SEANCE DE TRAVAIL
Jurisprudence récente concernant les certificats complémentaires de protection
Rian KALDEN
Juge principale, Cour d'appel, La Haye
Examen de la jurisprudence récente de la CJUE sur les CCP : les trois affaires du 12 décembre 2013
I. Introduction
Un certificat complémentaire de protection est un droit de propriété intellectuelle sui generis qui prend effet à l'expiration du brevet de base. Sa durée peut être de cinq ans et demi au maximum. Les CCP ont été créés, et sont actuellement régis, par le règlement n° 469/2009 de l'UE (remplaçant le règlement n° 1768/92). Ils revêtent une importance majeure. En effet, jusqu'à 80 % du montant total des recettes tirées d'un produit pharmaceutique de premier plan peuvent l'être au cours de la durée du CCP et l'on estime que 80 % des recettes d'un laboratoire pharmaceutique pourraient être générées au cours de cette période.
Le règlement définit, notamment, les termes : "brevet de base" (un brevet qui protège : i) un produit en tant que tel ; ii) un procédé d'obtention d'un produit ; ou iii) une application d'un produit) ; "produit" (le principe actif ou la composition de principes actifs d'un médicament) ; et "médicament" (la substance présentée comme possédant des propriétés curatives ou préventives à l'égard des maladies humaines). La définition sur laquelle sont axées les décisions de la Cour de justice de l'Union européenne (CJUE) que je me propose d'examiner est celle du "produit" et j'entends montrer que "ce que l'on peut lire" (dans le règlement) à cet égard ne correspond pas toujours à "ce que l'on obtient" (de la part de la CJUE).
L'article 3 du règlement énonce les conditions d'obtention d'un certificat. Le terme "produit" figure à chacun de ses alinéas. Au cours de ces deux ou trois dernières années, la CJUE s'est penchée sur les alinéas, a), b) et d) de cet article et le terme "produit" a fait l'objet d'une interprétation très stricte à la suite de la jurisprudence MIT. Les articles 4 et 5 ont reçu, quant à eux, une interprétation large. Un CCP délivré pour A couvrirait tout médicament contenant A, même si l'AMM sur laquelle il est basé a été délivrée pour A+B et même si le médicament attaqué contient d'autres principes actifs que le seul A. En 2013, trois ordonnances motivées qui semblent dans la ligne de cette jurisprudence ont été rendues.
II. État du droit – plus précisément, état de la jurisprudence – concernant l'article 3 à la fin 2012
L'alinéa a) de l'article 3 du règlement exige que le produit soit "protégé par un brevet de base en vigueur".
Jusqu'en 2011, la question de savoir si le test applicable était celui de la "divulgation", introduit par Lord juge Jacob dans l'affaire Takeda, ou celui de la contrefaçon, était controversée. Nous (les juges comme les praticiens) avons tous espéré qu'il s'agissait du test de la contrefaçon, car la situation aurait le mérite d'être claire : le produit serait protégé s'il constituait une contrefaçon du brevet de base. On nous a cependant dit, dans la décision Medeva, que tel n'était pas le cas et que le produit devait être spécifié dans le libellé des revendications ou, dans des affaires ultérieures, identifié dans le libellé des revendications. On m'a expliqué qu'il n'y avait pas de différence entre le sens de ces deux mots, mais qu'il s'agissait simplement d'une question de traduction. Mais que fallait-il cependant entendre par "spécifié" ? Le problème demeurait entier et donnait lieu à de nombreuses interrogations :
- Qu'en était-il des formules de Markush ? Si vous êtes face à une formule de Markush comportant deux milliards de composants, doivent-ils tous être spécifiés ?
- Qu'en était-il des classes de produits ? La mention de sels d'addition d'acide suffirait-elle à spécifier des sels d'oxalate ?
- Qu'en était-il des diurétiques ? La mention d'un diurétique pourrait couvrir n'importe-quoi, de l'hydrochlorothiazide à une bière forte. Une revendication visant un principe A + un diurétique pourrait-elle être propre à spécifier l'hydrochlorothiazide ? C'est précisément là l'une des questions qui s'est posée dans l'affaire Actavis.
- Qu'en était-il des définitions fonctionnelles ? La mention, comme dans l'affaire Eli Lilly, d'un anticorps qui se lie spécifiquement à une protéine suffit-elle à spécifier toutes les substances remplissant cette fonction ?
Toutes ces questions demeuraient en suspens. Elles se sont un peu éclaircies au cours de l'année 2013.
L'alinéa b) de l'article 3 du règlement exige qu'une autorisation de mise sur le marché du produit en cours de validité ait été accordée.
La situation à cet égard s'est trouvée bouleversée en novembre 2011 par l'affaire Georgetown, lorsqu'il a été jugé qu'une autorisation de mise sur le marché (AMM) accordée pour A + B constituait une base valable pour demander un CCP pour A, B et A + B. Aucun spécialiste ne s'attendait à cette solution, car elle représentait un virage à 180 degrés par rapport à la pratique de la plupart des pays, sinon de tous. De plus, cette solution semblait difficilement conciliable avec la définition du "produit".
Une autre question s'est posée à propos de l'alinéa b) : qui devait être titulaire de l'AMM ? L'AMM devait-elle être en possession du titulaire du brevet ou du licencié du titulaire ou de son ennemi juré ? Ce point non plus n'était absolument pas clair.
L'alinéa c) de l'article 3 du règlement exige que le produit n'ait pas déjà fait l'objet d'un certificat.
Il ressortait déjà clairement de la jurisprudence Biogen qu'il pouvait y avoir plus d'un CCP sur un produit, en présence de deux brevets protégeant tous les deux ledit produit, dans les mains de deux titulaires différents. Il était toutefois constant qu'il ne pouvait y avoir qu'un seul CCP par brevet de base par produit. Mais une petite remarque semblant indiquer qu'il fallait comprendre un CCP par brevet s'est glissée dans la décision Medeva, ce qui a attiré l'attention dans la mesure où l'avocat général Trstenjak a formulé des observations plus détaillées sur ce point. La Cour entendait-elle s'éloigner de l'interprétation généralement reçue de l'arrêt Biogen ?
L'alinéa d) de l'article 3 du règlement exige que l'autorisation mentionnée au point b) soit la première autorisation de mise sur le marché du produit en tant que médicament.
La décision Neurim est venue renverser l'ensemble de la jurisprudence antérieure sur cette question, en l'ignorant, et en déclarant en substance qu'une AMM antérieure peut être ignorée si le médicament visé par cette AMM n'entre pas dans le champ de la protection conférée par le brevet de base postérieur invoqué à l'appui de la demande de CCP. Elle a donc rouvert la porte au CCP pour un second usage médical. Il s'agit, selon moi, de la seule approche correcte, mais cela ne correspond certainement pas à la position adoptée par la CJUE jusqu'ici. La question demeure de savoir si cette décision constitue également un revirement par rapport à la jurisprudence MIT.
Les trois affaires sur lesquelles a statué la CJUE le 12 décembre 2013 visaient toutes trois l'article 3 du règlement.
Affaire Human Genome Sciences v Eli Lilly (C-493/12)
Les faits pertinents de l'espèce étaient les suivants. HGS était titulaire d'un brevet revendiquant la protéine neutrokine-alpha et les anticorps qui se lient spécifiquement à cette protéine. Eli Lilly était en train de développer un anticorps dénommé tabalumab. Elle a reconnu que celui-ci contrefaisait le brevet.
Eli Lilly s'inquiétait de ce qu'HGS puisse faire une demande de CCP en prenant son propre brevet pour base légale et en se fondant sur l'AMM d'Eli Lilly. Elle a donc demandé à une juridiction du Royaume-Uni de déclarer l'invalidité de tout CCP de ce type, en soulevant à cet effet deux moyens. Elle invoquait, en premier lieu, le motif selon lequel le tabalumab ne se trouvait pas spécifié par le libellé des revendications du brevet d'HGS qui se contentait de mentionner "tout anticorps se liant à la neutrokine-alpha", car une telle définition fonctionnelle ne comportait pas suffisamment d'informations structurelles. Elle prétendait, en second lieu, que l'obtention par HGS d'un CCP basé sur l'AMM qu'elle détenait, sans son consentement, serait illicite.
Le juge Warren a d'abord, dans un premier temps, estimé qu'il était possible d'obtenir un CCP en se basant sur l'AMM d'un tiers. Il considérait cette solution comme claire et ne voyait pas la nécessité d'une décision préjudicielle. Il a convenu ensuite que la question de la spécification était propre à faire l'objet d'une question préjudicielle. Il a donc posé à la CJUE la question de savoir si, dans le cas d'une revendication portant sur un anticorps ou une classe d'anticorps, il était suffisant que ce ou ces anticorps soient définis en fonction des caractéristiques par lesquelles ils se lient à une protéine cible, ou s'il était nécessaire d'en fournir une définition structurelle. Un point ressort clairement de la décision rendue : la CJUE persiste à refuser le test de la contrefaçon (point 33). En revanche, la décision est beaucoup moins claire par ailleurs. La Cour a indiqué qu'il n'était pas nécessaire que le principe actif soit identifié au moyen d'une formule structurelle et que l'on peut obtenir un CCP pour un produit défini uniquement au moyen d'une formule fonctionnelle, à la condition toutefois qu'il soit possible de conclure, sur la base de l'article 69 de la CBE et de son protocole interprétatif, que les revendications visent implicitement, mais nécessairement le principe actif en cause et ce de manière spécifique, ce qu'il appartient à la juridiction de renvoi de vérifier (points 39 et 40).
La signification cette solution suscite des débats. Il faut, selon moi, l'entendre de la manière qui suit.
Dans la décision Medeva, une grande importance est conférée aux revendications ; ce qui est rappelé au point 34 de la présente décision. La Cour accepte cependant aujourd'hui une définition fonctionnelle, ce qui implique que la spécification du principe actif en cause ne doive pas être recherchée dans la revendication elle-même. En outre, une revendication fonctionnelle est susceptible de couvrir de nombreux composants. Mais lorsque l'on a recours à une revendication fonctionnelle, d'après ce que je comprends de la décision de la CJUE, l'exigence selon laquelle le produit doit être "spécifié dans la revendication" doit être satisfaite de manière implicite, à savoir grâce à l'interprétation des revendications. Un principe actif sera donc considéré comme "spécifié dans la revendication" si, au moyen d'une interprétation adéquate de la revendication, conforme aux prescriptions de l'article 69 de la CBE et en prenant en considération le fascicule du brevet, la revendication est nécessairement comprise (par l'homme du métier), et ce de manière spécifique, comme visant spécifiquement le principe actif en cause.
Cela signifie, en d'autres termes, qu'il peut être satisfait de deux façons au critère selon lequel le principe actif doit être "spécifié dans la revendication" : soit le produit (principe actif) est mentionné dans les revendications au moyen de sa formule structurelle, soit la revendication s'entend nécessairement, par le biais d'une interprétation adéquate conforme aux prescriptions de l'article 69 de la CBE, comme visant (en outre) spécifiquement ledit produit. Cela permet, selon moi, de considérer que le produit devrait satisfaire au test de l'article 3 a) s'il est au minimum identifié de manière spécifique dans la description.
La CJUE semble établir une distinction entre le test de la contrefaçon et le critère consistant à se demander si le produit "entre dans la portée des revendications". Elle précise au point 37 de l'arrêt que le talabumab constitue une contrefaçon du brevet, mais que cela n'est pas un facteur essentiel pour déterminer si ce principe actif est protégé par ledit brevet au sens de l'article 3 a).
Je pense que la CJUE veut dire par là que si l'on est en présence d'une formule fonctionnelle incluant A, alors A contrefait le brevet en cause ; et que la question de savoir si A est "protégé" par ce brevet au sens de l'article 3 a) est toute différente. À mon sens, tel pourrait seulement être le cas si, à la lumière de l'interprétation de la revendication, la revendication fonctionnelle était comprise comme visant A de manière spécifique. Il suffirait probablement que A soit mentionné dans la revendication, notamment à titre d'exemple. Mais quel serait alors le degré de spécificité requis ? Nous reviendrons sur ce point.
Je voudrais d'abord évoquer encore une autre question soulevée par la décision Eli Lilly. Au point 43, en examinant l'objectif du règlement, la Cour accorde une certaine importance aux efforts déployés par le titulaire du brevet ainsi qu'aux recherches entreprises aux fins d'identifier le principe actif spécifique du médicament : "un refus opposé à une demande de CCP pour un principe actif qui n'est pas visé de manière spécifique par un brevet ... pourrait se justifier, dans des circonstances telles que celles au principal, dans la mesure où le titulaire du brevet en cause ... n'a pas entrepris de démarches tendant à approfondir et à préciser son invention de manière à identifier clairement le principe actif susceptible d'être exploité commercialement dans un médicament répondant aux besoins de certains patients. Dans une telle configuration, octroyer un CCP au titulaire du brevet alors même que, n'étant pas le titulaire de l'AMM du médicament développé au-delà des spécifications du brevet source, ce titulaire dudit brevet n'a pas réalisé d'investissements dans la recherche portant sur ce volet de son invention initiale, reviendrait à méconnaître l'objectif du règlement".
Le propos de la CJUE n'est pas, là, aisé à saisir. D'après moi, il ressort clairement de l'arrêt que la Cour a estimé que le tabalumab n'était pas identifié dans le brevet (point 36), qu'il en découlait qu'HGS ne l'avait pas inventé, ni n'avait investi dans ce produit (contrairement à ce qu'avait fait Eli Lilly en tant que détentrice de l'AMM) et qu'en conséquence il n'aurait pas été équitable, ni juste, qu'HGS obtienne un CCP basé sur l'AMM de son adversaire.
Deux éléments se dégagent de ce paragraphe. Premièrement, il semble que la question du tiers y soit en cause, même si elle ne figure pas parmi les questions préjudicielles – mais il est vrai que la CJUE fait généralement assez peu de cas des questions préjudicielles effectivement posées. Il n'est pas rare qu'elle n'y réponde pas, et elle peut très bien, de la même manière, répondre à des questions qui n'ont pas été posées. Dans la mesure où le problème de l'AMM d'un tiers est en cause, la question demeure de savoir si la Cour entendait véritablement opérer un revirement par rapport à la jurisprudence Biogen et la récente affaire Georgetown, dans lesquelles des CCP avaient été demandés sur la base d'AMM détenues par des tiers. La différence entre ces décisions pourrait résider en ce que, dans les affaires Biogen et Georgetown, les titulaires des AMM ne se sont pas opposés aux demandes de CCP. Deuxièmement, ce paragraphe paraît se rapporter à l'article 3 a). Il est impossible d'obtenir un CCP pour le tabalumab, car il n'est pas spécifié, ce qui implique que le titulaire du brevet ne l'a pas véritablement inventé (qu'il ne se trouve pas au cœur de l'invention), ni n'a investi dans la recherche, et il ne devrait pas recevoir de compensation pour des recherches qu'il n'a pas effectuées, car cela ne serait pas conforme à l'esprit du règlement.
L'affaire Eli Lilly a ensuite été renvoyée à la Haute Cour anglaise et c'est au juge Warren qu'est échue la tâche peu enviable de s'efforcer de décrypter le sens de l'arrêt de la CJUE. Il a conclu que :
- C'est à la juridiction nationale qu'il appartient de déterminer la portée des revendications, sur la base de l'article 69 de la CBE. Si un produit entre dans la portée des revendications, il est protégé au sens de l'article 3 a), sous réserve de la condition posée par la Cour ;
- Mais cette condition, selon laquelle "les revendications doivent viser implicitement mais nécessairement le principe actif en cause, et ce de manière spécifique", ne s'applique qu'à des compositions, en se basant sur la "formulation extensive" figurant dans les revendications.
Je dois dire, avec le plus grand respect, que je ne souscris pas à cette analyse, dans la mesure où elle ignore complètement la directive ressortant très clairement de la décision Medeva, selon laquelle le principe actif doit être spécifié/identifié dans les revendications. La condition posée au point 39 de l'arrêt lue dans son ensemble indique clairement que le CCP peut être basé sur une revendication fonctionnelle – qui par nature ne contient pas de spécification visant un principe actif pris individuellement – sous la condition que l'homme du métier comprenne nécessairement cette revendication (donc implicitement) comme visant spécifiquement (en outre) le principe actif en cause. La question à laquelle il convient de répondre sera donc celle de savoir si "l'homme du métier est susceptible de voir automatiquement dans la revendication ce principe actif spécifique". Et c'est à cette question-là que les juridictions nationales doivent répondre en se fondant sur une interprétation adéquate de la revendication. Or, il s'agit, selon moi, d'un exercice distinct de la détermination de la portée de la revendication, sans quoi cela reviendrait, comme l'admet le juge Warren, à appliquer le test de la contrefaçon, lequel est expressément – et c'est tout à fait regrettable – rejeté par la CJUE.
Dans l'affaire Eli Lilly, le tabalumab n'a pas été nommément mentionné dans le fascicule. La question demeure donc de savoir si la condition énoncée par la CJUE signifie que la description devrait contenir une véritable spécification du principe actif au moyen d'une formule structurelle, comme le suggérait le juge Warren. Ce n'est cependant pas ce que dit la Cour et il me semble que la référence à l'article 69 de la CBE signifie qu'un tel degré de précision de la spécification n'est pas nécessairement requis. Si l'on applique le test de l'article 69 de la CBE, la question à laquelle il convient de répondre en l'espèce est celle de savoir si l'homme du métier, en prenant en considération l'ensemble de ce qui est exposé dans le brevet, est susceptible de considérer le tabalumab comme spécifiquement divulgué – s'il pourrait, pour ainsi dire, l'avoir déjà vu à la lecture du brevet. Or, dans sa décision, le juge Warren déclare qu'il n'est pas contesté qu'une fois qu'une protéine cible a été identifiée, les anticorps qui se lient à cette cible peuvent être produits en ayant recours à des techniques standards. Reste naturellement à savoir si cela présenterait un degré suffisant de spécificité pour satisfaire à la condition posée par la Cour.
L'autorisation de se pourvoir contre la décision rendue par le juge Warren a été accordée et il faudra donc attendre de voir comment l'affaire évolue en appel. Je suis persuadée que d'autres questions préjudicielles seront posées à la CJUE sur ce point, afin d'obtenir rapidement les clarifications nécessaires.
Affaire Actavis v Sanofi (C-443/12)
Les faits pertinents de cette affaire étaient les suivants. Sanofi était titulaire d'un brevet couvrant une famille de composés et revendiquant, d'une part, l'irbésartan et, d'autre part, ce même composé en association avec un diurétique. Sanofi avait obtenu une AMM pour le principe actif pris isolément (médicament Aprovel), ainsi que pour la composition irbésartan/ hydrochlorothiazide (ou HCTZ), un diurétique (médicament CoAprovel) ; le laboratoire était également titulaire de deux CCP, le premier pour l'irbésartan et le second pour la composition, devant expirer environ un an plus tard.
Plusieurs actions étaient pendantes en Europe. Aux Pays-Bas, une injonction provisoire avait été demandée. La procédure parallèle au Royaume-Uni visait à dégager la voie, Actavis demandant la révocation du second CCP, et l'on disposait donc de plus de temps pour poser des questions préjudicielles, ce qui a été effectivement le cas. Les actions engagées dans les deux pays reposaient sur deux arguments. Le premier était fondé sur l'article 3 a) et consistait à dire que l'irbésartan-HCTZ n'était pas spécifié dans les revendications en tant que composition. Le second était que Sanofi avait déjà obtenu un CCP pour l'irbésartan, sur la base de sa première autorisation de mise sur le marché, et que ce produit était celui qui était visé par le brevet de base, de sorte qu'aucun CCP supplémentaire ne devait être accordé, aux termes de l'article 3 c), car il ne devrait y avoir qu'un CCP par brevet (ainsi qu'il ressortait de l'interprétation de la décision Medeva). Aux Pays-Bas, Teva a également invoqué l'argument téléologique selon lequel le CCP visant la composition devrait être annulé au motif qu'il serait contraire au but et à l'objet du règlement, l'invention portant sur l'irbésartan et non sur l'HCTZ, ni sur la combinaison.
Dans le cadre de la procédure anglaise, le juge Arnold a décidé de poser une nouvelle question préjudicielle sur le sens de l'article 3 a), en proposant cette fois sa propre solution : selon lui, la question de savoir si un produit composé est protégé par le brevet de base devrait être tranchée par référence à l'activité inventive ou à la contribution technique du brevet. Si la contribution technique consiste dans le principe actif A seul, toute combinaison utilisant ce principe actif quelle qu'elle soit ne bénéficiera pas de la protection conférée par le brevet invoqué à l'appui de la demande de CCP.
La CJUE n'a pas répondu à la question de savoir si l'HCTZ était spécifié par la mention d'un diurétique, parce que cela n'était pas nécessaire. Elle a statué sur le fondement de l'article 3 c). Mais est-il possible, à partir de l'arrêt, de se faire une idée de ce qu'elle en penserait ? Deux paragraphes paraissent pertinents à cet égard, les paragraphes 30 et 38, tout en présentant des solutions contradictoires ; mais tous deux semblent également assez hypothétiques. Ma conclusion est que rien dans cet arrêt n'éclaircit le point de savoir si l'HCTZ est, ou non, effectivement spécifié dans les revendications. Le tribunal néerlandais a estimé qu'il l'était, au motif qu'il entre dans la portée des revendications interprétées conformément aux prescriptions de l'article 69 de la CBE et il se pourrait – au regard de ma théorie concernant Eli Lilly – que cela ait constitué la bonne approche.
Qu'a décidé la CJUE quant à la question de savoir si, au regard de l'article 3 c), il est possible d'obtenir un second CCP sur la base du même brevet ? Elle a répondu qu'en principe tel était bien le cas (aux termes du point 29, il est possible, sur la base d'un brevet protégeant plusieurs "produits" distincts, d'obtenir plusieurs CCP en lien avec chacun de ces produits distincts, pour autant que chacun de ceux-ci soit "protégé" en tant que tel par ce "brevet de base"). Mais elle conclut qu'en l'espèce tel n'était pas le cas. Qu'est-ce qui justifie cette solution ? Tout d'abord, on peut lire au point 35 de l'arrêt que la Cour a estimé que le premier CCP permettait à Sanofi de s'opposer à la commercialisation d'un médicament contenant de l'irbésartan en combinaison avec de l'HCTZ et ayant une indication thérapeutique analogue à celle de l'Aprovel – autrement dit, que la portée de la protection conférée par un seul CCP s'étendait à la composition (il convient de garder à l'esprit que les articles 4 et 5 du règlement font l'objet d'une interprétation large). En d'autres termes, un autre CCP serait redondant. Mais ce n'est pas tout. En ce qui concerne l'hypothèse dans laquelle Sanofi aurait choisi de demander d'abord un CCP pour la composition, et ne bénéficierait pas d'une protection pleine et entière car ledit CCP ne couvrirait pas l'irbésartan pris isolément, le laboratoire n'aurait pas non plus pu obtenir de CCP pour l'irbésartan seul, car l'article 3 c) s'y opposerait d'après le point 38 de l'arrêt. Il semble donc que la portée de la protection conférée par le premier CCP ne soit pas le facteur déterminant. Mais alors, quel est ce facteur ? Le point décisif est que la composition –irbésartan et HCTZ –, d'une part, et l'irbésartan pris isolément, d'autre part, sont considérés comme constituant le même produit. L'invention consiste dans l'irbésartan, et non dans l'HCTZ, ni dans la composition. Cette idée est très clairement exprimée au point 42 de l'arrêt : "l'article 3 c) s'oppose à ce qu'un même brevet de base permette à son titulaire d'obtenir plusieurs CCP en lien avec l'irbésartan, dès lors que ces CCP seraient en réalité, partiellement ou totalement, en lien avec le même produit".
Je pense donc que la nouvelle approche adoptée par la Cour consiste à redéfinir la notion de "produit". Un "produit" doit maintenant s'entendre d'un "principe actif novateur". La formulation exacte de la Cour est bien : "sur le fondement d'un brevet protégeant un principe actif novateur." Elle mentionne également, au point 41, "le cœur de l'activité inventive faisant l'objet du brevet de base", ou "le principe actif principal protégé en tant que tel par le brevet de base".
Quelle est la logique sous-tendant ce raisonnement ? Au point 30 de l'arrêt, la Cour mentionne le fait que le second CCP pourrait avoir une durée de validité plus étendue que le premier, ce qui est perçu comme une situation potentielle "d'evergreening". L'argument selon lequel le second CCP aurait une portée plus limitée que le premier a été rejeté, dans un paragraphe – plutôt curieux – selon lequel il ne serait pas exclu qu'un CCP portant sur la composition puisse permettre à son titulaire, sur la base d'une contrefaçon indirecte, de s'opposer à la commercialisation d'un médicament contenant le principe actif seul, prolongeant ainsi la durée de la protection. L'argument selon lequel la mise sur le marché de compositions exige des activités de recherche et des essais supplémentaires a également été considéré comme dénué de pertinence. La CJUE a déclaré que l'objectif du règlement n'était pas de compenser intégralement les retards pris par le titulaire du brevet dans la commercialisation de son invention "sous toutes ses formes possibles". La teneur de ces paragraphes non seulement montre clairement que la Cour a opté pour une approche résolument axée sur l'objectif du règlement, mais soulève la question de savoir en quel sens elle aurait statué si le CCP portant sur le principe actif pris isolément n'avait pas expiré après le CCP portant sur la composition. Cette question nous amène à l'affaire suivante.
Affaire Georgetown II (C-484/12)
Les faits de l'espèce étaient les suivants. Le brevet comportait des revendications visant les principes actifs HPV-16, HPV-18, HPV-16 et HPV-18 ensemble, ainsi que différentes compositions. Des AMM avaient été délivrées pour le Gardasil® en 2006 (HPV-6, HPV-11, HPV-16 et HPV-18) et le Cervirax® en 2007 (HPV-16 et HPV-18). Des CCP ont été accordés pour ces compositions. Georgetown a ensuite demandé un CCP pour le HPV 16 pris isolément.
Au point 32 de son arrêt, la CJUE a indiqué qu'il semblait constant que le brevet de base protégeait, à tout le moins, tant les compositions, que le HPV-16 tel que commercialisé dans le médicament Gardasil. Contrairement à ce qu'il en était dans l'affaire Actavis, les produits ont été considérés ici comme des produits novateurs distincts, en conséquence, selon la Cour, Georgetown pouvait obtenir des CCP distincts pour chacun d'entre eux, y compris le HPV-16 pris isolément.
Mais il y avait d'autres faits dans cette espèce, différant de ceux de l'affaire Actavis v Sanofi, susceptibles d'être pertinents, notamment dans le cadre de décisions futures. Tout d'abord, en l'espèce, contrairement à l'affaire Actavis v Sanofi, Georgetown avait demandé un nouveau CCP sur la base de la même AMM, à savoir l'AMM accordée pour la première composition. De sorte que les deux CCP devaient expirer à la même date. La question de l'evergreening ne se posait donc pas (ou ne paraissait pas se poser) dans l'affaire Georgetown. Georgetown aurait pu, en théorie, également avoir demandé un CCP sur la base de la seconde AMM. Elle aurait alors bénéficié d'une durée de protection plus longue. La Cour aurait-elle pu statuer dans le même sens si Georgetown avait choisi la seconde solution ? Rien n'est moins sûr, car cela aurait, du moins du point de vue des juges européens, conduit à une situation d'evergreening (mais nous n'en saurons jamais rien, car la CJUE a fait observer, au point 38 de l'arrêt, qu'une telle demande serait rejetée sur la base de l'article 3 c), au motif que le "produit" HPV-16 pris isolément était le même dans les deux compositions). Ainsi, si Georgetown avait d'abord obtenu un CCP sur le HPV-16 pris isolément et introduit ensuite une demande de CCP sur la composition, en vertu du raisonnement tenu dans la décision Actavis v Sanofi à propos des articles 4 et 5, elle aurait bénéficié d'une protection pleine et entière avec cet unique CCP et n'aurait pas eu besoin de la protection distincte et peut-être même plus longue d'un CCP de composition. Donc, même si cette solution paraît claire actuellement, je suis loin d'être certaine que si la CJUE devait statuer sur une nouvelle affaire où, comme dans Georgetown, l'on serait en présence de produits distincts mais de durées de protection différentes, elle adopterait la même solution. L'avenir le dira.
Quelles conclusions peut-on tirer de ces deux décisions ?
Il en ressort clairement que l'on peut obtenir un CCP par produit, par brevet, pour autant que chaque produit soit en lui-même novateur. L'existence d'un CCP sur A interdit d'accorder un CCP sur A+B, conformément à l'article 3 c), si la contribution technique du brevet consistait en A ; A est alors considéré par la CJUE comme le "produit" visé par le brevet ; A+B ne constituent pas un "produit" distinct et par conséquent le "produit" visé fait déjà l'objet d'un CCP antérieur.
Ainsi, la solution du juge Arnold a été adoptée, mais transposée à la définition du "produit" – terme qui figure dans chacun des alinéas de l'article 3 du règlement – et même semble-t-il à l'objet du règlement – en le reformulant de sorte qu'il se lise : "pour compenser le retard pris dans la commercialisation de ce qui constitue le cœur de l'activité inventive faisant l'objet du brevet de base" (point 41 de l'arrêt Actavis v Sanofi) ; la conformité à l'objet du règlement semblant être devenue une condition supplémentaire et déterminante de l'obtention d'un CCP.
Où en sommes-nous aujourd'hui ?
En ce qui concerne l'article 3 a) : le produit doit entrer dans la portée des revendications – soit de manière expresse, lorsqu'il est lui-même "spécifié/identifié dans le libellé des revendications", soit de manière implicite, mais dans ce cas la revendication doit s'entendre comme visant nécessairement ledit principe actif, et ce de manière spécifique, conformément aux prescriptions de l'article 69 de la CBE. Il est certain que cette solution s'applique aux revendications fonctionnelles, mais elle peut, selon moi, tout aussi bien s'appliquer également à des revendications portant sur une formule de Markush, des classes de produit et autres situations du même ordre.
En ce qui concerne l'article 3 b) : il n'est toujours pas certain qu'il soit possible d'obtenir un CCP sur la base de l'AMM d'un tiers. Il semble difficile de concilier les jurisprudences Biogen v Georgetown et Eli Lilly. La réponse à cette question diffère peut-être selon que le tiers concerné a, ou non, donné son consentement (ou accordé une licence). Il faudra attendre que de nouvelles décisions viennent clarifier ce point.
En ce qui concerne l'article 3 c) : si un CCP est accordé pour A, un autre CCP pour B ou A+B ne sera accordé que si B ou A+B sont "protégés en tant que tels" par le brevet de base – autrement dit, on peut obtenir un CCP par produit protégé "en tant que tel", par brevet. La question demeure toutefois de savoir comment déterminer si une composition est – à côté du principe actif pris individuellement – "protégée en tant que telle" (à savoir, si elle est novatrice). Le point 42 de l'arrêt Actavis indique que la composition devrait faire l'objet d'un nouveau brevet de base. Mais cette solution ne semble pas correcte et paraît en outre difficilement conciliable avec l'affaire Georgetown, dont le brevet visait à la fois des principes actifs pris isolément et différentes compositions, tous étant considérés comme novateurs.
En ce qui concerne l'article 3 d): un CCP peut être accordé pour un second usage médical d'un principe actif (Neurim). Cette solution est, du moins, clairement établie aujourd'hui. Mais il faudra dans le futur résoudre une autre question encore : celle de savoir si la jurisprudence MIT est toujours valable et pour combien de temps. En toute logique, à la suite de l'arrêt Neurim, elle devrait être renversée en faveur de nouvelles formulations inventives. L'affaire GSK n'a pas été l'occasion de le faire, mais une autre affaire MIT, dans le cadre de laquelle les bonnes questions préjudicielles seraient posées pourrait s'avérer plus favorable.
Que nous réserve l'avenir ?
Des CCP continuent à faire l'objet de demandes et à être accordés par des offices de brevets nationaux. La façon dont ils seront affectés par le système de la JUB demeure incertaine.
Il est intéressant de noter qu'il m'a été rapporté qu'au cours de la procédure orale dans l'affaire HGS v Eli Lilly, la CJUE elle-même a réclamé une réforme du règlement relatif au CCP, mais il est très difficile de dire si une telle réforme sera un jour engagée, en raison du nombre des pays concernés et de la diversité des intérêts en jeu.