SEANCE DE TRAVAIL
Jurisprudence récente concernant les certificats complémentaires de protection
Massimo SCUFFI
Juge à la Cour suprême et Président du Tribunal d'Aoste
Certificats complémentaires de protection: évolution de la jurisprudence européenne sur les conditions de prolongation de la durée des brevets et étendue de la protection
I. Introduction
Le certificat complémentaire de protection (CCP) est un titre prolongeant la durée légale d'un brevet pharmaceutique de la période nécessaire à l'obtention de l'autorisation de mise sur le marché, laquelle représente une procédure administrative, longue et complexe visant à protéger la santé humaine.
Le CCP constitue un juste équilibre entre, d'une part, l'intérêt qu'a le titulaire du brevet à faire usage de ses droits pendant une durée suffisante pour couvrir les investissements effectués en matière de recherche et, d'autre part, l'intérêt public pour un contrôle public des produits pharmaceutiques.
Une législation générale a été introduite par la révision de l'article 63 de la Convention sur le brevet européen1, permettant à tout Etat contractant de prolonger la durée d'un brevet (vingt ans) lorsque son utilisation est soumise à une procédure administrative d'autorisation, pendant une période équivalant à celle nécessaire à l'obtention de l'autorisation proprement dite.
Les États n'ont pas utilisé cette possibilité, préférant se doter eux-mêmes d'une législation spécifique au secteur pharmaceutique, ce qui a abouti à la mise en place d'un cadre hétérogène, pouvant empêcher la libre circulation des médicaments et modifier le fonctionnement du marché intérieur.
Afin d'empêcher une telle évolution hétérogène dans le secteur pharmaceutique, le législateur européen a instauré une série uniforme de règles en promulguant des règlements sur la protection des médicaments (règlement 469/2009, "version codifiée" du règlement 1798/92), des médicaments à usage pédiatrique (règlement 1901/2006) et des produits phytopharmaceutiques2 (règlement 1610/96, servant d'outil pour l'interprétation faisant autorité du règlement 1768/92).
Les dispositions de ces règlements de l'UE complètent ou remplacent les règles nationales non conformes3 et ont donné lieu à de nombreux problèmes d'interprétation qui ont été soumis, à maintes reprises, à la Cour de justice pour décision préjudicielle (conformément à l'article 267 du Traité), en particulier par la Haute cour de justice d'Angleterre et du Pays de Galles (Chancery Division).
Les points suscitant le plus de discussions sont les suivants :
1. prolongation de la durée des brevets phamaceutiques (ou "rétablissement de la durée du brevet") ;
2. rapport entre l'étendue de la protection du CCP et l'étendue de la protection du brevet.
Je m'efforcerai de rendre compte des principes énoncés progressivement par la Cour de justice sur ces deux points, en suivant une ligne logique comparant certains exemples pertinents tirés de la jurisprudence nationale.
II. Prolongation de la durée des brevets pharmaceutiques
Les premiers États à avoir prolongé la durée de vie des brevets pharmaceutiques pendant une période équivalente à celle comprise entre la date du dépôt de la demande et la date de l'autorisation de mise sur le marché (au maximum cinq ans) sont les États-Unis en 1985 et le Japon en 1988.
Disposant d'une législation semblable à celle adoptée par la France et d'autres pays européens, l'Italie a instauré le certificat complémentaire de protection pour les médicaments par la loi n° 349 du 19 octobre 1991, prolongeant ainsi la durée des brevets jusqu'à 18 ans après son expiration légale.
Le délai à l'issue duquel les inventions pharmaceutiques tombaient dans le domaine public (avec une hausse exponentielle des dépenses pharmaceutiques liées au remboursement des médicaments par le service national de santé), était si long que la loi n° 112 du 15 juin 2002 a ramené ce délai à cinq ans au maximum, l'alignant ainsi sur la "norme" de l'UE, et a prévu − pour les certificats délivrés conformément à l'ancienne loi − une procédure de réduction progressive de la prolongation à six mois par année civile à compter du 1er janvier 2004 et ce jusqu'à l'alignement complet sur les normes de l'UE.
La limitation des droits exclusifs dont jouissait jusqu'alors l'industrie pharmaceutique a entraîné un important contentieux auprès de la Commission de recours de l'Office italien des brevets et des marques (auprès duquel avaient été attaquées les mesures de "recalcul" de l'Office), auprès de la Cour constitutionnelle (en raison de la limitation, sans indemnisation, des droits de propriété intellectuelle, et de la violation des attentes légitimes concernant l'inviolabilité de la durée initiale), auprès du juge administratif4 et auprès des tribunaux spécialisés en matière de propriété intellectuelle.5
Les tribunaux italiens, écartant toute possibilité d'inconstitutionnalité de la nouvelle législation et ce également à la lumière de l'intervention de la Cour de cassation6, ont finalement confirmé le système de réduction légale qui garantissait une mise en conformité progressive avec la législation de l'UE, un rapprochement avec les législations des autres États membres et une plus grande libéralisation de la commercialisation de médicaments génériques conformément au principe de la libre concurrence.
Conformément à l'article 7 du règlement 469/2009 (à l'instar du règlement 1768/92), la demande de certificat doit être déposée auprès de l'autorité compétente (en Italie, l'Office des brevets et des marques7) dans un délai de six mois à compter de la date à laquelle l'autorisation de mise sur le marché a été délivrée.
Le délai mentionné ci-dessus est un délai impératif protégeant les tiers qui auraient effectué d'importants investissements pour une invention tombée dans le domaine public et dont la date effective a fait l'objet d'interprétations divergentes et de différends avec le Ministère de l'industrie.
La Cour de cassation a établi que le dies a quo (jour à partir duquel le délai commence à courir) devrait être non pas la date de promulgation de la mesure ministérielle, mais la date (ultérieure) de publication de cette mesure ministérielle au Journal officiel, la partie intéressée ayant seulement alors raisonnablement la possibilité de pouvoir en prendre connaissance.8
Selon le règlement 469/2009 (article 13), le certificat a une durée égale à la période écoulée entre la date du dépôt de la demande de brevet et la date de la première autorisation de mise sur le marché, réduite d'une période de cinq ans.
Le certificat est effectif pendant une période de cinq ans au maximum, mais cette période peut être prolongée de six mois pour les médicaments à usage pédiatrique (règlement 1901/2006) lorsque la demande est étayée par des études et des recherches réalisées selon un plan d'investigation pédiatrique (cette situation est connue sous le nom de "prolongation pédiatrique").
En s'inspirant de ce qui précède, la Cour de justice a déterminé (dans l'affaire Merck Sharp)9 que des CCP pouvaient être établis même avant que soient écoulées les cinq années séparant la date de dépôt de la demande de brevet et la date de la première autorisation de mise sur le marché.
Dans les faits, aucune indication systématique ne s'oppose à la délivrance de certificats pour une durée égale à zéro ou une durée négative, même si un refus éviterait la "prolongation pédiatrique" (toujours liée à un certificat), affaiblissant les efforts visant à évaluer les effets du médicament en pédiatrie.
Dans ce cas, la période de prolongation pédiatrique court à partir de la date déterminée en déduisant de la date d'expiration du brevet la différence entre cinq ans et la durée de la période écoulée entre le dépôt de la demande de brevet et la délivrance de la première autorisation de mise sur le marché.
Le règlement 469/2009 (article 13) prend en compte la date de délivrance de la première autorisation de mise sur le marché dans l'UE du médicament selon les règles applicables aux médicaments à usage humain et vétérinaire, figurant dans les directives CEE 65/65 et 81/851.
Les motifs de sécurité juridique excluent la référence à toute autre loi concernant la détermination des prix ou le remboursement des médicaments, qui sont des aspects purement nationaux n'étant pas encore harmonisés au niveau de l'UE.
Comme expliqué par la Cour de justice, cela garantit que la protection par brevet cesse simultanément dans tous les États membres concernés (affaire Hässle)10.
Sur la base du considérant 9 du règlement 469/2009, la Cour de justice a précisé que le titulaire à la fois d'un brevet et d'un certificat ne peut jamais bénéficier de plus de 15 ans d'exclusivité (affaire Merck Canada)11.
À ce sujet, il a été indiqué (affaire AstraZeneca)12 que l'autorisation de mise sur le marché d'un médicament, délivrée dans un pays tiers (la Suisse) et reconnue automatiquement au Liechtenstein en raison de l'union régionale entre les deux pays, devrait être considérée comme la première autorisation de mise sur le marché du produit si elle est obtenue avant les autorisations délivrées via les procédures centralisées appliquées par l'Agence européenne de médicaments (EMA) ou par les autorités des États membres et indépendamment des refus exprimés par la suite.
Cette première autorisation de mise sur le marché n'est pas destinée à remplacer l'autorisation délivrée par les États membres mais elle répond à un besoin lié purement à la durée, visant à éviter de prolonger la période d'exclusivité (de 15 ans à partir de la première autorisation) lorsque les deux types d'autorisation de mise sur le marché coexistent.
III. Rapport entre l'étendue de la protection conférée par le brevet et celle conférée par le CCP
Comme je l'ai indiqué précédemment, les points les plus importants dans ce domaine sont notamment le rapport entre l'étendue de la protection du brevet et celle du CCP.
Les règles d'interprétation adoptées par la Cour de justice pour résoudre les différends au niveau national comportent un grand nombre d'aspects.
Il convient tout d'abord de noter que conformément aux règlements 1768/92 et 469/2009, le brevet de base est celui qui protège le produit (ou le processus de fabrication ou l'utilisation du produit) considéré comme le "principe actif" ou la "composition de principes actifs" d'un médicament.
Le produit couvre les éléments chimiques et leurs composés, y compris toute impureté générée inévitablement par le processus de fabrication, si bien que deux produits qui ne se distinguent que par la proportion d'impuretés qu'ils contiennent doivent être considérés comme étant le même produit (affaire BASF).13
Il convient de distinguer le principe actif, qui est la substance de base (molécule) possédant des propriétés curatives à l'égard des maladies humaines et animales14, de l'excipient, qui est une substance inerte agissant comme vecteur du principe actif pour faciliter ou accélérer l'administration du médicament.
L'excipient n'est jamais un principe actif bien qu'il contribue à l'efficacité du médicament. Par ailleurs, une substance dépourvue d'effet thérapeutique ne peut, en aucun cas, être considérée comme un principe actif.
La "composition de principes actifs" (qui – comme le principe actif - constitue le "produit" en tant que tel, protégé par le brevet de base) est interprétée de manière rigoureuse par la jurisprudence de la Cour de justice afin d'éviter l'introduction de facteurs d'incertitude dans l'application des règlements mentionnés ci-dessus.
Par conséquent, le concept n'inclut ni la composition constituée de deux substances dont l'une seulement a un effet thérapeutique (affaire Massachusetts Institute of Technology-MIT)15 ni l'adjuvant ayant pour unique objectif de "renforcer" l'effet thérapeutique (affaire GlaxoSmithKline)16.
La protection (prolongée) qu'il est possible d'obtenir avec le CCP dépend du type du brevet de base.
Si le brevet couvre le produit en tant que tel, la protection conférée par le CCP concernera ledit produit.
Si le brevet porte sur le processus de fabrication, le CCP concernera uniquement ledit processus et le produit directement obtenu grâce à ce dernier (si le droit national applicable l'exige).
Les offices de PI des États membres n'ayant pas le droit de délivrer des CCP pour des principes actifs non identifiés dans les revendications du brevet de base, il est interdit de délivrer un certificat pour un produit autre que celui obtenu à partir du processus ci-dessus, quel que soit le mode de réalisation (affaire University of Queensland)17.
Si le brevet concerne une nouvelle application thérapeutique (à usage humain) d'un principe actif déjà connu et ayant fait l'objet d'une précédente autorisation de mise sur le marché en tant que médicament (à usage vétérinaire), la protection conférée par le CCP s'étendra à la nouvelle utilisation dudit produit (mais pas au principe actif en tant que tel) à condition toutefois qu'il entre dans le domaine d'application du brevet de base (affaire Neurim).18
Selon une interprétation "restrictive" du texte (article 4) du règlement 1768/92, il était considéré dans le passé que le CCP ne conférait pas une extension équivalente à celle du brevet de base protégeant le principe actif (ou la composition de principes actifs) mais attribuait l'exclusivité seulement à la "spécialité pharmaceutique" identifiée dans l'autorisation de mise sur le marché.
Cette interprétation a été également confirmée par une décision de la Cour de cassation19limitant la protection à ce qui était effectivement produit selon le brevet en vertu de l'autorisation de mise sur le marché. Les fabricants de "génériques" se sont appropriés une telle interprétation et ont revendiqué, dès la date d'expiration naturelle du brevet, la liberté de produire et de vendre d'autres spécialités pharmaceutiques utilisant ce même principe actif ou cette même matière première.
En ce qui concerne l'identification de l'objet de la protection, une interprétation plus large prédomine aujourd'hui. Elle est mise en avant par les "fabricants de médicaments d'origine" et confirmée par le texte du règlement 1610/96 sur les CCP concernant les produits phytopharmaceutiques (selon le considérant 17 donnant une interprétation authentique du règlement 1768/92).
Le règlement 1610/96 – bien que formulé de la même manière que le règlement 1768/92 (et le règlement 469/2009) sur l'objet de la protection (article 4) – précise, dans le considérant 13, que le certificat confère les mêmes droits que ceux conférés par le brevet de base ; que, par conséquent, lorsque le brevet de base couvre une substance active et ses différents dérivés (sels et esters), le certificat confère la même protection.
Le titulaire du certificat pourra donc continuer à conserver, même pendant la période de prolongation, la maîtrise des différentes formulations, mais substantiellement dérivées, de ce même produit, en en empêchant la reproduction par des tiers.
Le problème dit "problème du sel" a été résolu par la Cour de justice (affaire Farmitalia)20 en ce sens que lorsqu'un produit - sous la forme indiquée dans l'autorisation de mise sur le marché – est protégé par un brevet de base, le CCP couvre ce produit, en tant que médicament, sous toutes les formes dans les limites de l'étendue de la protection conférée par le brevet de base.
La jurisprudence italienne (rendue notamment par le Tribunal de Rome21 et par la Commission des recours de l'Office italien des brevets et des marques22, qui, en Italie, est une juridiction spéciale compétente pour le règlement des différends concernant la brevetabilité et l'enregistrement des marques), est en phase avec cette position, affirmant que la protection conférée par le CCP ne se limite pas au médicament qui a fait l'objet de la demande d'autorisation de mise sur le marché mais que ladite protection s'étend au principe actif couvert par le brevet de base dans tous ses modes de réalisation.
Ces décisions s'expliquent par le fait qu'elles permettent au titulaire du brevet de jouir de la période d'exclusivité reconnue par la loi dans sa "globalité substantielle".
Il s'ensuit que, quelles que soient les définitions et les formes de réalisation du médicament breveté, toutes bénéficient de la prolongation de la protection conférée par le brevet, à condition qu'elles s'inscrivent dans l'étendue de la protection conférée par le brevet de base.
Il a été indiqué également (affaire Georgetown University I)23 que le fait qu'un médicament faisant l'objet d'une demande d'autorisation de mise sur le marché soit associé à d'autres principes actifs avec d'autres objectifs thérapeutiques (protégés ou non par un autre brevet) n'empêche pas la délivrance d'un CCP pour un principe actif mentionné dans le texte des revendications du brevet de base.
La Cour a expliqué que les médicaments commercialisés pour soigner des maladies complexes sont souvent des compositions multithérapeutiques de principes actifs administrés dans une seule préparation et qu'une solution restrictive rendrait difficile la réalisation de l'objectif du règlement 469/2009, à savoir la garantie d'une protection suffisante pour encourager la recherche et contribuer à l'amélioration de la santé publique.
Un autre aspect est l'élaboration de règles visant à déterminer l'étendue de la protection conférée par le brevet de base.
La Cour de justice – toujours dans l'affaire Farmitalia – a précisé que, vu l'absence d'harmonisation du droit des brevets, il convient de se référer à la législation nationale (c'est-à-dire aux règles applicables au brevet).
Par conséquent, pour les brevets délivrés par l'OEB (la majorité), il conviendra d'appliquer l'article 69 CBE (et le protocole d'interprétation correspondant), lequel accorde une importance essentielle aux revendications.
Il convient de noter que selon les règles d'interprétation de l'OEB, l'étendue de la protection du brevet est déterminée uniquement par les revendications (à la lumière de la description et des dessins). La protection ne peut donc pas s'appliquer à un élément divulgué dans le fascicule mais non revendiqué (système de revendications).
En tout cas, la création d'un brevet européen à effet unitaire (valable dans les pays participant à la coopération renforcée)24et la référence explicite au CCP dans le cadre de la protection juridique accordée par l'accord relatif à une juridiction unifiée du brevet (article 3b)25 pourront, à l'avenir, être utilisés pour adopter des solutions d'interprétation communes au niveau de l'UE.
Le rôle essentiel joué par les revendications a été souligné dans les affaires Medeva26 et Daiichi27 dans lesquelles la Cour a précisé qu'aucun CCP concernant des principes actifs (ou dérivés) non mentionnés dans le texte des revendications du brevet de base ne peut être délivré, au motif que le CCP confère les mêmes droits que le brevet de base et qu'il est soumis aux mêmes limites et aux mêmes obligations que ce dernier. Par ailleurs, dans le considérant 14 du règlement 1610/96 sur la protection des produits phytopharmaceutiques, il est indiqué explicitement que les produits faisant l'objet de brevets doivent être revendiqués "spécifiquement".
Par conséquent, la Cour de justice a précisé dans l'affaire Yeda28 qu'un CCP ne peut pas être délivré sur des substances actives qui ne sont pas spécifiées dans le texte des revendications du brevet de base.
De même, il n'est pas possible de délivrer un CCP pour un principe actif considéré de manière isolée, lorsque le brevet de base revendique une composition de deux principes actifs sans fournir de revendications pour chacune d'entre eux.
Dans l'affaire Eli Lilly29, la Cour de justice a précisé les modalités applicables pour spécifier le produit dans le libellé des revendications du brevet de base (affaire liée à la formule structurelle et à la formule fonctionnelle du principe actif indiqué dans la revendication).
La Cour, invoquant sa jurisprudence sur l'importance fondamentale des revendications pour déterminer si le produit est protégé par un brevet de base, a établi qu'il n'est pas nécessaire de mentionner le principe actif dans les revendications sur une formule "structurelle", qu'il suffit que le principe actif soit exprimé par une formule "fonctionnelle" dans la mesure où, selon les règles d'interprétation habituelles (c'est-à-dire sur la base de revendications interprétées à la lumière de la description), il est possible d'en déduire que les revendications se rapportent implicitement mais nécessairement et spécifiquement au principe actif.
Je souhaiterais souligner que la jurisprudence italienne (en particulier le Tribunal de la propriété intellectuelle de Milan)30, dans des décisions substantielles et mesures provisoires prises en 2012 et 2013, a anticipé dans une certaine mesure cette interprétation de la Cour de justice.
Le Tribunal italien a établi que pour la délivrance et la validité d'un CCP, il suffit que le principe actif ou la composition de principes actifs soient protégés par le brevet de base mais qu'il n'est pas nécessaire que le produit soit spécifiquement décrit par son nom et identifié dans le texte du brevet, car cette condition n'est pas exigée par le règlement 469/2009 (article 3a)) .
Il a été avancé que le brevet protège l'idée visant à résoudre un problème technique, qui peut être mise en pratique par différentes créations concrètes appartenant à un même concept d'invention.
C'est pourquoi, dans les secteurs chimique et pharmaceutique, les brevets dits à "formule générale", dont l'étendue de protection comprend également les composés non identifiés individuellement mais pouvant être déduits de la formule, sont parfaitement valides.
Par conséquent, les principes actifs peuvent être indiqués de manière générale dans le texte des revendications par la catégorie à laquelle ils se réfèrent.
Sur ce point, il a été précisé que le critère de description suffisante doit être considéré comme satisfait si un spécialiste médical sur le terrain est en mesure de réaliser l'invention d'après son expérience professionnelle, sans avoir à recourir à des recherches et à des expériences plus complexes, mais en se référant à de simples essais de laboratoire pour compléter les informations fournies par le brevet et en choisissant le principe actif le plus adapté et le plus efficace de la catégorie pour mettre en œuvre la revendication.
IV. Autres questions sur l'extension de la protection
Pour terminer, permettez-moi de vous faire part de mes réflexions sur la protection multiple.
À ce sujet, je souhaiterais vous exposer comment le Tribunal de la propriété intellectuelle de Milan a suivi et développé les principes établis par la Cour de justice dans les affaires Actavis31 et Georgetown II32 (voir ci-dessous), considérant comme liant le juge national et visant à éviter une seule "séquence" de CCP susceptible de reporter indéfiniment la fin de la protection avec des compositions entre un principe actif "innovant" et d'autres composés non décrits de manière générale dans le brevet de base (et non protégés "en tant que tels" par ce brevet).
D'après la jurisprudence européenne, il est possible, en principe et sur la base d'un brevet protégeant plusieurs produits "différents", d'obtenir plusieurs CCP en relation avec chacun de ces produits, dans la mesure où chacun de ces produits est protégé "en tant que tel" par ce brevet "de base".
Il convient de souligner que dans les affaires Biogen33 et Ahp Manifacturing34, la Cour a indiqué également que, si un produit est protégé par plusieurs brevets de base appartenant à deux ou plusieurs titulaires (qu'il s'agisse d'un produit en tant que tel ou d'un processus de fabrication ou d'une utilisation dudit produit), chacun des titulaires a le droit d'obtenir un CCP afin de concilier les intérêts en jeu et d'éviter une protection du produit pharmaceutique différente entre les États membres.
D'un autre côté, il est impossible d'obtenir plus d'un certificat pour un seul et même produit.
Sur ce point, il convient de préciser que, bien que le jugement Biogen fait officiellement un lien avec l'interdiction de délivrer plusieurs certificats pour un seul et même brevet, la limite est trouvée dans le "produit" tel que cité à l'article 3c) du règlement 469/2009 (et du règlement 1768/92).
Les décisions italiennes mentionnées précédemment35 suivent ce principe, indiquant qu'un "brevet de base" peut donner lieu à autant de CCP qu'il y a de "produits" protégés par ce brevet.
Dans ces décisions (de la jurisprudence italienne), il a été considéré que le terme "produit" figurant à l'article 3c) du règlement 469/2009 se réfère au produit en tant que médicament et non au brevet dans son intégralité (qui peut légitimement protéger plusieurs produits). Par ailleurs, la règle selon laquelle le brevet ne peut avoir comme objet plus d'une invention n'est jamais pertinente, étant donné que sa violation pourrait avoir des conséquences purement administratives, avec l'obligation de déposer une demande divisionnaire ne donnant lieu à aucune invalidité.
La délivrance de CCP "multiples" est donc autorisée dans le cas d'un brevet de base protégeant plusieurs produits "différents". Le titulaire du brevet de base ayant obtenu un certificat pour une composition de principes actifs pourra ainsi obtenir un autre certificat pour un des principes actifs qui – considéré individuellement - est protégé "en tant que tel" par le brevet en question (affaire Georgetown II).36
Par conséquent, il a été avancé (affaire Actavis)37 que le titulaire d'un brevet protégeant le principe actif pour lequel un CCP a été délivré ne peut pas obtenir, sur la base de l'autorisation de mise sur le marché de médicaments contenant le principe actif associé à un autre principe actif non protégé par le brevet, un deuxième CCP concernant la composition de ces principes actifs.
Par ailleurs, d'après ces précédents, le Tribunal italien38 a indiqué que le produit (principe actif) protégé "en tant que tel" par le brevet de base doit être compris et identifié comme étant celui qui contient le noyau inventif central. Il ne suffit donc pas d'inclure une simple désignation dans les revendications du principe actif, éventuellement dans le cadre d'une composition, en l'absence de caractère "innovant".
Il est donc nécessaire d'exclure d'une telle définition les compositions entre un principe actif et d'autres principes connus (par exemple : revendications indépendantes proposées, tirant parti des exigences d'inventivité de la revendication principale de laquelle elles dépendent), donnant lieu à de simples formes d'administration de médicaments généralement prescrits ensemble.
L'approche pro-concurrence du système est donc confirmée.
Dans les faits, la protection complémentaire en tant qu'outil permettant de prolonger les droits de brevet exclusifs constitue une exception au principe général d'entrée dans le domaine public. Ainsi, une telle protection devra être considérée comme réalisable uniquement et exclusivement pour l'objet de l'invention réelle couverte par le brevet. À l'expiration du certificat, l'invention pharmaceutique doit donc être mise à la disposition du public afin de déclencher une dynamique des prix suivant généralement la fin d'un monopole – ce qui est une issue favorable pour les consommateurs.
1 Le texte adopté le 17 décembre 1991 lors de la conférence diplomatique est entré en vigueur le 4 juillet 1997. L'Acte final de la Conférence a été ratifié par l'Italie dans la loi n° 125 du 12 avril 1995.
2 Les produits phytopharmaceutiques ou les pesticides sont des substances utilisées pour combattre les maladies ou les parasites des plantes.
3 L'article 61 du Code de la propriété italien (décret législatif n° 30 du 10 février 2005 tel que modifié par le décret "correctif" n° 131 du 13 août 2010) renvoie – en ce qui concerne la délivrance et les effets des CCP – aux dispositions des règlements susmentionnés tout en prévoyant, dans l'article 81, une règlementation transitoire pour les CCP délivrés conformément à la loi n° 349 du 19 octobre 1991.
4 Tribunal administratif du Latium 12 juin 2003, n° 7 858, dans Droit Industriel 2003, 512.
5 Tribunal de Rome, 21 octobre 2007 dans Recueil de jurisprudence des sections spécialisées dans la propriété intellectuelle, vol. 2007, n° 387.
6 Cour de cassation, 25 septembre 2008, n° 24 083.
7 La Cour constitutionnelle, par son jugement du 4 juillet 1996, a rejeté le motif d'inconstitutionnalité pour atteinte au principe de la liberté d'entreprendre, invoqué face au refus de déposer la demande auprès de l'UPICA (Bureau provincial de l'industrie, du commerce et de l'artisanat).
8 2 juin 1999, n° 5378.
9 Cour de justice, 8 décembre 2011, C-125/10.
10 Cour de justice, 11 décembre 2013, C-127/00.
11 Cour de justice, 13 février 2014, C-555/13.
12 Cour de Justice, 14 novembre 2003, C-617/12.
13 Cour de justice, 10 mai 2001, C-258/99.
14 Le Règlement 847/2000 du 27 avril 2000 sur la classification des médicaments dits "orphelins" (médicaments destinés à soigner des maladies tellement rares que sans mesures d'incitation au profit de l'industrie pharmaceutique, leur production ne permettrait pas de couvrir les coûts de la recherche) définit une substance active comme étant "une substance ayant une activité physiologique ou pharmacologique".
15 Cour de justice, 4 mai 2006 C-431/04. Les conclusions de l'Avocat général vont dans le sens opposé, à savoir que la notion de composition de principes actifs devrait également inclure les compositions dans lesquelles la substance ou les excipients sont essentiels pour garantir l'efficacité thérapeutique du principe actif.
16 Cour de justice, 14 novembre 2013, C-210/13.
17 Cour de justice, 25 novembre 2011, C-630/10.
18 Cour de justice, 19 juillet 2012, C-130/11.
19 Cour de cassation, 5378/99 comme ci-dessus.
20 Cour de justice, 16 septembre 1999, C-392/97.
21 Tribunal de Rome, 19 mai 2003, dans Jurisprudence romaine 2004, 307 et suivants, mais aussi Tribunal de Milan, 18 juin 2008, n° 7855 : www.darts-ip.com.
22 Commission des recours de l'Office italien des brevets et des marques, jugement 11/11 du 27 janvier/28 avril 2010.
23 Cour de justice, 24 novembre 2011, C-422/10.
24 Règlement 1257/2012 du 17 décembre 2012.
25 11 janvier 2013, 16351/12.
26 Cour de justice, 24 novembre 2011, C-322/2010.
27 Cour de justice, 25 novembre 2011 C-6/11.
28 Cour de Justice, 25 novembre 2011 C-518/10.
29 Cour de justice, 12 décembre 2013, C-493/12.
30 Tribunal de Milan, 22 et 29 décembre 2012, 6 mars 2013, 20 avril 2013, dans la Revue de droit industriel 2013, II, pp. 169 et suivants.
31 Cour de justice, 12 décembre 2013, C-443/12.
32 Cour de justice, 12 décembre 2013, C-484/12.
33 Cour de justice, 27 janvier 1997, C-181/95.
34 Cour de justice, 3 septembre 2009, C-482/07.
35 Voir note 30.
36 Cour de justice, 12 décembre 2013, C-484/12.
37 Cour de justice, 12 décembre 2013, C-443/12.
38 Tribunal de la propriété intellectuelle de Milan, 10 juillet 2014.