VI. QUESTIONS INSTITUTIONNELLES
1. Caractère juridictionnel des chambres de recours de l'OEB
ES – Espagne
Cour d'appel de Madrid (28e chambre), 4 mars 2013 (17/2013) – Actavis Group et al. c. Merck Sharp & Dohme
Mot-clé : interprétation de la Convention – décisions des chambres de recours de l'OEB – deuxième indication médicale
La Cour d'appel de Madrid a fait droit aux prétentions des demandeurs, qui contestaient la brevetabilité du brevet pour défaut d'activité inventive, et a révoqué le brevet européen 724 444. Un point important de la décision était cependant de déterminer si la revendication en question était exclue de la brevetabilité conformément aux art. 52(4) et 54(5) CBE.
Le défendeur avait observé que, dans le cadre de procédures parallèles, une juridiction du Royaume-Uni (Cour d'appel, affaire Actavis UK Ltd c. Merck & Co) avait estimé dans un arrêt en date du 21 mai 2008 que les revendications de type suisse étaient autorisées lorsqu'une nouvelle posologie conférait à l'invention un caractère nouveau. Elle avait ainsi suivi la décision de l'OEB rendue dans l'affaire T 1020/03. Dans la décision G 2/08, la Grande Chambre de recours avait également estimé que de telles revendications n'étaient pas exclues de la brevetabilité lorsque la posologie est la seule caractéristique revendiquée qui n'est pas comprise dans l'état de la technique. Les intimés avaient fait valoir que les juridictions nationales n'étaient pas tenues de suivre le critère adopté par l'OEB, citant des décisions rendues par des juridictions françaises et allemandes sur cette même question de droit.
La Cour d'appel de Madrid a estimé que rien ne s'opposait à la brevetabilité de telles inventions. Elle a déclaré que, même si les décisions de l'OEB ne sont pas contraignantes, la nécessité de promouvoir l'harmonisation du système des brevets et de garantir une application uniforme de la CBE devait également être prise en compte, en particulier en ce qui concerne l'interprétation de l'étendue des exclusions de la brevetabilité. La Cour a ajouté qu'il fallait tenir compte de l'importance particulière des décisions des chambres de recours de l'OEB pour l'interprétation de la CBE. Elle a observé que la Convention met en place un système de type juridictionnel et garantit la nécessaire indépendance des chambres de recours (art. 23 CBE). De plus, celles-ci remplissent les conditions pour être considérées comme un tribunal au sens de l'art. 6 CEDH.
Note de la rédaction : voir également l'arrêt du 7 novembre 2011 (no 317/2011) de la Cour d'appel de Madrid (28e chambre) sur le statut des chambres de recours, qui s'appuie sur une argumentation similaire.
2. Les décisions de l'OEB, la Convention et les juridictions nationales
ES – Espagne
Cour suprême (chambre civile), 27 avril 2011 – LEK Pharma c. Warner Lambert – Atorvastatina (274/2011)
Mot-clé : inventions de sélection – applicabilité des Directives relatives à l'examen pratiqué à l'OEB et des décisions des chambres de recours
L'affaire concernait la révocation du brevet européen 409.281, qui portait sur l'atorvastatine calcique. Le sel calcique d'atorvastatine est le principe actif d'un médicament hypocholestérolémiant largement utilisé.
Dans son arrêt en date du 18 octobre 2007 (cf. la deuxième édition de "La jurisprudence des États parties à la CBE" 2004 – 2011, JO éd. spéc. 3/2011, p. 69), la Cour d'appel de Barcelone (15e chambre) avait déclaré le brevet valable. Elle avait estimé que le brevet de sélection était nouveau et qu'il ne s'écartait pas des critères généraux développés par les chambres de recours de l'OEB, connus sous le nom de "principe des deux listes". Par la suite, le demandeur a contesté cette décision auprès de la Cour suprême, au motif qu'en appliquant les règles d'interprétation développées par la CBE, la Cour d'appel avait méconnu de manière manifeste le droit applicable.
La Cour suprême a confirmé l'arrêt de la Cour d'appel sur les questions de la brevetabilité des inventions de sélection et du "principe des deux listes". Elle a également clarifié le concept de divulgation implicite. Quelques mois plus tard, une autre décision de la Cour suprême, en date du 11 novembre 2011, a confirmé cette décision (Cinfa et al. c. Warner-Lambert). Au sujet de la présumée violation du droit applicable, la Cour suprême a fait remarquer que les tribunaux nationaux étaient compétents en matière de déclarations de nullité, mais que la CBE s'appliquait pleinement pour ce qui était du régime juridique de la nullité. Elle a constaté que l'affaire en cause ne portait pas sur les effets du brevet européen, qui étaient déterminés conformément au droit national des brevets respectif de chaque État contractant (art. 2 CBE), mais sur une action en nullité qui était soumise au régime juridique de la CBE. Par conséquent, elle a déclaré qu'il était entièrement justifié de considérer les Directives relatives à l'examen pratiqué à l'OEB comme un élément utile pour apprécier la nouveauté. Elle a fait observer que ces critères étaient applicables pour interpréter des concepts clés de la Convention sur le brevet européen. On ne pouvait donc reprocher à la Cour d'appel d'avoir adopté des critères d'interprétation utilisés dans des décisions des chambres de recours.
ES – Espagne
Cour d'appel de Barcelone (15e chambre), 24 juillet 2014 – Merck & Co. c. Laboratorios Alter et al. (Auto 93/2014)
Mot-clé : révocation d'un brevet européen – effet rétroactif ("ex tunc")
Il était question, dans la présente affaire, de l'effet que la révocation d'un brevet européen par l'OEB pouvait avoir sur une procédure nationale parallèle. Le titulaire du brevet européen 1 175 904 avait poursuivi plusieurs entreprises pour contrefaçon de la partie espagnole de son brevet. Les défendeurs avaient engagé des actions en nullité dans le cadre de ces mêmes procédures, ainsi qu'une procédure d'opposition contre le titulaire du brevet devant l'OEB. Le brevet européen a finalement été révoqué par l'OEB. Par la suite, le demandeur a demandé à la juridiction nationale d'abandonner la procédure au titre de l'art. 68 CBE, en vertu duquel la révocation d'un brevet a un effet rétroactif ("ex tunc") et le brevet européen est par conséquent réputé n'avoir eu aucun effet dès l'origine. La décision de l'OEB déclarant le brevet non valable avait ou aurait pu avoir un effet à la fois sur les actions en contrefaçon et sur les actions en nullité dans les procédures parallèles en instance devant les juridictions nationales. Le tribunal de première instance (tribunal de commerce no 6 de Barcelone) a ordonné l'abandon de la procédure en raison de la perte inopinée de l'objet du litige, sans condamnation aux dépens.
La Cour d'appel de Barcelone (15e chambre) a infirmé la décision de la juridiction inférieure quant à l'effet que la révocation d'un brevet européen pouvait avoir sur les procédures nationales de contrefaçon. Elle a estimé que la révocation d'un brevet européen par l'OEB n'a pas le même effet sur les actions en contrefaçon que sur les actions en nullité engagées devant les juridictions nationales. La Cour a cité un arrêt qu'elle avait rendu le 5 octobre 2012 (numéro de rôle 720/2011), dans lequel elle avait jugé qu'une décision de l'OEB déclarant un brevet européen non valable n'affectait pas de la même manière toutes les actions en instance devant une juridiction nationale : les actions en nullité dans le cadre de procédures nationales parallèles sont privées de leur objet, tandis que les actions en contrefaçon n'ont pas à subir un tel effet.
Le titulaire du brevet/demandeur avait affirmé qu'il n'existait dans la présente affaire aucun intérêt légitime à obtenir une protection juridique réelle et que la reconnaissance d'un intérêt légitime à obtenir un jugement ne pouvait être justifiée uniquement par l'obtention d'une décision prévoyant une condamnation aux dépens. La Cour a fait observer que l'action en contrefaçon vise à faire constater que des actes de contrefaçon du brevet en cause ont été commis. Il apparaît clairement que la révocation du brevet par l'OEB a eu un effet sur l'action en contrefaçon ; non pas, toutefois, en privant l'action de son objet et en mettant ainsi fin à la procédure, mais plutôt en énonçant dans la décision qu'aucune contrefaçon n'avait été possible.
FR – France
Cour de cassation, 3 avril 2012 [10-21084] – M. G / Sté R
Mot-clé : autorité des décisions des chambres de recours
Le brevet européen 0 106 997 avait pour objet un procédé pour le traitement des déchets métalliques en vue de la récupération des métaux qui y sont contenus.
Monsieur G faisait grief à l'arrêt de la cour d'appel de l'avoir débouté de sa demande en contrefaçon, et sur la détermination de l'étendue de la protection conférée par le brevet européen Monsieur G faisait notamment valoir au soutien de son pourvoi qu'une décision d'une chambre de recours de l'OEB accordant un brevet sous une forme amendée a autorité de chose jugée.
La Cour de cassation énonce entre autres que la cour d'appel qui n'était pas liée par la décision de la chambre de recours de l'Office européen des brevets et qui n'était pas tenue de suivre les parties dans le détail de leur argumentation a pu statuer comme elle a fait.
FR – France
Cour d'appel de Paris, 3 juillet 2013 (10/22679) – Sté Sotira c. Sté Cpo
Mot-clé : autorité des décisions des chambres de recours
Les revendications litigieuses 1 et 4 du brevet français de la société Cpo sont identiques, notamment à celles de son brevet européen délivré le 7 septembre 2005, lequel ne désigne pas la France mais qui ont justifié, faute d'activité inventive, sa révocation le 19 octobre 2011 (T 17/09).
La Cour d'appel précise que si le brevet européen correspond à la même invention que le brevet français objet du litige, la cour n'est pas liée par la décision rendue par la chambre de recours technique de l'OEB le 19 octobre 2011 (T 17/09) ; la cour n'est pas plus tenue par la décision antérieure de la division d'opposition de l'OEB. Il appartient donc à la cour d'apprécier la validité des revendications litigieuses.
La Cour d'appel conclut en l'espèce à l'annulation des revendications 1 et 4 du brevet FR 9 901 175 pour défaut d'activité inventive.
GB – Royaume-Uni
Tribunal des brevets, 27 juillet 2012 – Virgin Atlantic Airways Ltd c. Contour Aerospace Ltd and Ors [2012] EWHC 2153 (Pat)
Mot-clé : désignation du Royaume-Uni – non susceptible d'être jugée devant les tribunaux anglais
Une question s'est également posée au sujet de la désignation incorrecte du Royaume-Uni, qui n'avait pas été demandée.
Le juge a énoncé que les États parties à la CBE ont expressément délégué la procédure de délivrance des brevets européens à l'OEB. Les décisions qui sont rendues pendant la procédure de délivrance et qui, le cas échéant, ne font pas droit aux prétentions d'un individu ne peuvent pas toutes être contestées. La mesure dans laquelle il est possible de remettre en cause la désignation du Royaume-Uni dans la procédure devant l'OEB, à savoir en demandant à la division compétente de réexaminer sa décision, reflète la limite dont sont convenus les États contractants à cet égard. Cela n'enfreint pas les droits dont jouissent les défendeurs en vertu de l'art. 6 de la Convention européenne des droits de l'homme (suite aux affaires J.H. Rayner Ltd c. Department of Trade and Industry [1990] AC 418 et Lenzing AG's European Patent [1997] RPC 245).
GB – Royaume-Uni
Cour d'appel, 20 décembre 2013 – Virgin Atlantic Airways Ltd c. Zodiac Seats UK Ltd (anciennement dénommée Contour Aerospace Ltd) et autres [2013] EWCA Civ 1713
Mot-clé : désignation d'États – juridiction
Virgin avait fait le choix clair et non équivoque de ne pas désigner le Royaume-Uni dans la demande qu'elle avait déposée et qui avait donné lieu à la délivrance du brevet 908. Cependant, en raison d'une erreur, le brevet délivré incluait la désignation du Royaume-Uni. Au cours de la procédure devant l'OEB, la chambre de recours avait estimé dans l'affaire T 1259/09 que Premium (une ancienne société du groupe Zodiac) n'était pas admise, dans l'opposition qu'elle avait formée, à demander la révocation partielle du brevet afin que le Royaume-Uni ne soit pas désigné et que, n'étant pas partie à l'examen de la demande de brevet, elle n'avait pas qualité pour s'opposer à la délivrance d'un brevet incluant le Royaume-Uni. Dans la procédure anglaise, le juge de la Haute Cour avait rejeté l'appel contre une décision de l'Office anglais de la propriété intellectuelle et rejeté le moyen en défense contre l'action en contrefaçon, selon lequel la délivrance du brevet 908 pour le Royaume-Uni n'était pas valable. Cette question s'est de nouveau posée devant la Cour d'appel.
Lord Justice Patten a indiqué que la délivrance et la publication du brevet 908 avaient eu pour effet de conférer à ce dernier le statut juridique prévu à la section 77(1) Patents Act 1977, à savoir celui d'un brevet délivré sur la base d'une demande conformément à cette loi. Par conséquent, les motifs pour lesquels sa validité pouvait être mise en cause dans une procédure en Angleterre étaient limités à ceux énoncés à la s. 74(3) (cf. art. 52-57 CBE), laquelle fournissait donc à première vue une réponse complète à la question de la recevabilité des moyens de défense fondés sur le défaut de désignation ; voir l'affaire Genentech Inc's Patent [1989] RPC 147, dans laquelle la Cour d'appel avait rejeté la tentative consistant à attaquer la validité d'un brevet au motif qu'il n'avait pas été satisfait aux exigences de la s. 14(5) et que le brevet n'aurait donc jamais dû être délivré. La loi sur les brevets de 1977 devait être interprétée en ce sens qu'elle était en adéquation avec la CBE.
Il a été allégué que la situation avait changé avec l'adoption de la Loi sur les droits de l'homme (Human Rights Act) de 1998. Cependant, la Cour d'appel a souligné que, en termes de droit national, il était constant que les juridictions ne se considèrent pas comme compétentes pour faire appliquer ou se prononcer sur des droits et obligations qui résultent de négociations engagées entre États souverains (cf. par exemple l'affaire Lenzing AG's European Patent (UK) [1997] RPC 245). Comment fallait-il dès lors définir, en termes de "compétence juridictionnelle", la position et les fonctions de l'OEB, ainsi que ses relations avec le Royaume-Uni sur la base de la loi sur les brevets de 1977 ?
La Cour d'appel a estimé que lorsque les actions d'une organisation internationale pouvaient être considérées comme étant indépendantes des États contractants et que l'État contractant n'y participait pas ni ne les faisait siennes, aucune responsabilité juridique au titre de l'article premier de la Convention européenne des droits de l'homme ne pouvait être imputée à cet État eu égard aux conséquences de l'action en question. Il a été soutenu qu'en ce qui concerne les brevets européens, le Royaume-Uni avait adopté les dispositions juridiques et les procédures de l'OEB par le biais de sa loi sur les brevets de 1977, qui comporte l'obligation de reconnaître les brevets délivrés par l'OEB conformément à ces procédures. Cela créait le "lien juridictionnel" au titre de l'article premier de la Convention européenne des droits de l'homme et avait pour conséquence que la procédure de délivrance à l'OEB était susceptible d'être examinée par les juridictions anglaises dans les procédures secondaires.
La Cour d'appel n'a pas suivi cet argument. En l'occurrence, le Royaume-Uni, en tant qu'État contractant, n'avait pas participé de facto à la procédure d'examen ou de délivrance du brevet 908, ou n'avait assumé aucune responsabilité à cet égard. Cette procédure relevait de la seule compétence de l'OEB, qui était indépendant, sur un plan factuel et juridique, du Comptroller et de l'Office de la propriété intellectuelle du Royaume-Uni dans l'exercice de ses attributions en matière de délivrance de brevets. En vertu de la s. 77(1), les brevets européens prenaient directement effet en droit national dès la date de leur publication au Bulletin européen des brevets. La fonction du Comptroller était purement administrative. Le fait que les attributions de l'OEB découlent en vertu de la CBE d'un abandon de souveraineté par le Royaume-Uni ne suffisait pas à créer une compétence juridictionnelle au sens de l'article premier (cf. Behrami c. France [2007] 45 EHRR SE10 et Boivin c. 34 États membres du Conseil de l'Europe, 9 septembre 2008, CEDH 2008). La délégation d'attributions et de fonctions en faveur d'une organisation internationale n'était pas en soi incompatible avec l'article premier, et le statut juridique indépendant de cette organisation instituée par voie de traité était reconnu à des fins juridictionnelles. La Cour d'appel n'a pas admis que la reconnaissance, en vertu de la section 77 Patents Act 1977, de la validité et des effets des brevets européens puisse suffire à créer un lien en termes juridictionnels. La Cour a estimé en effet que cette reconnaissance signifiait l'acceptation, par le Royaume-Uni, des attributions conférées à l'OEB en tant qu'administration instituée et fonctionnant de manière indépendante. Si les juridictions anglaises se voyaient accorder une compétence générale pour réexaminer la validité des brevets sur la base de motifs non mentionnés dans la CBE, cela porterait irrémédiablement atteinte à l'ensemble du système de délivrance des brevets européens, et le Royaume-Uni enfreindrait les obligations qui lui incombent en vertu de la CBE.
De même, l'art. 6 n'entrait en ligne de compte dans la présente affaire que dans la mesure où il était nécessaire de trancher la question proprement dite de savoir si l'affaire pouvait être jugée. Il n'allait pas jusqu'à créer des droits matériels permettant de contester la validité du brevet 908, droits qui n'existent pas dans le droit national en vigueur.
NL – Pays-Bas
Tribunal de grande instance de La Haye, 19 décembre 2013 – Unilever N.V. c. Procter & Gamble
Mot-clé : décisions des chambres de recours – procédures nationales
Unilever est titulaire de la partie néerlandaise du brevet européen 1 361 172. Ce brevet divulgue un emballage hydrosoluble contenant un détergent pour linge à libérer lors de la dissolution de l'emballage.
P&G US, Henkel AG & Co et Reckitt Benckiser (UK) ont engagé une procédure d'opposition contre le brevet, qui a été limité ensuite par la suppression des mots "ou un gel" de la revendication 1 dans la partie décrivant le détergent comme étant "un liquide ou un gel". Le procédé de production de l'emballage hydrosoluble a également été supprimé de la description, tandis qu'une partie sur la forme de l'emballage a été ajoutée. La division d'opposition a estimé que le brevet était inventif par rapport à l'état de la technique.
P&G US a formé un recours contre la décision de la division d'opposition.
En 2003, P&G avait commencé à mettre sur le marché des produits, notamment des capsules de détergent Ariel, dont la production impliquait un procédé de thermoformage, ce qui avait conduit à des accusations de contrefaçon, comme dans la présente procédure.
P&G a fait valoir que l'affaire était trop compliquée pour être traitée dans le cadre d'une procédure préliminaire d'injonction et que le préjudice potentiel pour la position de P&G sur le marché était considérable, ajoutant qu'à cette date, une décision de la chambre de recours technique de l'OEB était attendue dans les six mois. Le tribunal en a décidé autrement, déclarant qu'il était possible de traiter l'affaire et que celle-ci se prêtait à une procédure préliminaire.
P&G a ensuite affirmé qu'il existait une possibilité sérieuse et non négligeable que le brevet soit révoqué par la chambre de recours. Le tribunal a considéré les divers motifs de nullité invoqués par P&G, mais a jugé ces arguments peu convaincants. Il a estimé, compte tenu du résultat de la procédure d'opposition, qu'il n'existait aucune possibilité sérieuse et non négligeable que le brevet soit révoqué. Le tribunal a ainsi estimé que les "Ariel Pods" constituaient une contrefaçon du brevet d'Unilever.
Note de la rédaction : la chambre de recours technique a rendu sa décision dans l'affaire T 1799/12 le 26 mars 2014, prononçant la révocation du brevet au motif que l'objet des revendications s'étendait au-delà du contenu de la demande telle que déposée initialement.
3. Sursis à statuer
GB – Royaume-Uni
Cour suprême, 3 juillet 2013 – Virgin Atlantic Airways Ltd c. Zodiac Seats UK Ltd [2013] UKSC 46
Mot-clé : autorité de la chose jugée – sursis à statuer – procédures concurrentes
Virgin souhaitait obtenir des dommages-intérêts en réparation de la contrefaçon d'un brevet européen qui n'existait plus sous la forme prétendument contrefaite. La chambre de recours de l'OEB avait modifié le brevet afin de supprimer, avec effet à compter de la date de délivrance, toutes les revendications pertinentes jugées nulles eu égard à l'état de la technique. Virgin a déclaré qu'elle était néanmoins fondée à obtenir des dommages-intérêts, au motif que les tribunaux anglais avaient jugé le brevet valable et rejeté l'action en nullité fondée sur l'état de la technique, avant que la chambre de recours ne rende sa décision. Ces conclusions des tribunaux anglais et le jugement confirmant la validité du brevet étaient revêtus de l'autorité de la chose jugée, nonobstant la décision ultérieure mais rétroactive de la chambre de recours. La Cour d'appel avait admis un argument similaire dans les affaires Coflexip SA c. Stolt Offshore MS Ltd (No 2) [2004] FSR 708 et Unilin Beheer BV c. Berry Floor NV [2007] FSR 635 (cf. la deuxième édition de "La jurisprudence des États parties à la CBE" 2004 – 2011, JO éd. spéc. 3/2011, p. 265). Dans la présente affaire, la Cour d'appel était parvenue à la même conclusion.
Selon Lord Sumption, la Cour d'appel s'était conformée à une série de décisions, notamment Poulton c. Adjustable Cover and Boiler Block Co [1908] 2 Ch 430 et Coflexip, qui avaient abouti à Unilin, dans lesquelles il avait été estimé que le titulaire d'un brevet considéré comme valable est fondé à demander des dommages-intérêts en réparation de la contrefaçon de ce brevet, indépendamment d'une éventuelle révocation ultérieure du brevet pour nullité prenant effet à compter de la date de délivrance. Cet argument tire son origine dans la décision Coflexip, qui avait été rendue à tort selon Lord Sumption. Dans l'affaire Unilin, suivant sur ce point l'affaire Coflexip, Lord Justice Jacob avait déclaré qu'une telle conclusion était source de sécurité, d'une part parce qu'elle permettait aux parties d'obtenir auprès d'un tribunal britannique une décision définitive quant à la validité du brevet et, d'autre part, parce que toute action future en contrefaçon serait rejetée si l'OEB révoquait ou modifiait ultérieurement le brevet. Lord Sumption a jugé cet argument peu convaincant ; la décision dans l'affaire Coflexip n'a pas eu pour effet d'apporter de la sécurité mais de faire dépendre le résultat de la question de savoir laquelle des deux juridictions parallèlement compétentes parviendrait en premier au terme de sa procédure. Il en a conclu que si un tribunal britannique déclare un brevet (britannique ou européen) valable et contrefait, et que le brevet est ultérieurement révoqué ou modifié avec effet rétroactif (au Royaume-Uni ou auprès de l'OEB), le défendeur est fondé à invoquer, en cas de demande de dommages-intérêts, la révocation ou la modification du brevet.
Lord Sumption a également fait remarquer que s'il avait conclu que le défendeur ne pouvait se prévaloir de la révocation ou de la modification du brevet une fois que le tribunal avait considéré celui-ci comme valable, cela aurait eu d'importantes conséquences sur la question de savoir si la procédure au Royaume-Uni devait être suspendue dans l'attente d'une décision dans le cadre d'une procédure d'opposition parallèle auprès de l'OEB. Il aurait fallu suspendre la procédure britannique de manière à ce que le principe de l'autorité de la chose jugée ne rende pas la décision de l'OEB inopérante. Il aurait été alors difficile de défendre les orientations données dans la décision Glaxo Group Ltd c. Genentech Inc [2008] Bus LR 888 (cf. la deuxième édition de "La jurisprudence des États parties à la CBE" 2004 – 2011, JO éd. spéc. 3/2011, p. 262), selon lesquelles un tribunal britannique devrait normalement refuser de surseoir à statuer s'il est probable qu'il tranche la question de la validité bien avant l'OEB.
Dans son opinion concordante, Lord Neuberger a estimé que, par le passé, les tribunaux n'avaient pas correctement tenu compte des dispositions relatives aux brevets, qui exposent la nature du brevet ainsi que les effets découlant de sa révocation. Ils ont ainsi traité la décision ultérieure de révocation du brevet comme une simple décision postérieure rendue par une autre juridiction dans le cadre d'une autre procédure entre des parties différentes. Toutefois, il découlait de la loi sur les brevets de 1977 et de la CBE que la révocation ne produisait pas effet uniquement entre les partie mais privait rétroactivement le titulaire d'un brevet des droits que ce brevet lui avait conférés à l'égard des tiers.
La partie ayant fait appel a donc obtenu gain de cause et les décisions dans les affaires Poulton et Coflexip ont été annulées. En outre, la Cour suprême a estimé que le Tribunal des brevets et la Cour d'appel devaient réexaminer les orientations données dans l'affaire Glaxo.
Note de la rédaction : voir résumé suivant.
GB – Royaume-Uni
Cour d'appel, 21 novembre 2013 – IPCom GmbH c. HTC Co Europe Ltd [2013] EWCA Civ 1496
Mot-clé : suspension de la procédure – procédures simultanément en instance
Cet appel portait sur les circonstances dans lesquelles il peut être opportun pour un tribunal saisi dans le cadre de procédures combinées de révocation et de contrefaçon d'un brevet, d'accorder une suspension de la procédure dans l'attente du résultat d'une procédure d'opposition simultanément en instance devant l'OEB. Dans l'affaire VirginAtlantic Airways Ltd c. Zodiac Seats UK Ltd [2013] UKSC 46 (cf. ci-dessus), la Cour suprême, qui avait constaté que la révocation ou la modification d'un brevet devant l'OEB avait un effet rétroactif, et avait renversé le principe de l'autorité de la chose jugée exposé dans la décision Unilin Beheer BV c. Berry Floor NV [2007] EWCA Civ 364 (cf. la deuxième édition de "La jurisprudence des États parties à la CBE", 2004 – 2011, JO éd. spéc. 3/2011 p. 265), a contesté la justesse des orientations données par la Cour d'appel dans son arrêt Glaxo Group Ltd c. Genentech Inc [2008] EWCA Civ 23 (cf. la deuxième édition de "La jurisprudence des États parties à la CBE", 2004 – 2011, JO éd. spéc. 3/2011 p. 262) au sujet de l'opportunité de la suspension de la procédure.
A la lumière de l'affaire Virgin, Lord Justice Floyd a remanié les orientations de la décision Glaxo comme suit :
1. Le pouvoir d'appréciation, qui est en effet très étendu, doit être exercé en vue d'une justice équitable entre les parties, en tenant compte de toutes les circonstances pertinentes du cas d'espèce.
2. Ce pouvoir d'appréciation appartient au Tribunal des brevets et non à la Cour d'appel. La Cour d'appel ne serait pas fondée à interférer avec un jugement de première instance qui est conforme à la loi et qui tient compte de toutes les circonstances pertinentes et uniquement de celles-ci.
3. Bien que ni la CBE, ni la loi du Royaume-Uni sur les brevets de 1977 ne contiennent de dispositions explicites concernant la suspension de la procédure d'office ou dans l'exercice d'un pouvoir d'appréciation au sein des juridictions nationales, elles indiquent le contexte et les conditions d'exercice de ce pouvoir.
4. Il convient ainsi de rappeler que le fait que des procédures contestant la validité d'un brevet délivré par l'OEB puissent se dérouler en parallèle est inhérent au système mis en place par la CBE. Il convient également de rappeler que les juridictions nationales jouissent d'une compétence exclusive en matière de contrefaçon.
5. En l'absence d'autres facteurs, la suspension de la procédure nationale constitue le choix par défaut. Rien ne justifie de poursuivre deux procédures différentes uniquement parce que la Convention le permet.
6. Il incombe à la partie s'opposant à la poursuite de la procédure de montrer pourquoi une telle suspension ne devrait pas être accordée. En définitive, c'est une question d'équilibre de la justice.
7. La mesure dans laquelle le refus d'accorder une suspension de la procédure prive une partie de manière irrévocable d'un quelconque avantage, censé découler de ce que l'OEB et les tribunaux nationaux sont simultanément compétents, est un facteur important qui a une incidence sur l'exercice du pouvoir d'appréciation. Ainsi, le fait que la poursuite de la procédure nationale permette éventuellement au titulaire du brevet d'obtenir une compensation pécuniaire non remboursable en cas de révocation ultérieure du brevet est un argument de poids en faveur de la suspension. Les engagements pris en matière de remboursement pourraient néanmoins atténuer l'incidence de ce facteur.
8. Le juge du Tribunal des brevets est fondé à refuser la suspension de la procédure nationale si des indices montrent que la procédure britannique apporte une certaine sécurité au plan commercial bien avant la procédure devant l'OEB. Certes, il ne sera pas possible de garantir cette sécurité partout avant la clôture définitive de la procédure devant l'OEB, mais il est en général préférable de garantir une certaine sécurité juridique, assez tôt et en certains endroits, comme au Royaume-Uni, plutôt que de prolonger l'insécurité partout.
9. Il est permis de tenir compte du fait que, même si la clôture de la procédure nationale ne tranche pas toutes les questions de manière définitive, elle permet de régler certains points importants, ce qui peut favoriser un accord.
10. Le temps que prendront les procédures respectives devant la juridiction nationale et devant l'OEB pour aboutir est un élément important affectant le pouvoir d'appréciation. Cet élément, qui n'est pas indépendant, doit être considéré eu égard au préjudice subi par toute partie en raison du retard et de l'insécurité juridique, et compte tenu du degré de sécurité que la procédure nationale peut apporter.
11. L'intérêt du public à ce que soit dissipée l'insécurité juridique quant à la validité du monopole conféré par la délivrance d'un brevet est également un facteur à prendre en considération.
12. Afin de trouver le juste équilibre, il est essentiel de tenir compte du risque de dépenses inutiles, mais ce facteur est normalement contrebalancé par les avantages commerciaux découlant d'une décision rendue à un stade précoce.
13. L'audience relative à une demande de suspension de la procédure ne doit pas se transformer en jugement miniature des divers éléments affectant l'octroi ou le refus de la suspension. Les allégations des parties doivent être examinées de manière critique, mais à un degré relativement élevé de généralité.
GB – Royaume-Uni
Cour d'appel, 11 mars 2014 – Samsung Electronics Co Ltd c. Apple Retail UK Ltd [2014] EWCA Civ 250
Mot-clé : sursis à statuer – requête en limitation ou en révocation devant l'OEB
Dans le cadre de l'action en contrefaçon concernant des brevets complexes détenus par Samsung, le juge avait déclaré les brevets non valables et ordonné leur révocation, qu'il a suspendue en raison d'un appel. Samsung a demandé l'ajournement de l'appel dans l'attente du résultat des demandes de modification des revendications du brevet qu'elle avait déposées auprès de l'OEB en application de l'art. 105bis CBE ("demande de modification centrale").
Lord Justice Kitchin a fait remarquer que la CBE 2000 avait institué une procédure permettant au titulaire d'un brevet d'en limiter les revendications ou de le révoquer entièrement, avec effet dans tous les États désignés (art. 105bis CBE). Cette procédure de modification centrale avait été conçue pour être simple et assez rapide. Une modification centrale était réputée prendre effet, et avoir toujours pris effet, à compter de la délivrance du brevet (art. 64 et 68 CBE). La loi du Royaume-Uni sur les brevets de 1977 (telle que modifiée) a transposé l'effet de ces dispositions dans sa section 77(4), lequel prévoit que lorsqu'un brevet européen désignant le Royaume-Uni est modifié conformément à la CBE, la modification prend effet, aux fins de ladite loi, comme si le fascicule du brevet avait été modifié en application de cette loi. La loi sur les brevets de 1977 a donc spécifiquement prévu la possibilité de procédures parallèles au Royaume-Uni et devant l'OEB. Rien dans la loi n'interdisait de déposer une demande de modification centrale parallèlement à des procédures de contrefaçon ou de révocation en instance, ou pendant la période entre un jugement de première instance et l'appel.
Le dépôt et la poursuite par Samsung de ses demandes de modification centrale ne pouvaient donc être qualifiés, comme le prétendait Apple, d'abus de procédure, ou même d'activité avec laquelle la cour aurait pu à juste titre interférer pour toute autre raison. La récente décision rendue par la Cour suprême dans le cadre de l'affaire Virgin Atlantic Airways Ltd c. Zodiac Seats UK Ltd [2013] UKSC 46 (voir ci-dessus) étayait cette conclusion ; la cour avait affirmé que, lorsqu'un tribunal britannique déclarait qu'un brevet (britannique ou européen) était valable et contrefait, et que le brevet était ultérieurement révoqué ou modifié avec effet rétroactif (au Royaume-Uni ou devant l'OEB), le défendeur était fondé à invoquer, en cas de demande de dommages-intérêts, cette révocation ou cette modification du brevet.
Dans toutes les affaires citées devant la cour, des procédures devant un tribunal britannique avaient lieu en même temps que des procédures d'opposition devant l'OEB ; la cour n'avait pas eu jusqu'à présent à statuer sur l'effet d'une modification centrale apportée à l'issue d'un procès. Néanmoins, la Cour suprême des Pays-Bas avait rendu un arrêt dans le cadre de l'affaire C07.085HR, qui soulevait précisément cette question. Dans cette affaire, Scimed avait fait valoir qu'une modification apportée suite à une demande de modification centrale avait un effet rétroactif. La Cour suprême a suivi cet argument, estimant qu'il fallait considérer le brevet sous sa forme modifiée, et a dûment renvoyé l'affaire à la cour d'appel. Bien que l'arrêt Scimed ne s'impose pas aux juridictions britanniques, il a été rendu par une cour dont les décisions devraient mériter une attention particulière, conformément à la décision Schutz (UK) Ltd c. Werit (UK) Ltd [2013] UKSC 16.
Le fait que des procédures d'opposition ou de modification centrale soient en instance devant l'OEB n'empêche pas une juridiction nationale d'examiner les revendications d'un brevet sous leur forme existante et de les révoquer, alors même que la procédure devant l'OEB aurait permis de les conserver (Beloit Technologies Inc c. Valmet Paper Machinery Inc [1997] RPC 489). Néanmoins, dans la présente affaire, l'ordonnance de révocation avait été suspendue et, tant qu'elle demeurait suspendue, les brevets continuaient d'exister et pouvaient être modifiés. La cour a estimé que rien dans la CBE ni dans la loi sur les brevets de 1977 n'interdisait à Samsung de déposer et de poursuivre ses demandes à cette date ; s'il était fait droit à ces demandes, celles-ci auraient un effet rétroactif dans tous les États désignés.
Lord Justice Kitchin a fait remarquer que la récente décision rendue par la cour d'appel dans le cadre de l'affaire IPCom GmbH & Co KG c. HTC Europe Co Ltd & Ors [2013] EWCA Civ 1496 (voir ci-dessus) traitait d'une question différente, à savoir des circonstances dans lesquelles il peut être opportun pour un tribunal du Royaume-Uni d'accorder la suspension de procédures de contrefaçon et de validité dans l'attente du résultat d'une procédure d'opposition simultanément en instance devant l'OEB. Dans la présente affaire, une des parties avait présenté à la cour une demande d'ajournement au motif que le résultat des demandes de modification centrale serait connu dans un délai relativement court et très probablement avant la clôture de la présente procédure. La demande d'ajournement a donc été accordée.
GB – Royaume-Uni
Tribunal des brevets des 11 et 24 juillet 2014 – Actavis Group PTC EHF c. Pharmacia LLC respectivement [2014] EWHC 2265 (Pat) et [2014] EWHC 2611 (Pat)
Mot-clé : sursis à statuer
Dans ces deux arrêts, la Cour d'appel a appliqué les orientations en matière de suspension de procédure telles que révisées dans la décision IPCom GmbH c. HTC Europe Co Ltd [2013] EWCA Civ 1496 (voir ci-dessus).
Le défendeur ("Pharmacia") a demandé de suspendre la procédure relative à la validité du brevet jusqu'à la clôture de la procédure d'opposition menée parallèlement devant l'OEB, dans laquelle les motifs de nullité étaient similaires. Le demandeur ("Actavis") s'est opposé à cette demande, affirmant qu'elle devait être rejetée au motif que la procédure anglaise prendrait fin bien avant la procédure devant l'OEB, qu'il bénéficierait ainsi d'une certaine sécurité sur le plan commercial, au moins au Royaume-Uni, et que cela faciliterait un éventuel accord. À l'appui de sa demande, Pharmacia s'est engagé (a) à chercher à accélérer la procédure devant l'OEB, (b) à ne pas demander d'injonction contre Actavis ou ses clients avant la clôture de la procédure devant l'OEB, et (c) à ne réclamer des dommages-intérêts s'élevant à 1 % des ventes nettes réalisées par Actavis entre le lancement du produit et la clôture de la procédure devant l'OEB, que si le brevet était jugé valable par l'OEB et par les juridictions britanniques.
Le juge Arnold s'est référé aux principes applicables tels que révisés par la Cour d'appel dans l'arrêt IPCom. Comme indiqué aux alinéas 5 et 6 du point 68 de l'arrêt IPCom, il était généralement admis que la solution par défaut était de suspendre la procédure et qu'il incombait à Actavis de donner les raisons pour lesquelles la demande de sursis à statuer devait être rejetée.
Selon le juge Arnold, les arguments des deux parties étaient bien équilibrés. Celui-ci a toutefois conclu qu'ils penchaient davantage vers un rejet de la demande de suspension, la principale raison étant que la procédure devant l'OEB venait seulement de commencer. Même s'il était probable que la procédure devant l'OEB soit accélérée, rien ne le garantissait. Même accélérée, la procédure allait probablement durer trois ans, voire bien plus. À l'inverse, la procédure anglaise prendrait fin d'ici deux ans. Il s'agissait donc d'une affaire où, en raison des différents délais, la procédure anglaise permettrait probablement de parvenir plus rapidement à une certaine sécurité sur le plan commercial au Royaume-Uni que la procédure devant l'OEB (alinéas 8 et 10 du point 68 de l'arrêt IPCom). Les engagements de Pharmacia demeuraient insuffisants. Ils éliminaient en grande partie cette insécurité pendant la durée de la suspension et avaient l'avantage de permettre à Actavis d'être présent sur le marché pendant cette période, lui évitant ainsi de devoir compter sur une demande de dommages-intérêts. Néanmoins, ils ne remédiaient pas totalement à l'insécurité, car il n'était pas exclu qu'Actavis doive se retirer du marché suite à une injonction prenant effet, disons, dans cinq ans et verser des dommages-intérêts ordinaires ou rendre compte des bénéfices qu'il avait réalisés au cours des deux dernières années. Cette insécurité aurait inévitablement un effet dissuasif sur les décisions d'investissement d'Actavis.
Par ailleurs, le juge Arnold a estimé qu'un rejet de la demande de suspension était également justifié par le fait qu'une décision de la juridiction britannique était susceptible de favoriser un accord (alinéa 9 du point 68 de l'arrêt IPCom) et que le public avait intérêt à ce qu'une décision soit prise quant à la validité du brevet (alinéa 11 du point 68 de l'arrêt IPCom). Le risque de dépenses inutiles plaidait en faveur de l'octroi d'une suspension, mais l'insécurité commerciale pesait davantage (alinéa 12 du point 68 de l'arrêt IPCom).
Après communication du projet de jugement aux parties, Pharmacia a proposé deux engagements supplémentaires, à savoir (i) ne pas demander d'injonction au Royaume-Uni contre Actavis ou ses clients en rapport avec le comprimé de pramipexole à libération prolongé d'Actavis pendant la durée de vie du brevet et (ii) ne réclamer des dommages-intérêts s'élevant à 1 % des ventes nettes réalisées par Actavis au Royaume-Uni pendant la durée de vie du brevet, que si le brevet était finalement jugé valable par l'OEB, et valable et contrefait par les juridictions britanniques.
Après avoir entendu les arguments supplémentaires, le juge Arnold a estimé dans le second jugement que les engagements supplémentaires permettaient d'éliminer dans une très large mesure l'insécurité commerciale au Royaume-Uni. Actavis a indiqué qu'il souhaitait lancer le produit dans toute l'Europe et voulait donc éliminer dès que possible en Europe toute insécurité au plan commercial causée par l'existence du brevet. Actavis a en outre soutenu qu'une décision rendue rapidement aiderait les parties à trouver un accord à l'échelle européenne. Enfin, selon Actavis, il ressortait clairement de l'attitude de Pharmacia et des engagements qu'il proposait que le brevet était faible ; or, le public manifeste un vif intérêt pour que la validité de brevets faibles soit examinée le plus rapidement possible par les tribunaux.
Le juge Arnold a estimé que les moyens soulevés par Actavis plaidaient en faveur d'un rejet de la demande de suspension, mais, au vu des orientations données dans la décision IPCom et compte tenu de tous les éléments exposés dans ce jugement, il a considéré que la balance penchait maintenant en faveur de l'octroi de la suspension.
4. Réserve quant à la CBE : étendue de la réserve espagnole en vertu de l'article 167(2)a) CBE 1973
ES – Espagne
Cour suprême (chambre civile), 10 mai 2011 (309/2011) – Laboratorios Cinfa et al. c. Eli Lilly and Company Ltd
Mot-clé : réserve à la CBE – brevetabilité de produits pharmaceutiques en vertu de l'art. 167(2)a) CBE – portée de la réserve
Dans son arrêt en date du 17 janvier 2008 (voir la deuxième édition de "La jurisprudence des États parties à la CBE" 2004 – 2011, JO éd. spéc. 3/2011, p. 199), la Cour d'appel de Barcelone avait rejeté une action en déclaration de non-contrefaçon et en nullité relative à la revendication 5 du brevet européen 0 454 436, qui portait sur une composition pharmaceutique à base d'olanzapine, au motif que le brevet avait été déposé avant le 7 octobre 1992 et qu'il était sans effet en raison de la réserve à la CBE faite par l'Espagne. La Cour d'appel a estimé que les effets de la réserve à la CBE faite par l'Espagne sur les produits chimiques et pharmaceutiques (art. 167(2)a) CBE 1973) étaient annulés par l'application des articles 27(1) et 70(2) des Accords sur les aspects des droits de propriété intellectuelle qui touchent au commerce (ADPIC).
La Cour suprême a confirmé l'arrêt de la Cour d'appel. Elle a fait remarquer que l'Espagne n'avait pas pleinement exercé son droit de réserve à la CBE au titre de l'art. 167(2)a) CBE, en vertu duquel les brevets portant sur des produits chimiques ou pharmaceutiques sont sans effet ou peuvent être annulés pendant toute la durée du brevet. En effet, non seulement la réserve formulée par l'Espagne n'incluait pas les produits "alimentaires" (seuls les produits chimiques et pharmaceutiques étaient visés), mais elle ne comportait pas non plus la disposition relative à la possibilité de révocation. Elle ne faisait référence qu'à l'absence d'effets en Espagne. Par conséquent, il ne pouvait être fait droit à la demande de révocation de la revendication 5. La Cour a également relevé que l'art. 167, paragraphe 5, deuxième phrase CBE, qui prévoit que "les effets de cette réserve subsistent pendant toute la durée de ces brevets", ne pouvait plus s'appliquer aux brevets délivrés et ayant été valables avant le 7 octobre 1992, car le principe de non-discrimination prévu à l'art. 27(1) ADPIC devait prévaloir ("un brevet peut être obtenu pour toute invention, de produit ou de procédé, dans tous les domaines technologiques, à condition qu'elle soit nouvelle, qu'elle implique une activité inventive et qu'elle soit susceptible d'application industrielle").