simplement l'englobe.
La Chambre estime avec le requérant que si le terme "feuille froncée" est lu à la lumière de cette définition et des paragraphes suivants tels que cités ci-dessus, l'objet de la revendication 1 est dénué de nouveauté. Le paragraphe [0035] fait état de différentes alternatives. Selon la première, la feuille froncée peut être une feuille convolutée. La définition du terme "convoluted" ("convoluté"), issue de l'ouvrage "Oxford Dictionary", à laquelle se rapporte le requérant dans son mémoire exposant les motifs du recours, contient le terme "coiled" ("spiralé"). La feuille de tabac enroulée en spirale divulguée dans D1 (cf. paragraphe [0018]) est aussi enroulée autour de son axe et, par conséquent, est "convolutée" et peut ainsi être considérée comme étant une feuille froncée telle que définie explicitement dans la description. Les troisième et quatrième alternatives d'une feuille froncée exposées au paragraphe [0035] du brevet, à savoir une feuille qui est "autrement comprimée ou resserrée sensiblement transversalement à l'axe cylindrique de la tige", sont également réalisées par la feuille de tabac de D1. En effet, lorsqu'une feuille est enroulée pour prendre une forme cylindrique, elle est également compressée d'une certaine manière et certainement restreinte sensiblement transversalement à l'axe d'un cylindre. Et ce, indépendamment du fait que la forme définitive du produit soit creuse ou non.
En outre, aucune raison ne permet d'exclure une feuille enroulée en ce qui concerne le mode de réalisation du brevet montré à la figure 1, puisque la définition donnée au paragraphe [0035] ne contredit pas mais englobe au contraire un mode de réalisation selon lequel la feuille est sertie le long de lignes et froncée lorsqu'elle traverse l'entonnoir. Cependant, "froncée" n'étant que l'une des quatre alternatives dans cette définition, la présence de plis ne peut plus être considérée obligatoire.
Enfin, les arguments de l'intimé selon lesquels un substrat formant aérosol fabriqué sous forme de feuille enroulée en cylindre ne résoudrait pas le problème technique abordé par le brevet litigieux et que si ce substrat était utilisé dans un article de génération d'aérosol chauffé selon le brevet litigieux, la distinction avec une cigarette conventionnelle ne pourrait pas être rapidement faite, entraînant le risque d'allumage par erreur du substrat formant aérosol par l'utilisateur, ne sont pas convaincants. Aucune raison apparente ne permet à la personne du métier d'exclure, à la lecture de la revendication seule ou bien conjointement à la description et aux dessins, un substrat formant aérosol obtenu en enroulant une feuille de tabac ayant une forme cylindrique, potentiellement creuse, telle que dans D1. Selon le mode de réalisation de la figure 5 du brevet, un élément de chauffage (lame chauffante 3100, cf. paragraphe [0076]) est fourni pour chauffer le substrat de l'intérieur, tel que dans D1.
1.4 Pour conclure, si le terme "feuille froncée" à la revendication 1 revêt la signification habituelle qui lui est attribuée dans l'état de la technique, l'objet de la revendication 1 est nouveau, tandis que si le même terme est lu de façon plus large mais qui a toujours un sens du point de vue technique compte tenu de la définition au paragraphe [0035] de la description, l'objet de la revendication 1 est dénué de nouveauté.
Saisine de la Grande Chambre de recours
2. Conformément à l'article 112(1)a) CBE, une chambre, soit d'office, soit à la requête de l'une des parties, saisit en cours d'instance la Grande Chambre de recours lorsqu'elle estime qu'une décision de la Grande Chambre est nécessaire afin d'assurer l'application uniforme du droit ou si elle considère qu'une question de droit d'importance fondamentale nécessitant une clarification se pose.
Quant à la recevabilité de la saisine, il est généralement considéré que la décision de la Grande Chambre sur des questions qui lui ont été soumises doit être déterminante pour l'issue de l'affaire. Conformément à la décision J 16/90 (cf. point 1.2 des motifs), il ne suffit pas que la question à soumettre présente un intérêt général. Il faut que la décision à rendre par la Chambre dépende de la réponse à cette question. C'est pourquoi, une chambre doit examiner, avant de saisir la Grande Chambre de recours, s'il ne lui serait pas possible de laisser en suspens la question, d'autres motifs pouvant également justifier le rejet du recours.
Ces considérations ont été formulées par la présente chambre en raison du fait que la décision attaquée traite des objections d'absence de nouveauté au regard de D2 et de défaut d'activité inventive partant de l'un des documents D1, D2, D3 et D4 et que ces objections sont maintenues au stade du recours. Cependant, la Chambre considère qu'une discussion utile sur la nouveauté au regard de D2, dont la divulgation est similaire à celle de D1, et sur l'activité inventive ne peut être menée avant que ne soit définie la façon dont la revendication - à savoir le terme "feuille froncée" - doit être interprétée.
3. Une décision de la Grande Chambre de recours est nécessaire afin d'assurer une application uniforme du droit.
3.1 La jurisprudence des chambres de recours diverge sur les questions suivantes, qui sont toutes déterminantes dans l'affaire en cause :
- la base juridique pour l'interprétation des revendications de brevet
- de savoir si c'est une condition préalable à la prise en compte des figures et de la description lors de l'interprétation d'une revendication de brevet que le texte de la revendication lu isolément soit considéré peu clair et ambigu
- la mesure dans laquelle un brevet peut être utilisé comme son propre dictionnaire.
Ces questions sont étroitement liées, mais ne dépendent pas l'une de l'autre, comme démontré ci-dessous.
Ces trois points, sur lesquels il existe des divergences jurisprudentielles, nécessitent d'être éclaircis afin que la présente affaire soit tranchée.
3.2 En ce qui concerne la base juridique, il semble qu'il n'ait fait nul doute au cours des premières années que l'article 69 CBE et son protocole interprétatif devaient être appliqués non seulement lors de l'appréciation de l'article 123(3) CBE (cf. G 2/88, point 2.5 des motifs), mais aussi lors de l'appréciation des conditions de brevetabilité, telles que prévues à l'article 54 CBE (cf. G 6/88, point 3 des motifs ; T 16/87, point 6 des motifs).
3.2.1 Cependant, au fil des ans, une ligne jurisprudentielle solide s'est développée retenant la décision G 2/88 comme une indication de ce que l'article 69 CBE et l'article premier du protocole interprétatif y afférent doivent, dans les limites de la compétence de l'Organisation européenne des brevets, s'appliquer exclusivement dans le cadre de l'article 123(3) CBE qui se réfère à l'étendue de la protection du brevet, tandis que dans le cadre des dispositions relatives à l'invention, telles que les articles 54, 56 et 83 CBE, ou au brevet/à la demande de brevet, telles que l'article 123(2) CBE, ces dispositions ne doivent pas s'appliquer. Le fait que la décision G 6/88 ait été rendue le même jour et que la Grande Chambre de recours n'ait opéré cette distinction dans aucune de ces décisions semble avoir été occulté au fil des ans.
Parmi les 100 décisions traitant de l'interprétation des revendications depuis 2008 (19 concernent des recours formés contre des décisions des divisions d'examen et 81 des recours sur opposition), une majorité de 52 décisions (14 sont des décisions relatives à des recours sur examen et 38 des décisions relatives à des recours sur opposition) appartient à cette catégorie. Bien que souvent aucune base juridique alternative ne soit indiquée, l'article 84 CBE est cité de manière sporadique comme base valable pour l'interprétation (cf. par exemple T 169/20, points 1.2.5 à 1.2.7 des motifs).
3.2.2 En revanche, il a toujours existé une ligne jurisprudentielle postulant que l'article 69 CBE et son protocole interprétatif constituent l'unique base permettant d'interpréter des revendications dans le cadre de la CBE et que, de ce fait, ils devraient s'appliquer à l'ensemble de la CBE. L'"invention" au sens de l'article 54(1) CBE, l'"invention" au sens de l'article 56 CBE et l'"invention" au sens de l'article 100b) CBE (et de l'article 83 CBE) renvoyant toutes à l'objet revendiqué, l'objet d'une revendication d'un brevet donné doit être interprété et défini de façon uniforme et cohérente (cf. par exemple T 1473/19, points 3.8 à 3.15 des motifs ; T 177/22, point 3.2 des motifs). Deux affaires ex parte et vingt-quatre affaires de recours sur opposition entrent dans cette catégorie, tandis que les vingt-deux affaires restantes n'indiquent pas la base juridique pour l'interprétation des revendications.
En fait, l'article 69(1), seconde phrase ("Toutefois, la description et les dessins servent à interpréter les revendications") semble être le seul passage de la CBE qui mentionne l'interprétation des revendications. Les revendications de brevet déterminant non seulement l'étendue de la protection conférée par le brevet délivré (article 69(1) CBE, première phrase), mais aussi l'invention pour laquelle un brevet conférant ces droits (article 64 CBE) est délivré à condition que l'invention soit considérée brevetable (articles 52 s. CBE) ou, comme le formule l'article 84 CBE, "l'objet de la protection demandée", il est nécessaire d'interpréter les revendications demandées avant de pouvoir apprécier si l'invention définie par ces revendications est nouvelle ou si elle est comprise dans l'état de la technique (article 54 CBE) et si elle implique une activité inventive ou si elle découle de manière évidente de l'état de la technique (article 56 CBE).
3.2.3 Cela semble être ce que la Grande Chambre de recours avait à l'esprit en rendant la décision G 6/88 (cf. points 2.4, 2.5 et 3 des motifs) :
"la question des conditions exigées pour la rédaction des revendications des demandes européennes de brevet et des brevets européens, ainsi que la question de la brevetabilité des inventions qui font l'objet de ces revendications, ne peuvent être tranchées que dans le cadre du droit institué par la CBE. La question du rôle que doivent jouer les revendications est d'une importance cruciale pour le fonctionnement du système du brevet européen.
L'article 84 CBE stipule que les revendications d'une demande de brevet européen "définissent l'objet de la protection demandée". La règle 29(1) CBE [1973, correspond à la règle 43 CBE 2000] prévoit en outre que les revendications "doivent définir, en indiquant les caractéristiques techniques de l'invention, l'objet de la demande pour lequel la protection est recherchée". La formulation adoptée dans une revendication doit donc essentiellement viser à satisfaire à ces exigences, compte tenu de la nature particulière de l'invention concernée et également du but que poursuivent ces revendications. Selon la CBE, les revendications ont pour but de permettre la détermination de l'étendue de la protection conférée par le brevet (ou la demande de brevet) (article 69 CBE), et donc aussi la détermination des droits du titulaire du brevet dans les États contractants désignés (article 64 CBE), eu égard aux conditions requises pour la brevetabilité aux articles 52 à 57 CBE. [...]
Pour la détermination des caractéristiques techniques qu'elles indiquent, les revendications doivent être interprétées conformément à l'article 69(1) CBE et à son protocole interprétatif. Les États contractants, qui voyaient dans ce protocole une partie intégrante de la CBE, l'ont adopté pour disposer d'un mécanisme d'harmonisation des différentes approches suivies au niveau national pour la rédaction et l'interprétation des revendications [...] Manifestement, le but visé par le protocole est d'éviter que l'on ne mette trop l'accent sur la formulation littérale des revendications, lorsqu'on les considère en les coupant du contexte dans lequel elles apparaissent à l'intérieur du brevet, et également d'éviter à l'inverse que l'on ne mette trop l'accent sur le concept inventif général ressortant du texte du brevet, comparé à l'état de la technique pertinent, sans qu'il soit tenu suffisamment compte par ailleurs de la formulation des revendications qui est elle aussi un moyen de définition."
La Grande Chambre a ainsi clairement considéré l'article 69 CBE et son protocole interprétatif comme le moyen pertinent pour déterminer les caractéristiques techniques d'une revendication, expressément lors de l'appréciation de la brevetabilité en comparant l'invention à l'art antérieur, ou pour l'étendue de la protection lors de la détermination des droits conférés par le brevet (ou la demande de brevet). En conséquence, il peut difficilement être supposé que la Grande Chambre de recours aurait accepté le développement de normes divergentes pour apprécier les deux faces d'une même médaille, notamment parce que la Grande Chambre s'est toujours efforcée d'être cohérente dans son appréciation de principes semblables figurant dans différentes dispositions de la CBE (cf. par exemple "la notion uniforme de divulgation" en se référant aux articles 54, 87 et 123 CBE, telle que développée dans les décisions G 2/98, point 9 des motifs ; G 1/03, point 2.2.2 des motifs et G 2/10, point 4.6 des motifs).
Cependant, aucune des chambres qui développent la jurisprudence en matière d'inapplicabilité de l'article 69 CBE lors de l'appréciation de la brevetabilité ne semble avoir vu une divergence par rapport à l'interprétation de la Convention figurant dans la décision G 6/88 et n'a saisi la Grande Chambre de recours comme le prévoit l'article 21 du règlement de procédure des chambres de recours (ancien article 16 RCPR, cf. JO OEB 1983, 7).
En conséquence, pour parvenir à une approche commune de la base juridique de l'interprétation des revendications aux fins d'appréciation de la brevetabilité, il convient de saisir la Grande Chambre de recours.
3.3 Un autre principe juridique souvent trouvé dans la jurisprudence des chambres de recours est que la description ne peut, le cas échéant, être prise en considération aux fins d'interprétation d'une revendication que si le texte de cette revendication, lu seul, demeure peu clair ou ambigu.
3.3.1 Ce principe est souvent lié à celui de l'inapplicabilité de l'article 69 CBE pour l'appréciation de la brevetabilité (cf. T 278/20, motifs ; T 169/20, point 1.2.5 des motifs ; T 1735/19, point 2.3 des motifs ; T 353/18, point 2.4.5 des motifs ; T 978/16, points 2.3 et 2.4 des motifs ; T 2601/16, point 2.3.2 des motifs ; T 1292/17, point 1.3 des motifs ; T 1705/17, point 1.2 des motifs ; T 2600/17, point 2.4 des motifs ; T 30/17, point 2.1.7 des motifs ; T 2344/15, point 1.8 des motifs ; T 1391/15, point 3.5 des motifs ; T 1267/13, point 4.1 des motifs ; T 580/13, point 2 des motifs ; T 145/14, point 2.2.6 des motifs ; T 1597/12, point 3.2 des motifs ; T 1593/09, point 4.1 des motifs ; T 295/11, point 4.1.4 des motifs ; T 467/09, point 2 des motifs ; T 494/09, point 5 des motifs ; T 964/07, point 2.1.2 des motifs ; T 1374/06, point 4.1 des motifs ; T 843/06, point 4.4 des motifs).
3.3.2 Cependant, ce lien n'est pas systématique :
(a) Ce principe peut également figurer dans des décisions qui appliquent l'article 69 CBE (cf. par exemple T 1695/19, point 2.2.4 des motifs ; T 1300/19, point 1.3.3 des motifs ; T 58/13, point 3.2 des motifs ; T 2097/10, point 4.3 des motifs ; T 1671/09, point 3.3 des motifs) ou qui n'indiquent aucune base juridique (T 42/22, points 3.1 à 3.4 des motifs ; T 1527/21, point 2.2.1 des motifs ; T 821/20, point 1.7 des motifs ; T 427/20, point 5.3 des motifs ; T 1648/18, point 1.3 des motifs ; T 1385/14, point 4.3 des motifs ; T 197/10, point 2.3 des motifs).
(b) Par ailleurs, il existe des décisions qui soulignent la nécessité de toujours lire les termes utilisés dans une revendication dans le contexte des revendications dans leur ensemble et de la description, bien que l'article 69 CBE ne soit pas jugé applicable pour apprécier la brevetabilité (cf. par exemple T 2684/17, point 2.1.4 des motifs ; T 1283/16, point 4 des motifs ; T 2196/15, point 1.1 des motifs ; T 1871/09, point 3.1 des motifs ; T 1646/12, point 2.1 des motifs ; T 620/08, points 3.8., 3.16 et 3.17 des motifs) ou qu'il ne soit pas qualifié de "base juridique" pour la prise en considération du brevet en tant que document formant un tout (cf. par exemple T 447/22, point 13.1 des motifs).
Ainsi la question de savoir si l'ambiguïté de la revendication est une condition préalable à la prise en considération de la description et des figures se pose indépendamment de la question de savoir si l'article 69 CBE et son protocole interprétatif sont applicables.
3.3.3 La plupart des décisions qui appliquent l'article 69 CBE prennent en considération la description et les figures quoi qu'il en soit pour interpréter la revendication (cf. par exemple T 177/22, point 2.2.7 des motifs et T 918/21, points 1.3 à 1.6.4 des motifs) mais, dans un second temps, privilégient souvent le texte de la revendication en cas de divergence avec des informations ne figurant que dans la description (cf. par exemple T 1473/19, points 3.1 à 3.15 des motifs et points 3.16 à 3.16.2 des motifs, et aussi T 1335/21, point 1.9 des motifs ; T 367/20, points 1.3.3 à 1.3.6 des motifs ; T 1632/21, point 4.2 des motifs ; T 1171/20, point 6 des motifs ; T 450/20, points 2.6 et 2.15 des motifs ; T 1494/21, points 2.6 et 2.14 des motifs ; T 2319/18, point 12 des motifs ; T 1844/19, point 1.5 des motifs ; T 73/19, point 2.2 des motifs ; T 1116/16, motifs ; T 552/12, point 3.6 des motifs ; T 275/10, point 2.3 des motifs ; T 1671/09, points 3.3 et 3.4 des motifs ; T 522/09, point 2.3 des motifs ; T 374/08, point 2.2.2 des motifs).
3.3.4 Dans d'autres décisions, la description est prise en considération indépendamment de toute ambiguïté décelée, soit sans indication de la base juridique (cf. T 953/22, point 2 des motifs ; T 111/22, point 1.9 des motifs ; T 1382/20, point 4.6 des motifs ; T 2773/18, point 2.3 des motifs ; T 1648/18, point 1.3 des motifs ; T 1169/16, point 2.1 des motifs ; T 478/09, point 6c des motifs), soit lorsque la question litigieuse ne devait pas nécessairement être tranchée, par exemple parce que la formulation de la revendication a été considérée comme ambiguë (cf. T 694/20, point 4.1 des motifs).
3.3.5 Cependant, dans d'autres décisions, la question reste sans réponse, car même en appliquant l'article 69 CBE, les caractéristiques restrictives ne devraient pas être lues dans la revendication (T 1628/21, point 1.1.9 des motifs ; T 503/20, point 3.2 des motifs ; T 1260/21, point 1.2.2 des motifs ; T 2548/19, point 6 des motifs ; T 911/18, point 4.3 des motifs ; T 299/09, point 3.3.1 des motifs ; T 1736/06, point 2.2 des motifs) et les caractéristiques figurant déjà dans une revendication ne devraient pas être ignorées en référence à des informations présentées uniquement dans la description (cf. T 1266/21, point 2.3.4 des motifs).
Des considérations similaires figurent, sans que soit mentionnée la question de la base juridique, dans la décision T 1266/19, point 11.4 des motifs.
3.3.6 Enfin, certaines décisions vont jusqu'à indiquer qu'il convient toujours essentiellement d'interpréter les revendications en elles-mêmes, c'est-à-dire sans qu'il soit nécessaire de consulter la description et les figures (cf. T 675/22, point 1.3 des motifs ; T 1924/20, point 2.7 des motifs ; T 470/21, point 2.1 des motifs ; T 2764/19, point 3.1.1 des motifs ; T 1127/16, point 2.6.1 des motifs).
3.3.7 En l'espèce, la question ne peut pas rester en suspens puisque la formulation de la revendication lue isolément ne serait pas considérée ambiguë par la personne du métier. Ainsi, en suivant les lignes jurisprudentielles qui ne permettent pas de prendre en considération la description (cf. point 3.3.6 ci-dessus) ou qui ne permettent de se reporter à la description que si les revendications sont considérées ambiguës (cf. points 3.3.1 et 3.3.2(a) ci-dessus), la personne du métier serait obligée de faire abstraction de la définition du terme "feuille froncée" telle que donnée au paragraphe [0035] de la description.
3.3.8 En conséquence, il convient d'apporter une réponse à la question de savoir si la description et les figures peuvent être consultées lors de l'interprétation des revendications d'un brevet aux fins d'appréciation de la brevetabilité et de savoir si cela peut être fait de façon générale ou seulement si des ambiguïtés existent dans la formulation de la revendication.
3.4 Le troisième point sur lequel la jurisprudence des chambres de recours diverge est la mesure dans laquelle des définitions ou des informations similaires contenues dans la description relativement à certains termes peuvent influencer l'interprétation de ces termes lorsqu'ils sont utilisés dans les revendications. Les lignes jurisprudentielles suivantes peuvent être observées.
3.4.1 Certaines décisions (cf. aussi les points 3.4.4 et 3.4.5 ci-dessous) soulignent l'autonomie des brevets pour définir les termes utilisés dans des revendications de brevet et la nécessité de lire ces termes dans le contexte du document considéré dans son ensemble, prenant en considération le résultat couvert par l'invention. En conséquence, il convient de donner aux termes utilisés dans les documents de brevets leur sens normal dans le domaine technique concerné, à moins que la description ne leur donne un sens spécial. À cet égard, le document de brevet peut être son propre dictionnaire. (cf. par exemple T 620/08, point 3.8 des motifs ; T 1321/04, points 2.3 et 2.4 des motifs, renvoyant à T 312/94 ; T 969/92 ; T 311/93 et T 523/00.) La CBE n'exige pas que les termes utilisés dans différents brevets aient toujours la même signification (cf. T 532/00, point 2 des motifs).
3.4.2 D'autres décisions invoquent l'exigence de sécurité juridique dans le système de brevets et rappellent que ce sont les revendications qui définissent en premier lieu l'objet de l'invention. Ainsi, de nombreuses décisions soulignent que le fondement sur la description devrait, à tout le moins, ne pas être utilisé pour limiter ou modifier l'objet de l'invention au-delà de ce que la personne du métier comprendrait à la lecture du texte des revendications (cf. par exemple T 169/20, point 1.4 des motifs). Il semble que cela soit confirmé par une majorité de décisions, dont beaucoup appliquent l'article 69 et son protocole interprétatif. Le raisonnement adopté dans ces affaires repose sur le texte de l'article 69(1), première phrase, et, depuis quelques années, à la suite de la décision T 1473/19, point 3.16 des motifs, il est connu en tant que principe de primauté des revendications (cf. par exemple T 450/20, point 2.15 des motifs).
3.4.3 Cependant, il semble ne pas y avoir de consensus sur la façon d'atteindre cet objectif et sur les limites à poser.
(a) Comme mentionné ci-dessus (cf. point 3.3.6), certaines décisions posent le postulat qu'il convient toujours d'interpréter les revendications en elles-mêmes, en ne prenant en considération aucun élément de la description, y compris toute définition y figurant, à titre d'"outil d'orientation supplémentaire" (cf. par exemple T 1924/20, point 2.7 des motifs).
(b) Les décisions exigeant par principe la présence d'ambiguïtés comme condition préalable à l'interprétation des revendications (cf. points 3.3.1 et 3.3.2(a) ci-dessus) ignorent des informations, y compris des définitions, fournies dans la description si la revendication lue seule est jugée claire (cf. par exemple T 197/10, point 2.3 des motifs ; T 1266/19, point 11.4 de motifs).
(c) Même lorsqu'une telle revendication a été considérée comme manquant de clarté, certaines décisions ont ignoré une définition ou des informations analogues figurant dans la description s'il existait le risque qu'elles soient utilisées pour limiter ou modifier l'objet de l'invention au-delà de ce que la personne du métier comprendrait à la lecture du texte des revendications, par exemple, en excluant des interprétations qui sont à la fois raisonnables et sensées du point de vue technique dans le contexte technique concerné (cf. par exemple T 169/20 point 1.4 des motifs ; T 821/20 point 1.7 des motifs).
(d) Parmi les décisions qui prennent toujours en considération la description, certaines ignorent des définitions et autres informations qui figurent dans la description seulement si elles sont considérées comme contraires ou "pas du tout compatibles avec" le sens ordinaire attribué aux termes utilisés dans la revendication (cf. par exemple T 1473/19, point 3.16.2 des motifs).
(e) D'autres décisions, parmi celles qui sont favorables à l'application de l'article 69 et de son protocole interprétatif, ont défini la limite à partir de laquelle la description serait utilisée pour limiter implicitement la signification des caractéristiques de la revendication (cf. par exemple T 1844/19, point 1.5 des motifs). En conséquence, de façon comparable aux affaires mentionnées sous c) ci-dessus, une contradiction ou une incompatibilité ne serait pas nécessaire pour ignorer des définitions figurant dans la description.
(f) Enfin, il a été estimé dans plusieurs décisions qu'au stade de la procédure qui le permet encore, notamment pendant la procédure d'examen, mais aussi pendant la procédure d'opposition, toute inadéquation entre des revendications et une définition, ou élément équivalent, figurant dans la description doit être résolue en modifiant les revendications puisque ce sont elles qui définissent l'invention (cf. par exemple T 2589/11, point 2.2 des motifs et T 768/08, point 4.4 des motifs, toutes deux renvoyant à T 1279/04). En conséquence, lorsque la définition n'est pas contenue dans la revendication, mais pourrait l'avoir été, il semble que ces décisions l'ignoreraient dans des conditions semblables aux conditions des décisions mentionnées ci-dessus sous c), e) et f) [correction: c, d et e].
3.4.4 Par ailleurs, comme mentionné ci-dessus au point 3.4.1, toutes les décisions ne suivent pas cette approche restrictive. Dans la décision T 299/09 (point 3.3.1 b) des motifs), l'interprétation d'un terme ou d'une caractéristique sur la base de la description est jugée acceptable si ce terme ou cette caractéristique reçoit dans la description une définition différente ou élargie par rapport à ce qu'une personne du métier entendrait normalement par ce terme ou cette caractéristique. La décision T 620/08, point 3.8 des motifs (se référant aux décisions T 556/02, point 5.3 des motifs ; T 416/87, point 5 des motifs, et T 500/01, point 6 des motifs), mentionne expressément :
"En tant que document juridique, le brevet peut être son propre dictionnaire. Il peut définir des termes techniques et déterminer la manière dont la personne du métier doit comprendre un mot spécifique lorsqu'il est utilisé dans la description ou les revendications. Ainsi, la description peut donner à un mot ou à une expression, même univoque, qui a un sens généralement accepté, un sens différent de celui généralement accepté par une définition explicite."
3.4.5 L'une des raisons pourrait être que l'approche restrictive mentionnée ci-dessus aux points 3.4.2 et 3.4.3 se concentre sur les cas où une partie a tenté de limiter le sens d'un terme utilisé dans une revendication, passant d'un sens plus large et ordinaire attribué au terme à une définition plus restreinte figurant explicitement dans la description ou qui serait sous-entendue par celle-ci. Toutefois, il existe également des cas où la prise en compte d'une définition figurant dans la description conduirait à une compréhension plus large par rapport au sens ordinaire du terme défini. Dans ces affaires, les chambres semblaient davantage disposées à interpréter la revendication à la lumière de la description (cf. par exemple les décisions T 694/20, points 4.1 et 4.9 à 4.11 des motifs ; T 1283/16, points 4 à 12 des motifs ; T 620/08, points 3.8 à 3.17 des motifs). La raison semble être, comme indiqué dans la décision T 1671/09 (points 3.3 et 3.4 des motifs), qu'il appartient au titulaire du brevet de déterminer si le sens d'un terme dans le brevet a été "délibérément élargi par la description" au-delà de la compréhension habituelle dans le domaine concerné.
3.4.6 Cependant, cette approche n'est pas adoptée dans toutes les affaires. Dans la décision T 1385/14 (cf. points 4.3 et 4.4 des motifs), la chambre compétente n'a pas tenu compte de la définition, même large, donnée dans la description du terme "motif imprimé" tel qu'il est utilisé dans les revendications, au motif que ce terme a été jugé sans ambiguïté et clair du point de vue technique. Par conséquent, il n'était "pas nécessaire de le réinterpréter à la lumière de la description et des dessins".
3.4.7 Dans la présente espèce, la définition donnée dans la description modifie le sens du terme "feuille froncée" tel qu'il est habituellement utilisé dans le domaine. Toutefois, la personne du métier n'y verrait pas une contradiction avec le sens ordinaire, qui se fonde sur le procédé le plus courant pour la production de feuilles froncées. La définition, au contraire, élargit cette signification tout en ayant toujours du sens du point de vue technique. Le terme tel qu'il est défini dans la description inclut désormais tous les autres procédés possibles pour froncer les feuilles de tabac afin de leur donner la forme d'une tige cylindrique.
Ainsi, parmi les différentes approches exposées ci-dessus au point 3.4.3, la ligne jurisprudentielle visée à la lettre d) n'ignorerait pas la définition figurant dans la description, contrairement à celles visées aux lettres a) et b). Les lignes jurisprudentielles visées aux lettres c) et f) pourraient l'écarter en partant du principe qu'elles s'appliquent chaque fois qu'une définition dans la description modifie le texte de la revendication. À supposer que ces lignes jurisprudentielles dépendent, comme celles visées à la lettre e), de la condition supplémentaire selon laquelle la modification est restrictive, la question de savoir si la définition doit être prise en compte dépend de la ligne jurisprudentielle qui doit être suivie, parmi les deux lignes telles qu'elles sont exposées respectivement aux points 3.4.4/3.4.5 et 3.4.6.
3.4.8 En résumé, en tout état de cause et indépendamment des deux autres questions, il convient de répondre à la question de savoir si et dans quelle mesure les définitions et les informations similaires figurant dans la description peuvent être ignorées avant de statuer sur le cas d'espèce.
4. Une décision de la Grande Chambre est également requise car une question de droit d'importance fondamentale se pose, étant donné que l'interprétation des revendications par l'Office européen des brevets doit être envisagée dans le contexte plus large du système de protection des brevets dans son ensemble.
4.1 La délivrance de brevets européens n'est pas une fin en soi. La procédure d'examen (et toute procédure d'opposition ultérieure) constitue plutôt une étape fixée par les États membres qui doit être franchie pour obtenir (dans la procédure d'examen) et conserver (dans la procédure d'opposition) un monopole de protection de l'objet d'inventions dont la nouveauté, l'activité inventive et la suffisance de l'exposé ont été démontrées.
4.1.1 L'étendue de la protection conférée par un brevet européen est déterminée par les revendications (article 69 CBE), et les revendications d'une demande définissent l'objet de l'invention pour laquelle la protection est demandée (article 84 CBE). Ainsi, c'est l'objet de ces revendications définissant l'invention qui est examiné concernant la suffisance de l'exposé, la nouveauté et l'activité inventive en vertu des articles 83, 52, 54 et 56 CBE. Par conséquent, il est de la plus haute importance que l'objet examiné par l'Office européen des brevets au cours des procédures de délivrance et d'opposition soit identique à l'objet servant de base pour autoriser la protection du monopole par les juridictions nationales des États membres une fois que le brevet européen est en vigueur.
4.1.2 Dans le cas contraire, un objet de l'état de la technique peut être considéré comme un motif de refus de délivrance d'un brevet européen, même si l'étendue de sa protection n'englobait pas cet objet. Ou bien des brevets européens sont délivrés et protègent un objet déjà connu ou rendu évident par l'état de la technique. Les deux scénarios seraient préjudiciables respectivement aux droits dûment acquis des demandeurs et des titulaires de brevets ou à la liberté d'exploitation de ce qui appartient au domaine public. Ainsi, tout ce qui est considéré comme une pomme après la délivrance ne devrait être comparé qu'aux pommes de l'état de la technique, mais tout ce qui pourrait se révéler être à la fois une pomme et une orange post-délivrance devrait être comparé non seulement à des pommes mais aussi à des oranges au cours des procédures d'examen et d'opposition.
4.2 Il ne fait aucun doute que l'article 69 CBE et son protocole interprétatif doivent être appliqués pour interpréter le sens des revendications d'un brevet européen une fois celui-ci en vigueur (cf. l'aperçu de la jurisprudence nationale dans la décision T 367/20, point 1.3.5 des motifs). Aussi convient-il de répondre à la question de savoir si une approche qui utilise une base différente pour interpréter le sens des revendications au cours de la procédure de délivrance (y compris les procédures d'examen et d'opposition) peut atteindre les objectifs énoncés ci-dessus au point 4.1.1.
4.3 Une autre question est de savoir si la personne du métier doit estimer qu'une revendication manque de clarté pour pouvoir tenir compte de la description et des figures lorsqu'elle interprète une revendication pour apprécier la brevetabilité. À la connaissance de la chambre, aucune juridiction nationale des États membres de l'Organisation européenne des brevets ne répond à cette question par l'affirmative. Un examen de la situation dans certains des plus grands États membres permet de dresser le tableau suivant.
4.3.1 Six décisions rendues au cours des dix dernières années interprétant des revendications de brevet en France ont été examinées, dont cinq rendues par le tribunal judiciaire (TJ) de Paris, anciennement tribunal de grande instance (TGI) de Paris, (TGI Paris, 02.07.2015, n° RG 12/11488 ; TGI Paris, 14.04.2016, n° RG 14/11998 ; TGI Paris, 20.04.2017, n° RG 14/05016 ; TGI Paris, 16.11.2017, n° RG 14/14922 ; TJ Paris, 24.03.2023, n° RG 20/03907) et une par la cour d'appel (CA) de Paris (CA Paris, 19.10.2021, n° RG 17/22624). Toutes ces décisions font référence à la nécessité d'interpréter les revendications à la lumière de la description ou du moins de le faire lors de l'interprétation des revendications. Aucune n'indique que le texte de la revendication doit être jugé ambigu au préalable.
4.3.2 Treize décisions des juridictions britanniques rendues au cours des vingt dernières années portant sur l'interprétation des revendications ont été examinées, dont onze de la Haute Cour de Justice d'Angleterre et du Pays de Galles (England and Wales High Court, EWHC) et une de la Cour d'appel d'Angleterre et du Pays de Galles (England and Wales Court of Appeal, EWCA) et de la Chambre des Lords (House of Lords, désormais Cour suprême du Royaume-Uni (Supreme Court of the United Kingdom)). Ces décisions brossent un tableau similaire à celui des décisions françaises. La nécessité de lire les revendications dans le contexte de la description et des dessins contenus dans le fascicule est souvent mentionnée et semble être une pratique courante dans l'appréciation de la brevetabilité et de la contrefaçon.
De nombreuses décisions se réfèrent au texte de l'article 69 CBE et de son protocole interprétatif ou à la disposition parallèle de la section 125(1) Patents Act 1977. Elles s'accordent sur les considérations fondamentales relatives à l'interprétation des revendications, telles qu'elles sont énoncées dans les décisions majeures Kirin Amgen Inc c. Hoechst Marion Roussel [2004] UKHL 46, [2005] RPC 9, 21 octobre 2004, House of Lords et Virgin Atlantic Airways Ltd c. Premium Aircraft Interiors UK Ltd [2009] EWCA Civ 1062, [2010] RPC 8, 22 octobre 2009, EWCA. Cette dernière indique, au point 5, en référence à la décision contestée [182](iv) :
"Il s'ensuit également que les revendications ne doivent pas être interprétées comme si elles étaient seules – les dessins et la description ne servant qu'à résoudre toute ambiguïté."
4.3.3 Il existe une jurisprudence abondante de la Cour fédérale de justice allemande (Bundesgerichtshof - BGH) confirmant que cela est également l'opinion établie en Allemagne, tant pour l'interprétation des brevets européens que des brevets allemands, qu'il s'agisse de la brevetabilité ou de la contrefaçon (cf. par exemple BGH, décision du 29.06.2010 - X ZR 193/03 - BGHZ 186, 90 - Outil de sertissage III, point 13)).
Dans sa décision du 12.05.2015 – X ZR 43/13 - Éléments de rotor, point 15, la Cour fédérale de justice allemande, se référant à plusieurs de ses décisions antérieures, a jugé que l'interprétation de la revendication du brevet, en tenant compte de la description et des figures, est toujours nécessaire et ne doit pas être omise, même si le texte de la revendication semble être sans ambiguïté :
"Le recours fait valoir à juste titre que le Tribunal fédéral des brevets n'a pas interprété la revendication 1 en se fondant d'abord sur la description et les dessins...
Selon la jurisprudence constante de la Cour fédérale de justice, une revendication doit toujours être interprétée, y compris lorsque le libellé de la revendication semble clair."
4.3.4 La Cour d'appel de la Juridiction unifiée du brevet a confirmé cette jurisprudence développée par les juridictions nationales des États membres de l'Organisation européenne des brevets, en se référant à l'une des premières décisions de la Grande Chambre de recours, mentionnée ci-dessus au point 3.2. Le 26 février 2024, la Cour d'appel de la Juridiction unifiée du brevet a estimé que, conformément à l'article 69 CBE et son protocole interprétatif (cf. Nanostring c. 10x Genomics, UPC_CoA_335/2023, App_576355/2023, point 4.d)aa) des motifs de l'ordonnance) :
"La revendication de brevet n'est pas seulement le point de départ, mais le fondement essentiel pour déterminer l'étendue de la protection d'un brevet européen en vertu de l'art. 69 CBE ensemble le protocole interprétatif de l'art. 69 CBE.
L'interprétation d'une revendication de brevet ne dépend pas uniquement du sens strict et littéral du texte utilisé. Au contraire, la description et les dessins doivent toujours servir d'aides explicatives pour l'interprétation de la revendication de brevet et non pas uniquement pour dissiper les ambiguïtés dans la revendication de brevet.
Toutefois, cela ne signifie pas que la revendication de brevet sert de simple ligne directrice et que son objet s'étend également à ce qui, après examen de la description et des dessins, semble être l'objet de la protection demandée par le titulaire du brevet.
La revendication de brevet doit être interprétée du point de vue de la personne du métier.
En appliquant ces principes, l'objectif est d'associer une protection adéquate pour le titulaire du brevet à une sécurité juridique suffisante pour les tiers.
Ces principes d'interprétation d'une revendication de brevet s'appliquent également à l'appréciation de la contrefaçon et de la validité d'un brevet européen. Cela découle de la fonction des revendications de brevet qui, en vertu de la Convention sur le brevet européen, servent à définir l'étendue de la protection du brevet selon l'art. 69 CBE et donc les droits du titulaire du brevet dans les États contractants désignés selon l'art. 64 CBE, en tenant compte des conditions de brevetabilité prévues aux art. 52 à 57 CBE (cf. Grande Chambre de recours OEB, 11 décembre 1989, G 2/88, JO 1990, 93 paragraphe 2.5)."
4.3.5 Au-delà des décisions des juridictions des États membres, il semble que les fondateurs de la CBE aient déjà répondu à la question initiale (cf. point 4.3) de savoir si l'article 69(1) CBE, deuxième phrase ("Toutefois, la description et les dessins servent à interpréter les revendications") doit être lu sous réserve supplémentaire que la revendication lue seule soit d'abord jugée comme manquant de clarté, cette réponse ayant été apportée par l'ajout du protocole interprétatif de l'article 69 CBE à la convention, en particulier sa première phrase. L'article premier se lit comme suit (mise en valeur ajoutée par la chambre) :
"L'article 69 ne doit pas être interprété comme signifiant que l'étendue de la protection conférée par le brevet européen est déterminée au sens étroit et littéral du texte des revendications et que la description et les dessins servent uniquement à dissiper les ambiguïtés que pourraient recéler les revendications. Il ne doit pas davantage être interprété comme signifiant que les revendications servent uniquement de ligne directrice et que la protection s'étend également à ce que, de l'avis d'un homme du métier ayant examiné la description et les dessins, le titulaire du brevet a entendu protéger. L'article 69 doit, par contre, être interprété comme définissant entre ces extrêmes une position qui assure à la fois une protection équitable au titulaire du brevet et un degré raisonnable de sécurité juridique aux tiers."
Lord Hoffmann, dans Kirin Amgen Inc c. Hoechst Marion Roussel [2004] UKHL 46, [2005] RPC 9, 21 octobre 2004, a expliqué :
"[27] Il est impossible de comprendre ce que la première phrase du protocole interprétatif entendait interdire sans savoir quels étaient les principes appliqués (en tout cas en théorie) par une juridiction anglaise pour interpréter un document juridique. Ces principes exigeaient que les termes et la grammaire d'une phrase reçoivent leur "sens naturel et ordinaire", c'est-à-dire le sens attribué aux mots par un dictionnaire et à la syntaxe par une grammaire. Ce sens devait être adopté indépendamment du contexte ou des circonstances dans lesquels les termes étaient utilisés, à moins qu'ils n'aient été "ambigus", c'est-à-dire susceptibles d'avoir plus d'un sens. Comme l'a indiqué Lord Porter dans Electric & Musical Industries Ltd c. Lissen Ltd (1938) 56 RPC 23, 57 :
"Si les revendications ont un sens clair en elles-mêmes [mise en valeur ajoutée], on ne peut pas tirer parti du texte utilisé dans le corps du fascicule pour leur donner un sens différent."
[28] En revanche, si le texte de la revendication "en elle-même" était ambigu, susceptible d'avoir plus d'un sens, la juridiction pouvait tenir compte du contexte fourni par le fascicule et les dessins. [...]"
Sans savoir que cette citation est en fait un point de vue historique sur l'ancienne jurisprudence anglaise, elle pourrait facilement être considérée comme une description adéquate de ce qu'une grande partie de la jurisprudence actuelle des chambres exprime encore aujourd'hui.
Et Lord Hoffmann de conclure :
"[29] [...] En effet, la tentative de traiter les termes de la revendication comme ayant un sens "en eux-mêmes" et sans tenir compte du contexte ou de l'objectif de leur utilisation a toujours été un exercice très artificiel.
[30] Il me parait évident que le protocole interprétatif, avec sa référence à l'objectif de 'dissiper les ambiguïtés', visait à rejeter ces règles anglaises artificielles relatives à l'interprétation des revendications de brevet. [...]"
4.4 Si l'interprétation des revendications de brevet pendant la procédure de délivrance et aux fins de la validité et du respect des brevets post-délivrance sont considérées comme les deux faces d'une même médaille, il est également fondamental d'avoir une vision harmonisée de l'utilisation des définitions ou des informations similaires contenues dans la description lors de l'interprétation des revendications de brevet, ainsi que des limites de cette utilisation.
4.4.1 La jurisprudence française reconnaît que le brevet, notamment sa description, peut être utilisé comme son propre dictionnaire (cf. par exemple TGI Paris, 20.04.2017, n° 14/05016, point 1 a) des motifs).
"Les critères définis dans le Protocole interprétatif de l'article 69 de la Convention sont appliqués mutadis mutandis au brevet français : [...] Est recherchée lors de l'interprétation des revendications quand celle-ci est nécessaire une position qui assure à la fois une protection équitable au titulaire du brevet et un degré raisonnable de sécurité juridique aux tiers. Le brevet doit dans ce cadre contenir en lui-même son propre dictionnaire, notamment au stade de la description."
Toutefois, aucune décision n'a été rendue dans laquelle la revendication du brevet était interprétée en elle-même pour décider si une définition dans la description devait être ignorée en raison d'une éventuelle divergence par rapport à cette signification.
4.4.2 Les deux décisions de principe de la jurisprudence britannique (voir 4.3.2 ci-dessus) donnent des indications sur la manière de déterminer le sens des termes utilisés dans un fascicule de brevet au Royaume-Uni.
Le sens doit être déterminé objectivement en se fondant sur les connaissances générales de la personne du métier dans le domaine concerné, qui est la destinataire d'un fascicule de brevet, et en tenant compte de l'objectif pour lequel les termes sont utilisés. Ainsi, le sens dépend du contexte dans lequel les termes sont utilisés (cf. décision Kirin Amgen c. Hoechst Marion Roussel [2004] UKHL 46, [2005] RPC 9, 21 octobre 2004, paragraphes 32 à 35, dans laquelle Lord Hoffmann a expliqué (au paragraphe 33, citant une décision antérieure) : "Les mots employés par une personne dans un certain but pourraient être compris différemment si elle les employait dans un autre but").
Ce raisonnement est résumé dans la décision Virgin Atlantic c. Premium Aircraft [2009] EWCA Civ 1062, [2010] RPC 8, 22 octobre 2009, au paragraphe 5, se référant à la décision contestée, un passage souvent cité dans d'autres décisions, comme suit (mise en valeur ajoutée par la chambre) :
"(i) Le premier principe fondamental est celui de l'article 69 de la Convention sur le brevet européen ;
(ii) Selon l'article 69, l'étendue de la protection est déterminée par les revendications. De plus, il dispose que la description et les dessins servent à interpréter les revendications. En d'autres termes, les revendications doivent être interprétées en les replaçant dans leur contexte.
(iii) Il s'ensuit que les revendications doivent être interprétées en fonction de l'intention – l'intention de l'inventeur étant précisée par la description et les dessins.
[...]
(vii) II s'ensuit que si le titulaire du brevet a inclus une restriction évidente dans ses revendications, cette restrictiondoit avoir une signification. On ne peut pas ignorer des éléments manifestement intentionnels.
(viii) Il s'ensuit aussi que lorsqu'un titulaire de brevet utilise un mot ou une expression qui, hors contexte, peut avoir unesignification particulière (au sens large ou au sens strict) ce mot ou cette expressionn'a pas nécessairement cette signification dans le contexte dans lequel il (elle) est employé(e).
[...]"
Dans cette décision portant sur la configuration de couchage des sièges d'un avion, le titulaire a fait valoir que sa revendication était limitée à une configuration spéciale du siège (siège convertible). Cela n'a pas été accepté par la Cour d'appel qui s'est référée, entre autres, au fait que le texte de la revendication était identique au passage exposant l'invention ["consistory clause"] dans la partie générale de la description, à l'exception de l'explication supplémentaire qui y est donnée : "(Système de siège du type divulgué par exemple dans [la demande BA])". Étant donné que la demande BA ne mentionnait pas de siège convertible, la personne du métier n'interpréterait pas la revendication comme étant limitée à ce type de siège (cf. paragraphes 39 et 56). Ainsi, il a été tenu compte de la définition indirecte que constitue le passage exposant l'invention ["consistory clause"] indiquant une certaine configuration de siège dans l'état de la technique, mais également du fait que le texte de la revendication lui-même ne faisait pas allusion à la limitation alléguée (cf. paragraphes 51 à 54).
Le fait que des définitions contenues dans la description concernant des termes de la revendication ne sont normalement pas ignorées peut également être déduit de la décision McGhan Medical UK Ltd c. Nagor Ltd and Biosil Ltd [2001] EWHC Patents 452, 28 février 2001, laquelle (cf. paragraphe 101) a indiqué avoir "utilisé la définition du mot 'mousse' donnée dans le brevet".
4.4.3 Le principe selon lequel le brevet est son propre dictionnaire est également accepté et largement utilisé dans la jurisprudence de la Cour fédérale de justice allemande depuis la décision du 02.03.1999 - X ZR 85/96 - Vis de serrage, motifs 3 c). Cf. par exemple BGH, décision du 07.07.2015 – X ZR 64/13 – Réduction du débit binaire, point 13, dans laquelle la Cour fédérale de justice a estimé que le fait que la primauté soit accordée aux revendications en cas de contradiction entre le texte de la revendication et la description n'exclut pas qu'une revendication lue dans le contexte de la description et des figures puisse avoir un sens différent de celui de la revendication lue isolément. Ainsi, en cas de doute, une revendication doit être comprise de telle sorte que les deux parties du fascicule de brevet ne soient pas en contradiction. C'est uniquement lorsque cela n'est pas possible qu'aucune conclusion ne peut être tirée de ces parties de la description de l'objet protégé (cf. motifs 4.bb)) :
"Il arrive que la description du brevet donne sa propre définition des expressions utilisées, lesquelles constituent alors un "lexique propre au brevet". De la même manière, le principe selon lequel la revendication l'emporte sur la description en cas de contradiction parce que c'est elle et non la description qui définit et, par là même, délimite l'objet protégé n'exclut pas que la compréhension de la revendication qui résulte de la description et des dessins diffère de celle qui résulte de son seul libellé. Le rôle de la description est d'expliciter l'invention protégée. En cas de doute, il convient d'avoir une compréhension de la description et de la revendication d'où il ressort, non pas que ces deux parties du fascicule de brevet sont en contradiction, mais qu'elles constituent au contraire des éléments connexes de l'enseignement technique que le brevet met à la disposition de la personne du métier sous la forme d'un ensemble cohérent. Ce n'est que si une telle compréhension est impossible qu'il est légitime de ne pas s'appuyer sur certaines parties de la description pour l'interprétation."
De même : BGH, décision du 12.05.2015 – X ZR 43/13 – Éléments de rotor -, point 16, motifs III.1., citant également de nombreuses décisions antérieures.
4.4.4 Dans sa décision la plus récente, VusionGroup c. Hanshow (APL_ 8/2024, ORD_17447/2024) du 13 mai 2024, la Cour d'appel de la Juridiction unifiée du brevet a confirmé les directives données dans Nanostring c. 10x Genomics (UPC_CoA_335/2023, App_576355/2023) (voir 4.3.4 ci-dessus).
Dans la décision précédente (cf. point 4 d) bb) et cc) des motifs de l'ordonnance), la Cour d'appel de la Juridiction unifiée du brevet s'est référée au texte de la revendication et aux informations fournies dans la description pour interpréter les différentes caractéristiques de la revendication. La cour a retenu une interprétation de la revendication qui était étayée par les informations contenues dans la description et n'a pas accepté l'argument des titulaires du brevet fondé sur une interprétation plutôt stricte d'un passage de la description.
Dans la dernière décision, la Cour d'appel de la Juridiction unifiée du brevet a d'abord souligné que les caractéristiques d'une revendication devaient être lues en combinaison (cf. point 29 des motifs de l'ordonnance), puis s'est de nouveau fondée sur les informations issues de plusieurs passages de la description pour interpréter les trois caractéristiques pertinentes de la revendication (cf. points 30 à 32). Elle a de nouveau rejeté les arguments du titulaire et a argumenté en tenant compte du texte de la revendication et des informations contenues dans la description et l'une des figures (cf. points 33 à 36). La Cour d'appel de la Juridiction unifiée du brevet a conclu, au point 37 :
"L'interprétation de la caractéristique de revendication 8.4 donnée ci-dessus se fonde sur le texte de la revendication, lu à la lumière de la description et des dessins du point de vue d'une personne du métier sur la base de ses connaissances générales, sans tenir compte du dossier d'examen de la demande de brevet."
Aucune des deux affaires ne contenait de passage ignorant des parties de la description. Les informations contenues dans la description ont été prises en compte même si elles ne contenaient pas de définition explicite.
5. Ainsi, pour parvenir à une décision dans la présente affaire, il convient de répondre d'abord aux trois questions suivantes, afin d'assurer une application uniforme du droit et parce qu'une question de droit d'importance fondamentale se pose.
5.1 L'article 69(1), deuxième phrase CBE et l'article premier du protocole interprétatif de l'article 69 CBE doivent-ils être appliqués à l'interprétation des revendications de brevet lors de l'appréciation de la brevetabilité d'une invention en vertu des articles 52 à 57 CBE ?
5.2 La description et les figures peuvent-elles être consultées lors de l'interprétation des revendications pour apprécier la brevetabilité et, dans l'affirmative, peuvent-elles l'être en général ou seulement si la personne du métier estime qu'une revendication n'est pas claire ou est ambiguë lorsqu'elle est lue isolément ?
5.3 Une définition ou des informations similaires concernant un terme utilisé dans les revendications qui sont explicitement fournies dans la description peuvent-elles être ignorées lors de l'interprétation des revendications pour apprécier la brevetabilité et, dans l'affirmative, dans quelles conditions ?
6. Il semble souhaitable de parvenir à un consensus sur ces questions non pas en élaborant des normes totalement nouvelles ni en examinant uniquement le droit national, mais plutôt en s'appuyant sur la jurisprudence des chambres développée au cours des quarante dernières années.
6.1 La Cour d'appel de la Juridiction unifiée du brevet a fait un premier pas dans cette direction en se référant à la jurisprudence initiale développée par la Grande Chambre de recours de l'Office européen des brevets à l'époque où la Grande Chambre n'avait aucun doute sur le fait que l'article 69 CBE et son protocole interprétatif étaient applicables également pour l'appréciation de la brevetabilité (cf. 3.2 et 4.3.4 ci-dessus).
6.2 Si la Grande Chambre de recours devait réitérer cette position, il semble que le raisonnement qui sous-tend les grandes lignes de la jurisprudence des chambres pourrait toujours être appliqué. Toutefois, l'ordre de l'examen juridique pourrait changer. La pratique correspondante pourrait convenir pour traiter de manière adéquate les définitions restrictives et élargies contenues dans la description. Cela peut être rendu plausible par un examen plus approfondi des raisons qui sous-tendent l'évolution de la jurisprudence.
6.2.1 En tant qu'administration chargée de la délivrance de brevets traitant près de 200 000 demandes de brevet par an, l'Office européen des brevets doit appliquer un système d'examen solide, harmonisé et fiable. En outre, il est de la plus haute importance, comme le prévoit l'article 84 CBE, que les revendications, qui définissent l'objet pour lequel la protection est demandée, soient claires, concises et fondées sur la description. Ainsi, l'utilisation de termes connus pour décrire quelque chose qui ne correspond pas à la signification établie de ces termes risque de mettre en cause la clarté d'une revendication.
Cela n'est pas toujours évitable, comme l'a indiqué Lord Hoffmann dans Kirin Amgen Inc c. Hoechst Marion Roussel [2004] UKHL 46, [2005] RPC 9, 21 octobre 2004, au paragraphe 34 :
"Il faut reconnaître que le titulaire du brevet essaie de décrire quelque chose qui, à son avis en tout cas, est nouveau, qui n'a pas existé auparavant et dont il n'existe peut-être pas de définition généralement acceptée. Dans certains cas, il sera évident pour la personne du métier que le titulaire du brevet a dû, à certains égards, s'écarter de l'usage conventionnel de la langue [...]"
Toutefois, comme l'a conclu Lord Hoffmann :
"[...] on ne s'attend pas à ce que cela se produise très souvent."
Ajoutons que si cela se produit, il est dans l'intérêt de la sécurité juridique que l'autre sens du terme soit mis en évidence dans le contexte de la revendication elle-même. Il n'est pas si rare qu'une divergence ne soit pas remarquée, aussi bien par le demandeur que par la division d'examen (parce que la procédure d'examen ne s'est pas concentrée sur ce terme, par exemple) et qu'elle ne soit constatée qu'au cours de la procédure d'opposition. Dans ces cas également, bien que l'article 84 ne soit pas directement applicable lorsque le manque de clarté n'est pas dû à une modification, les chambres ont ressenti le besoin de ne pas occulter le fait que le terme possède un sens ordinaire et, par conséquent, qu'il existe une certaine probabilité que la personne du métier lisant la revendication donnera au terme cette signification connue. Si les titulaires de brevets ne sont pas disposés à intégrer cette autre signification directement dans le texte de la revendication alors qu'ils le pourraient, ils ne devraient pas tirer profit d'autres interprétations fondées uniquement sur les informations contenues dans la description ou les dessins.
6.2.2 Il pourrait s'agir des raisons (exprimées par exemple dans T 1628/21, point 1.1.18 des motifs) qui ont conduit à développer à la fois le principe selon lequel "la description ne peut être consultée qu'en cas d'ambiguïté dans la revendication" (cf. ci-dessus au point 3.3) et le principe selon lequel "il convient de toujours interpréter les revendications en elles-mêmes" (cf. ci-dessus au point 3.3.6).
6.2.3 Toutefois, il ne semble pas nécessaire d'ignorer totalement la description (parce que le texte de la revendication ne contient que des termes dont la signification est connue, comme suivant le premier principe, ou en toutes circonstances, comme suivant le deuxième principe) pour atteindre cet objectif.
Au contraire, même lorsque le terme de la revendication est, dans un premier temps, considéré dans le contexte de toutes les informations données dans les autres caractéristiques, les autres revendications, la description et les dessins, comme le suggèrent l'article 69(1), deuxième phrase, et son protocole interprétatif, le fait que les titulaires de brevets se sont apparemment abstenus volontairement d'inclure des informations provenant de la description et des dessins qui donnent au terme une autre signification que celle qui lui est habituellement associée peut être pris en compte pour la raison suivante. Dans ce cas, il subsiste le risque que la personne du métier lisant le brevet et accordant un poids considérable aux revendications, considérées comme l'endroit de définition de l'invention et de détermination de l'étendue de la protection conférée par le brevet, comprenne le terme dans son sens ordinaire.
Cela peut être une bonne raison d'interpréter le brevet en cas de doute de manière à ce que le terme utilisé dans la revendication soit compris dans un sens large de sorte à inclure les deux significations possibles. Ainsi, lorsque les informations donnant aux termes des revendications le sens voulu dans le brevet ne sont pas incluses dans les revendications alors qu'elles auraient pu l'être par une modification des revendications, la part de l'état de la technique examiné qui est potentiellement destructrice de nouveauté ou qui pourrait rendre une invention évidente est accrue au cours des procédures d'examen et d'opposition.
6.2.4 Cette approche serait conforme à l'article 69 CBE et à son protocole interprétatif et n'empêcherait pas une chambre de donner à un terme dans une revendication un sens ordinaire plus restrictif que celui apparemment voulu dans le contexte de la description et des dessins, le sens plus large résultant du fascicule du brevet dans son ensemble.
Ainsi, les deux principes mentionnés ci-dessus au point 6.2.2 semblent non seulement inutiles pour empêcher les demandeurs ou les titulaires de brevets de lire des caractéristiques restrictives dans la revendication sur le seul fondement de la description ou des dessins, mais ils peuvent également nuire à la sécurité juridique lorsque, au cours de l'examen et de l'opposition, sur la base de ces principes, la revendication devrait être interprétée de manière plus restrictive qu'elle ne le sera après la délivrance, suivant la célèbre analogie du chat angora du Professeur Franzosi telle que mentionnée dans l'affaire European Central Bank c. DSS [2008] EWCA Civ 192, 19 mars 2008, paragraphe 5.
Ignorer toutes les informations contenues dans la description et les dessins sur la manière dont un terme utilisé dans une revendication était apparemment censé être compris pourrait également exposer une chambre au reproche que le brevet est interprété avec la volonté de cultiver les malentendus, ce qui est contraire à un principe central de la jurisprudence des chambres depuis T 190/99 (motifs 2.4) concernant l'interprétation des revendications :
"La personne du métier, lorsqu'elle examine une revendication, doit exclure toute interprétation qui ne serait pas logique ou qui n'aurait pas de sens du point de vue technique. Elle doit s'efforcer, avec un goût pour la synthèse, de faire preuve d'un esprit constructif et non destructeur en vue de parvenir à une interprétation de la revendication qui ait un sens du point de vue technique et tienne compte de l'ensemble de l'exposé de l'invention contenu dans le brevet (article 69 CBE). Pour interpréter le brevet, elle doit être animée de la volonté de comprendre et éviter de cultiver les malentendus."
6.2.5 Toutefois, l'objectif des deux principes est raisonnable et précieux et doit être préservé dans l'intérêt de la sécurité juridique et du fonctionnement de l'Office européen des brevets en qualité d'administration chargée de la délivrance de brevets (cf. point 6.2.1 ci-dessus). Cela semble être possible comme exposé ci-dessus au point 6.2.3. Toutefois, une inversion de l'ordre de l'examen juridique pourrait être nécessaire. Tout d'abord, le sens d'un terme est déterminé dans le contexte des revendications, de la description et des dessins. On vérifie ensuite si ce sens est suffisamment reflété dans la revendication. S'il s'avère qu'il n'est pas suffisamment reflété dans la revendication, une interprétation plus large englobant toutes les interprétations possibles pouvant être dérivées du texte de la revendication peut être indiquée.
6.3 Ainsi, la question de savoir dans quelle mesure une définition ou un élément similaire figurant dans la description peut être ignoré semblerait également moins cruciale.
6.3.1 Les définitions ou informations similaires restreignant le sens d'un terme ne suffisent souvent pas, lorsqu'elles figurent uniquement dans la description, à annuler totalement le sens ordinaire du terme utilisé dans la revendication. Par ailleurs, les définitions élargies et autres éléments similaires dans la description peuvent indiquer clairement que le terme utilisé dans la revendication peut être compris non seulement de manière conventionnelle, mais aussi dans le sens plus large indiqué dans la description.
6.3.2 Dans les deux cas, il appartiendrait au titulaire du brevet de corréler le texte des revendications et le contenu de la description afin d'établir clairement quelle est l'invention effectivement revendiquée. Si tel n'est pas le cas, un autre principe fondamental d'interprétation des revendications, également courant dans les décisions nationales, peut être appliqué, à savoir que toute interprétation du texte de la revendication qui est techniquement raisonnable ne devrait normalement pas être exclue par la revendication (cf. par exemple T 1628/21, point 1.1.2 des motifs ; BGH, décision du 12.12.2006 - X ZR 131/02 - Transport de fil de trame, point 17, motifs III.4 ; dans le même ordre d'idées : Samsung Electronics Co. Ltd c. Apple Retail UK Ltd & Anor [2013] EWHC 467 (Pat), 7 mars 2013, paragraphes 67, 68 et 79). Lorsqu'un fascicule de brevet contient une définition ou un élément similaire d'un terme utilisé dans la revendication, cela peut être considéré comme une indication claire que même le titulaire du brevet a considéré que le sens selon cette définition était (également, au moins) compris dans le sens de ce terme.
Dispositif
Par ces motifs, il est statué comme suit :
Les questions suivantes sont soumises à la Grande Chambre de recours pour décision :
1. L'article 69(1), deuxième phrase CBE et l'article premier du protocole interprétatif de l'article 69 CBE doivent-ils être appliqués à l'interprétation des revendications de brevet lors de l'appréciation de la brevetabilité d'une invention en vertu des articles 52 à 57 CBE ?
2. La description et les figures peuvent-elles être consultées lors de l'interprétation des revendications pour apprécier la brevetabilité et, dans l'affirmative, peuvent-elles l'être en général ou seulement si la personne du métier estime qu'une revendication n'est pas claire ou est ambiguë lorsqu'elle est lue isolément ?
3. Une définition ou des informations similaires concernant un terme utilisé dans les revendications qui sont explicitement fournies dans la description peuvent-elles être ignorées lors de l'interprétation des revendications pour apprécier la brevetabilité et, dans l'affirmative, dans quelles conditions ?