IV. PRIORITE
DE – Allemagne
Cour fédérale de justice, 14 août 2012 (X ZR 3/10) – Plaque d'impression insensible aux UV
Mot-clé : priorité – suffisance de l'exposé – extension inadmissible
Cette décision traitait principalement de la question de savoir si la revendication du brevet litigieux voyait sa nouveauté détruite par la demande (D1) publiée après la date de dépôt de ce brevet et notamment si D1 pouvait valablement revendiquer la priorité de deux demandes de brevet britanniques (D1.1 et D1.2).
La caractéristique déterminante de la revendication, à savoir l'absence de photosensibilité à la lumière ultraviolette, n'était pas explicitement mentionnée dans les documents de priorité. Le Tribunal fédéral des brevets avait estimé que l'homme du métier pouvait toutefois lire cette caractéristique entre les lignes par l'homme du métier. La Cour fédérale de justice a considéré que ce point de vue n'était pas justifié étant donné que l'on ne pouvait s'appuyer sur aucune divulgation même implicite.
Si D1.1 ou D1.2 devait être considéré vis-à-vis du brevet litigieux comme l'état de la technique pertinent pour l'examen de la nouveauté, tout porterait à croire qu'un procédé contenant la caractéristique pertinente (et par ailleurs conforme à l'invention) était connu. Or, ces deux demandes ne peuvent pas elles-mêmes être prises en compte comme demandes antérieures ; elles ont été retenues uniquement pour déterminer si D1 pouvait valablement en revendiquer la priorité. Pour ce faire, la caractéristique précitée devait non seulement être clairement exposée dans l'ensemble des pièces de la demande mais elle devait aussi pouvoir être déduite de D1.1 ou de D1.2 comme faisant partie de l'invention. Cela n'était toutefois pas le cas en l'espèce.
Selon la jurisprudence constante de la Cour fédérale de justice, l'homme du métier doit pouvoir déduire – "directement et sans ambiguïté" – des pièces initiales que l'enseignement technique exposé dans la revendication constitue un mode de réalisation possible de l'invention. Si un élément de l'enseignement apporté par une antériorité (en l'occurence D1) se caractérise par une propriété qui permet à l'homme du métier de sélectionner des modes de réalisation appropriés en vue du but recherché (dans le cas présent, l'absence de photosensibilité à la lumière ultraviolette) mais qui n'est pas clairement divulguée dans le document de priorité (en l'occurrence, D1.1 et D1.2), on considère qu'il y a absence de divulgation dans la demande ultérieure si, d'un point de vue objectif, cette propriété est certes présente dans un exemple de réalisation divulgué dans le document de priorité, mais qu'elle ne peut pas être aisément identifiée par l'homme du métier. La Cour fédérale de justice a incidemment fait remarquer que les mêmes conclusions s'imposaient en cas d'extension de l'objet au-delà du contenu initial de la demande, extension qui constitue un motif de nullité (extension inadmissible : cf. l'arrêt Mousse de polymère de la Cour fédérale de justice du 17 juillet 2012).
La Cour a également déclaré qu'elle avait admis des généralisations d'exemples de réalisation divulgués initialement afin de ne pas limiter indûment le demandeur qui souhaite tirer pleinement parti de la divulgation. De telles généralisations ne sont toutefois plus admissibles dès lors qu'elles s'appuient sur une propriété qui n'est pas citée en tant que telle ou n'est pas facilement identifiable par l'homme du métier. En tout état de cause, il s'agit là du même critère qui puisse être appliqué en ce qui concerne l'évaluation de la priorité. Le fait que la propriété précitée apparaisse en reproduisant un mode de réalisation divulgué ne saurait par conséquent suffire à lui seul.
Or, dans la présente espèce, la caractéristique concernée n'était mentionnée ni dans D1.1 ni dans D1.2 et n'était pas non plus facilement identifiable. Par conséquent, pour revendiquer valablement la priorité, D1 ne pouvait pas s'appuyer sur cette propriété et donc sur un critère distinctif permettant de sélectionner les compositions nécessaires à l'obtention d'un résultat conforme à l'invention, un tel critère n'étant pas divulgué dans les documents de priorité et encore moins mentionné comme faisant partie de l'invention.
DE – Allemagne
Cour fédérale de justice, 11 février 2014 (X ZR 107/12) – Canal de communication
Mot-clé : priorité – exposé
En vertu de l'art. 87(1) CBE, il est possible, lors du dépôt d'une demande de brevet européen, de revendiquer le droit de priorité conféré par une demande antérieure, à condition que les deux demandes concernent la même invention. Cette priorité peut être revendiquée si les instructions techniques décrites dans la demande antérieure à travers un mode de réalisation ou de toute autre manière représentent pour l'homme du métier une forme spécifique de l'enseignement technique plus général tel que décrit dans la demande ultérieure, et si cet enseignement tel qu'exposé d'une manière générale dans la demande ultérieure peut déjà se lire dans la demande antérieure comme faisant partie de l'invention objet de la demande.
Selon la jurisprudence de la Cour, cette condition est remplie si la combinaison de caractéristiques revendiquée dans la demande ultérieure a été divulguée dans la demande antérieure dans son ensemble comme faisant partie de l'invention objet de la demande.
Pour apprécier la question de savoir si les exposés sont identiques, il convient de recourir aux principes applicables à l'examen de la nouveauté (Cour fédérale de justice du 14 octobre 2003 – Unité fonctionnelle électronique). Selon la jurisprudence constante de la Cour, l'homme du métier doit pouvoir déduire "directement et sans ambiguïté" des documents déposés initialement l'enseignement technique exposé dans la revendication qui constitue un mode de réalisation possible de l'invention. Il y a donc lieu de déterminer ce que l'homme du métier déduirait du document publié antérieurement comme correspondant au contenu de cet enseignement général. Pour ce qui est de la compréhension de l'homme du métier qui est décisif c'est de se placer à la date de dépôt de la demande revendiquant la priorité.
Pour déterminer ce qui est divulgué à l'homme du métier comme invention et ce qui est divulgué comme mode de réalisation de l'invention, il faut éviter de limiter de manière excessive le demandeur lorsqu'il exploite l'exposé de l'invention figurant dans la demande antérieure. C'est la raison pour laquelle des généralisations d'exemples de réalisation divulgués antérieurement sont également admises. Ainsi, une revendication de large portée ne sera pas considérée comme une extension inadmissible dès lors qu'un mode de réalisation de l'invention tel que décrit dans la demande représente pour l'homme du métier une forme particulière de l'enseignement technique exposé de manière plus générale dans la revendication, et que cet enseignement tel que revendiqué dans sa globalité – que ce soit sous la forme d'une revendication énoncée dans la demande, ou dans le contexte général des documents déposés – peut être considéré par l'homme du métier à la lecture de la demande comme faisant partie intégrante de l'invention revendiquée (Cour fédérale de justice du 17 juillet 2012 – Mousse polymère). De telles généralisations ont été admises notamment lorsqu'il n'a été retenu dans la revendication qu'une seule ou que quelques-unes des caractéristiques d'un mode de réalisation, qui, prises conjointement ou séparément, sont propices à la réalisation de l'invention avec succès (Jurisprudence constante depuis l'arrêt de la Cour fédérale de justice du 23 janvier 1990 – Chambre d'épissurage ; Cour fédérale de justice du 17 juillet 2012 – Mousse polymère ; Cour fédérale de justice du 14 août 2012 – Plaque d'impression insensible aux UV). Il convient de procéder sur la base de critères comparables pour examiner la question de savoir si l'objet de l'invention est divulgué de manière identique dans la demande dont la priorité est revendiquée.
FR – France
Cour de cassation, 31 janvier 2012 [11-10924] – Sté Go sport c. Sté Time Sport international
Mot-clé : priorité – notion de même invention
Se prévalant du brevet européen 0 682 885 délivré le 25 août 1999 sous priorité du brevet français 9 406 014 déposé le 10 mai 1994 dont elle prétendait être titulaire au titre de la protection d'un dispositif de fixation occipitale pour casques de cyclistes, la société T a assigné en contrefaçon les sociétés G.
Les sociétés G font grief à l'arrêt de la cour d'appel de Bordeaux de déclarer valable le brevet européen 0 682 885 alors notamment que l'efficacité de la revendication de priorité suppose que le titre dont la priorité est revendiquée et le titre européen couvrent la même invention. Les sociétés G faisait valoir notamment qu'afin d'obtenir de la chambre de recours de l'OEB qu'elle maintienne son brevet européen sous une forme modifiée, la société T avait été contrainte d'y apporter des modifications substantielles. La cour d'appel avait, toujours selon les sociétés G, violé les art. L. 611-11 et L. 611-14 du code de la propriété intellectuelle en considérant que la modification s'inscrivait dans la continuité de la demande du brevet français et que, de ce fait, cet ajout n'avait pas conféré une caractéristique nouvelle à l'invention ou une nouveauté technique et qu'en conséquence le brevet européen recouvrait la même invention que celle décrite par le brevet français qui lui servait ainsi de priorité.
La Cour de cassation énonce que la revendication 1 du brevet français 9 406 014 protège un dispositif de fixation occipitale réglable d'un casque, comprenant [notamment] une coque prévue pour s'adapter sur le crâne du cycliste et que la demande de ce brevet mentionne qu'après mise en place sur le crâne de l'utilisateur, on constate que le patin d'appui occipital est en amont de l'axe qui permet de bloquer le casque sur la partie correspondante de l'occiput évitant tout arrachement et limitant de façon très sensible les mouvements de bascule du casque. Le brevet européen se lit comme le brevet français avec l'ajout "de manière que lors de l'encliquetage du moyen de liaison amovible, la sangle occipitale assure une traction sur le patin occipital qui se trouve plaqué contre la partie occipitale basse sous l'occiput sans aucune possibilité de retrait". Il résulte de la lecture comparée de ces mentions que la modification litigieuse est une simple reformulation d'un effet obtenu par l'invention, le maintien du casque sur la tête du cycliste, que l'homme du métier pouvait déjà appréhender de la demande antérieure. La Cour de cassation conclut que la cour d'appel a pu déduire que le brevet européen recouvrait la même invention que celle décrite par le brevet français qui lui servait donc de priorité.
Note de la rédaction : voir aussi G 2/98 ainsi que la décision de la Cour de cassation du 6 novembre 2012 [11-19375]
GB – Royaume-Uni
Tribunal des brevets, 10 juillet 2013 – HTC Corporation c. Gemalto SA et HTC Corporation c. Gemalto NV [2013] EWHC 1876 (Pat)
Mot-clé : priorité – ayant-cause
La société HTC avait contesté la priorité revendiquée pour le brevet européen (UK) 0 932 865 détenu par Gemalto SA, en invoquant des motifs qui avaient trait au droit de priorité d'une part, et aux exigences de fond d'autre part.
La société qui avait déposé la demande de brevet était STI, alors que la demande de priorité US avait été déposée aux noms de trois demandeurs-inventeurs. Le juge Birss a cité l'affaire Edward Lifesciences AG c. Cook Biotech Inc [2009] EWHC 1304 (Pat), dans laquelle le document de priorité avait aussi été déposé par plus d'une personne (cf. également la deuxième édition de "La jurisprudence des Etats parties à la CBE", 2004 -2011, JO éd. spéc. 3/2011, p. 187), et a conclu qu'à la date à laquelle il déposait sa demande, un demandeur devait être l'ayant cause pour l'invention, ainsi que l'ayant cause de tous les demandeurs. À la lumière de l'affaire KCI Licensing c. Smith & Nephew [2010] EWHC 1487 (Pat) (cf. également la deuxième édition de "La jurisprudence des Etats parties à la CBE", 2004 – 2011, JO éd. spéc. 3/2011, p. 189), le juge a estimé en outre qu'il suffisait, pour satisfaire aux dispositions du droit, qu'à la date pertinente, la personne concernée ait acquis la totalité du droit à titre bénéficiaire pour l'invention.
Tous ces critères ont été considérés comme remplis. Pour l'un des inventeurs cela ne posait pas de problème. Pour les deux autres, M. W. et M. G., il y avait certes un acte signé par eux deux, par lequel ils avaient cédé à STI leurs droits sur l'invention, et qui portait une date postérieure à la date de dépôt de la demande de brevet. Cependant, il a été établi que STI avait obtenu son droit avant cette date, par l'intermédiaire d'une autre société du même groupe, à savoir STC, qui faisait appel à M. W. en tant que prestataire indépendant et qui employait M. G en tant que salarié. Le juge était convaincu que c'était STI, et non STC, qui était le véritable propriétaire des inventions découlant du projet. Même s'il n'existait aucun accord formel à cet effet, le juge a conclu au vu des circonstances que STC devait avoir convenu de manière tacite avec STI de transférer tous droits que STC détenait sur l'invention. STI était fondée à exiger que STC lui cède le titre juridique proprement dit. Il résultait des accords de prestation de conseils passés entre M. W. et STC que STC était juridiquement le propriétaire de toutes les inventions pertinentes à la date à laquelle la demande ultérieure a été déposée. S'agissant de M. G., le juge Birss a estimé que le droit américain/texan s'appliquait. Aucune des parties n'ayant produit de preuves concernant le droit applicable en question, le juge Birss ne pouvait que supposer qu'il était le même que le droit anglais applicable à des événements qui se dérouleraient en Angleterre. Il s'agissait en l'occurrence de la s. 39 Patents Act 1977, en vertu de laquelle l'invention appartenait à l'employeur de M. G., à savoir STC. En conclusion, il a été jugé que STI était l'ayant cause des trois inventeurs au moment du dépôt de la demande concernant le brevet en cause et qu'ainsi STI était en droit de se prévaloir de la priorité.
Note de la rédaction : voir aussi la décision définitive dans ce chapitre.
GB – Royaume-Uni
Cour d'appel, 10 octobre 2012 – MedImmune Ltd c. Novartis Pharmaceuticals UK Ltd [2012] EWCA Civ 1234
Mot-clé : priorité – la même invention
Lord Justice Kitchin a résumé la loi comme suit :
Conformément à la section 5(2)a) Patents Act 1977, une invention revendiquée peut bénéficier de la priorité d'une demande antérieure si elle s'appuie sur l'objet divulgué dans ladite demande. La s. 130(7) Patents Act 1977 prévoit que la s. 5 doit être interprétée comme ayant le même effet que l'art. 87(1) CBE. En vertu de l'art. 87(1) CBE, une demande portant sur la "même invention" que celle exposée dans une demande antérieure peut bénéficier de la priorité.
Dans sa décision G 2/98 (JO 2001, 413), la Grande Chambre a expliqué l'exigence selon laquelle la demande antérieure doit concerner la même invention : "La condition requise à l'art. 87(1) CBE pour qu'il puisse être revendiqué la priorité d'une demande portant sur "la même invention" signifie qu'il ne convient de reconnaître qu'une revendication figurant dans une demande de brevet européen bénéficie de la priorité d'une demande antérieure conformément à l'art. 88 CBE que si l'homme du métier peut, en faisant appel à ses connaissances générales, déduire directement et sans ambiguïté l'objet de cette revendication de la demande antérieure considérée dans son ensemble."
La Cour d'appel a élaboré dans l'affaire Unilin Beheer NV c. Berry Floor NV [2004] EWCA Civ 1021 l'approche à adopter : "...L'approche ne repose pas sur une formule : la priorité est liée à la question de la divulgation technique, qu'elle soit explicite ou implicite. Il s'agit de déterminer si le document de priorité contient suffisamment d'éléments qui donnent à l'homme du métier essentiellement les mêmes informations que celles qui constituent l'objet de la revendication et qui lui permettent de réaliser l'invention conformément à cette revendication."
Dans l'affaire Abbott Laboratories Ltd c. Evysio Medical Devices plc [2008] EWHC 800 (Pat), le juge Kitchin a ajouté : "L'important n'est pas le passage exposant l'invention ["consistory clause"] ni les revendications du document de priorité, mais la question de savoir si la divulgation considérée dans son ensemble permet la mise en œuvre de l'invention et si elle indique effectivement à l'homme du métier l'objet de la revendication dont la priorité est en cause. J'ajouterais que cet objet doit être indiqué directement et sans ambiguïté. Il ne doit pas simplement constituer un développement évident de ce qui est divulgué."
GB – Royaume-Uni
Tribunal des brevets, 7 mars 2013 – Samsung Electronics Co Ltd c. Apple Retail UK Ltd [2013] EWHC 467 (Pat)
Mot-clé : priorité – critère de "même invention"
Le juge Floyd a suivi l'approche en matière de priorité adoptée dans la décision "MedImmune c. Novartis" (voir ci-dessus). Le tribunal avait donc pour tâche de :
a) lire et interpréter la divulgation du document de priorité, considéré dans son ensemble, tel qu'il était lu par l'homme du métier ;
b) déterminer l'objet de la revendication pertinente ;
c) décider si, au regard du fond et non de la forme, l'objet de la revendication pouvait être déduit directement et sans ambiguïté de la divulgation du document de priorité.
Il résulte de la jurisprudence que l'objet d'une revendication n'est pas la même chose que la portée du monopole revendiqué. Aussi le test pour établir la priorité n'était-il pas le même que celui appliqué pour établir la nouveauté. Dans le second cas, on se demandait simplement si ce qui était décrit dans un document antérieur relevait directement et sans ambiguïté du monopole conféré par les revendications du brevet. En d'autres termes, la question était de savoir si la divulgation antérieure constituait une contrefaçon (Smithkline Beecham PLC's Patent [2005] UKHL 59 – cf. la deuxième édition de "La jurisprudence des États parties à la CBE 2004 – 2011", JO éd. spéc. 3/2011, p. 67). Le fait que la règle était différente concernant la priorité était illustré par le juge Jacob dans la décision Unilin Beheer c. Berry Floor [2004] EWCA (Civ) 1021.
Dans cette décision, le juge Jacob avait examiné dans quelle mesure la priorité pouvait être perdue si l'invention décrite dans le document de priorité comprenait les caractéristiques A, B et C, mais n'était revendiquée dans le brevet qu'avec deux de ces caractéristiques. Un tel cas de figure avait été abordé dans le cadre de la décision G 2/98. Selon le juge Jacob, lorsque les caractéristiques A+B+C étaient divulguées, beaucoup dépendait en fait de la nature effective de ces caractéristiques. Certaines inventions consistent en une combinaison de caractéristiques, si bien que l'invention découle précisément du fait de les associer. Pour d'autres inventions, ce n'est tout simplement pas le cas, car les caractéristiques sont indépendantes les unes des autres. La question de savoir si, lorsqu'il y a divulgation de A+B+C, il y a également divulgation de chacune des caractéristiques A, B, ou C dépend de la nature de ces caractéristiques quant au fond et non d'une formule. En définitive, il convient de déterminer si l'homme du métier peut déduire l'objet de la revendication du document de priorité, considéré dans son ensemble.
D'après le juge Floyd, la Cour d'appel avait donc reconnu la possibilité que, dans certaines circonstances, la divulgation de A+B+C ne fonde pas la priorité d'une revendication ne portant que sur A, B ou A+B. En revanche, la divulgation d'A+B+C serait normalement destructrice de nouveauté pour une revendication portant sur A, B ou A+B. La présence de caractéristiques supplémentaires dans la divulgation serait sans importance. Si l'on appliquait le test de la contrefaçon, la combinaison A+B+C constituerait toujours une contrefaçon, que la revendication porte sur A, B ou A+B. Pour établir la priorité, il ne faut donc pas se borner à examiner si les caractéristiques d'une revendication figuraient dans le document de priorité. Lorsqu'il convient de déterminer s'il s'agit d'une même invention, le test de la priorité est davantage axé sur le fond que sur la forme.
GB – Royaume-Uni
Tribunal des brevets, 22 avril 2013 – Nestec S.A. c. Dualit Ltd [2013] EWHC 923 (Pat)
Mot-clé : priorité – même invention – priorité partielle
Le brevet européen (UK) 2 103 236 de la société Nestec portait sur un système comprenant un dispositif d'extraction de capsules pour les machines à café Nespresso. La société Dualit a fait valoir que le brevet ne pouvait pas bénéficier de la date de priorité si bien que les revendications étaient antériorisées par deux "usages antérieurs" par Nestec.
Selon le juge Arnold, pour qu'une invention revendiquée puisse bénéficier de la priorité d'une demande antérieure, elle doit s'appuyer sur l'objet divulgué dans ladite demande (s. 5(2)a) Patents Act 1977). En vertu de l'art. 87(1) CBE, seule une demande portant sur la "même invention" que celle exposée dans la demande antérieure peut bénéficier de la priorité. Dans sa décision G 2/98, la Grande Chambre de recours a considéré que les expressions "la même invention" figurant à l'art. 87(1) CBE et "le même objet" contenue à l'art. 87(4) CBE étaient équivalentes. Concernant l'exigence "même invention", le juge a cité la décision G 2/98 ainsi que les décisions Unilin Beheer NV c. Berry Floor NV [2004] EWCA Civ 1021 et Abbott Laboratories Ltd c. Evysio Medical Devices plc [2008] EWHC 800 (Pat) (cf. les passages également cités dans le résumé ci-dessus de la décision MedImmune Ltd v Novartis Pharmaceuticals UK Ltd [2012] EWCA Civ 1234).
La question de la priorité partielle a également été soulevée. Dans l'affaire Novartis AG c. Johnson & Johnson Medical Ltd [2009] EWHC 1671 (Pat), le juge Kitchin, citant un passage de la décision G 2/98, s'est penché sur cette question. Selon lui, l'OEB considère qu'il est acceptable d'attribuer des dates de priorité différentes à différentes parties d'une revendication de brevet lorsque ces parties représentent un nombre limité d'objets alternatifs clairement définis et que ces objets alternatifs ont été divulgués par différents documents de priorité (et sont susceptibles d'être mis en œuvre au regard de ces documents). En outre, ce principe s'applique même si la revendication emploie un terme générique pour décrire et englober les différentes possibilités. Le juge Kitchin a estimé qu'il n'y avait rien dans les décisions de la Cour d'appel sur les affaires Pharmacia Corp c. Merck & Co Inc [2001] EWCA Civ 1610 et Unilin Beheer qui soit incompatible avec cette approche et que c'était cette approche que le tribunal devait adopter dans l'affaire en question.
Dualit a contesté la priorité, et ce pour deux raisons, l'une liée au logement et l'autre aux capsules inclinées. La revendication 1 couvrait trois agencements du logement pour recevoir la capsule. Il était communément admis que seul le premier agencement était divulgué dans le document de priorité. Dualit a fait valoir que pour cette raison, la revendication ne pouvait pas bénéficier de la priorité, alors que Nestec a estimé qu'une priorité partielle pouvait être revendiquée. Pour déterminer laquelle des sociétés obtiendrait gain de cause, il convenait de se demander si les trois agencements représentaient des objets alternatifs clairement définis. Le juge Arnold a estimé que l'option 2 constituait une alternative clairement définie à l'option 1, mais que l'option 3 ne constituait aucunement un agencement à part entière. Elle couvrait toute une gamme d'agencements, à savoir tout ce qui n'était pas visé par les options 1 ou 2. En outre, certains des agencements couverts s'apparentaient à l'option 1 alors que d'autres s'apparentaient à l'option 2. Partant, l'option 3 ne constituait pas une alternative clairement définie aux options 1 et 2.
Nestec a également allégué que trois orientations distinctes de la capsule étaient divulguées par le brevet et couvertes par la revendication 1. Il n'a pas été contesté que le document de priorité divulguait le premier agencement, mais pas le deuxième, et que le troisième n'était pas expressément divulgué. Pour sa part, Dualit a fait valoir que la revendication 1 ne saurait donc bénéficier de la priorité, alors que Nestec a allégué que le troisième agencement était implicitement divulgué.
Le juge Arnold a estimé que le document de priorité ne divulguait pas la caractéristique selon laquelle la capsule était inclinée. S'il admettait que l'homme du métier constaterait, après réflexion, que l'agencement décrit entraînerait probablement une légère inclinaison de la capsule, rien n'amènerait ce dernier à penser qu'un tel résultat était inévitable, et encore moins volontaire ou avantageux. Au contraire, il penserait que les glissières d'introduction avaient été conçues pour minimiser toute inclinaison et en conclurait qu'il pouvait être fait abstraction de cet élément aux fins de l'invention.
Nestec a fait valoir que, dans ce cas, seule la revendication 5 était exclue du bénéfice de la priorité. La revendication 1 pouvait encore s'en prévaloir car même si elle couvrait également des agencements permettant de retenir la capsule dans une position inclinée, elle ne les divulguait pas. Le juge Arnold a indiqué qu'il ne partageait pas ce point de vue, estimant que de tels agencements étaient expressément divulgués dans le fascicule de brevet, et que l'homme du métier comprendrait que la revendication 1 les englobait. La revendication 1 ne pouvait donc pas bénéficier de la priorité revendiquée (et, par conséquent, les autres revendications non plus).
Le document de priorité constituait donc une antériorité au titre de la s. 2(3) Patents Act 1977, lequel correspond à l'art. 54(3) CBE. Dualit a fait valoir que les revendications qui ne bénéficiaient pas de la priorité étaient dépourvues de nouveauté par rapport au document de priorité. Le juge Arnold a approuvé ce point de vue, estimant que les revendications étaient de portée plus large que la divulgation contenue dans le document de priorité. Par conséquent, ces revendications pouvaient être dépourvues de nouveauté par rapport à la divulgation contenue dans le document de priorité (et tel était bien le cas en l'occurrence), même si elles ne pouvaient bénéficier de la priorité de ce document.
GB – Royaume-Uni
Tribunal des brevets, 10 juillet 2013 – HTC Corporation c. Gemalto SA et HTC Corporation c. Gemalto NV [2013] EWHC 1876 (Pat)
Mot-clé : priorité – même invention – priorités multiples
La société HTC avait contesté la priorité revendiquée pour le brevet européen (UK) 0 932 865 ("Utilisation d'un langage de programmation évolué avec un contrôleur microprogramme") détenu par Gemalto SA.
Concernant l'exigence de "même invention", le juge Birss s'est référé au résumé de la situation de droit fait par Lord Justice Kitchin dans l'affaire MedImmune Ltd c. Novartis Pharmaceuticals Ltd [2012] EWCA Civ 1234 (cf. ci-dessus dans ce chapitre), ainsi qu'au résumé des tâches incombant au tribunal fait par le juge Floyd dans l'affaire Samsung Electronics Co. Ltd c. Apple Retail UK Ltd [2013] EWHC 467 (Pat). Selon le juge Birss, l'examen de la priorité n'était pas un examen de la nouveauté ni de la contrefaçon. Il mettait davantage l'accent sur le fond et revêtait un caractère moins formel que cela (Samsung). Il ne s'agissait certainement pas d'établir si l'invention était évidente (Abbott Laboratories Ltd c. Evysio Medical Devices plc [2008] EWHC 800 (Pat)). En ce qui concerne la possibilité d'exécuter l'invention, il ne s'agissait manifestement pas, ou du moins pas seulement, de déterminer si des éléments avaient été ajoutés. La possibilité d'exécuter l'invention était assurément l'une des conditions à remplir pour qu'une priorité puisse être valablement revendiquée, en ce sens que les éléments divulgués concrètement devaient pouvoir être réellement exécutés (Asahi Kasei Kogyo KK's Application [1991] RPC 485), mais aussi dans le sens décrit dans l'affaire Biogen c. Medeva [1977] RPC 1, dans laquelle la priorité avait été considérée comme perdue pour la revendication concernée, étant donné que celle-ci englobait d'autres moyens pour parvenir à l'objectif fixé et que ces moyens ne résultaient en rien du principe divulgué.
Il ressortait de la jurisprudence anglaise pertinente que le droit de priorité était une question distincte des autres éléments bien connus ayant trait à la validité d'un brevet, à savoir l'exposé suffisamment clair et complet, la nouveauté, l'activité inventive et les éléments ajoutés. L'examen du droit de priorité s'inscrivait dans un contexte qui lui était propre et découlait de considérations de fond qui lui étaient particulières. Le droit de priorité renfermait des aspects communs à d'autres domaines. L'examen de la question de savoir si l'invention pouvait être exécutée devait être le même que dans d'autres contextes, et celui destiné à établir si l'exposé de l'invention était suffisant (à savoir si l'objet pouvait être déduit clairement et sans ambiguïté, explicitement ou implicitement) devait être identique, que l'on examine un document de priorité pour trancher la question de la priorité ou une demande pour déterminer si des éléments ont été ajoutés. Cependant, selon qu'il s'agisse de la priorité ou de l'ajout d'éléments, l'exposé était examiné à des fins différentes.
La revendication 1 du brevet ne satisfaisait pas à l'exigence de même invention, puisqu'elle n'était pas limitée aux programmes d'application sources écrits en Java, mais qu'elle englobait expressément les programmes d'application sources écrits dans n'importe quel langage évolué. Cependant, les éléments divulgués à la fois expressément et implicitement dans le document de priorité étaient clairs : l'invention impliquait et nécessitait l'utilisation de Java.
Pour la combinaison de la revendication 1 et de la revendication 3 (limitée à Java), le juge énonce que l'homme du métier déduirait de la divulgation du document de priorité l'idée de compression en général avec un mappage d'espace de nom par exemple, plutôt que seulement l'idée spécifique d'utiliser un mappage d'espace de nom. La priorité était donc valable.
Gemalto avait également fait valoir des priorités multiples pour la revendication 8. Le juge Birss a cité l'art. 88(2) CBE et la partie pertinente de l'avis G 2/98, telle qu'examinée par le juge Kitchin dans l'affaire Novartis c. Johnson & Johnson [2009] EWHC 1671 (Pat) (référence présente également dans l'affaire Nestec S.A. c. Dualit Ltd [2013] EWHC 923 (Pat) – voir le résumé correspondant ci-dessus dans ce chapitre). La revendication 8 définissait dans cinq sous-paragraphes, identifiés par les lettres (a) à (e), un procédé comportant cinq étapes, et précisait ensuite que le convertisseur devait exécuter au moins une de ces étapes. Cette revendication n'était toutefois pas comparable à une revendication relative à un composé chimique qui englobe cinq variantes pouvant se substituer l'une à l'autre. Les éléments (a) à (e) n'étaient pas des variantes et il n'était pas possible de faire valoir des priorités multiples pour cette revendication car c'est un procédé en cinq étapes qui était au cœur de cette revendication.
En appel (HTC Corporation v Gemalto SA [2014] EWCA Civ 1335 du 22 octobre 2014), la priorité relative à la revendication 3 était à nouveau contestée. La cour d'appel confirme les conclusions du premier juge. Selon Floyd LJ, la question de ce qu'un document divulgue à un homme du métier tient compte des connaissances et de la formation de ce dernier. Le document n'avait qu'une seule signification car seule comptait la compréhension par l'homme du métier pertinent de ce document. Ce qui n'était pas autorisé était d'aller au-delà de ce qui peut être tiré explicitement ou implicitement du document et de prendre en compte ce qu'un document pourrait conduire un homme du métier à faire ou ne pas faire, ou bien encore ce à quoi ce document pourrait l'amener à penser.
Note de la rédaction : voir également le premier résumé de la même décision dans ce chapitre.