INFORMATIONS RELATIVES AUX ETATS CONTRACTANTS / D'EXTENSION
DE Allemagne
Décision de saisine rendue par le Bundespatentgericht (Tribunal fédéral des brevets), le 29 janvier 1998
(4 W (pat) 40/97)1
Référence : Traductions/BASF
Article 30, 36, 177 lettre a) du traité CE
Article II, paragraphe 3 (1) et (2) de la Loi sur les traités internationaux en matière de brevets (IntPatÜG)
Mot-clé : "Brevet européen réputé sans effet ab inito en cas de non-production de la traduction prescrite - compatibilité avec le traité CE" - "Saisine de la CJCE"
Sommaire
En application de l'article 177, sous a), du traité CE, la Cour de justice européenne est saisie à titre préjudiciel de la question suivante portant sur l'interprétation du traité :
Est-il compatible avec les principes de la libre circulation des marchandises (articles 30, 36 du traité CE) qu'un brevet accordé par l'Office européen des brevets avec effet pour un Etat membre, et rédigé dans une autre langue que la langue officielle de cet Etat membre, soit ab inito réputé sans effet lorsque le titulaire du brevet n'a pas fourni à l'Office des brevets de l'Etat membre concerné, dans un délai de trois mois à compter de la date de la publication au Bulletin européen des brevets de la mention de la délivrance du brevet, une traduction du fascicule du brevet dans la langue officielle de l'Etat membre ?
I. Exposé des faits
1. La requérante est titulaire du brevet européen 0 398 276 (...). La mention de la délivrance du brevet rédigé en langue anglaise et produisant effet, entre autres, en République fédérale d'Allemagne a été publiée le 24 juillet 1996 dans le Bulletin européen des brevets. Il concerne un "composé entrant dans la métallisation de couches de peinture automobile" (...).
Par ordonnance du 5 mai 1997, l'Office allemand des brevets a constaté que le brevet européen 0 398 276 (DE 690 27 888.8) était réputé ab inito sans effet pour la République fédérale d'Allemagne, la (...) titulaire du brevet n'ayant pas remis à l'Office allemand la traduction allemande du fascicule dans le délai de trois mois à compter de la publication de la mention de la délivrance du brevet européen dans le Bulletin européen des brevets. La décision de l'Office des brevets est basée sur les dispositions de l'article II, paragraphe 3, deuxième et troisième alinéas, de la Gesetz über internationale Patentübereinkommen (loi allemande sur les traités internationaux en matière de brevets), ci-après IntPatÜG.
(...) la titulaire du brevet a formé un recours contre la décision (...) en concluant à l'annulation de la décision de l'Office allemand des brevets du 5 mai 1997.
2. Elle a allégué que l'article II, paragraphe 3, deuxième alinéa, de l'IntPatÜG n'est pas compatible avec les articles 30 et 36 du traité CE dans la mesure où la non-production dans les délais d'une traduction du brevet européen est sanctionnée par l'absence d'effet ab inito du brevet européen en République fédérale d'Allemagne. Cette disposition n'est donc pas applicable.
A l'appui de son recours, la (...) titulaire du brevet a fait valoir que le montant des frais de traduction empêche de nombreux titulaires de brevets, faute de moyens financiers suffisants, de faire en sorte que les brevets délivrés produisent leurs effets dans tous les Etats membres de la Communauté. Ils se voient donc contraints de faire un choix et donc de renoncer à la protection par brevet dans certains Etats membres et pour cela, soit ils s'abstiennent de fournir une traduction après la délivrance du brevet européen, soit ils omettent d'emblée de désigner des Etats contractants dans lesquels ils pourraient aussi bénéficier de la protection par brevet. La taxe de désignation de 150 DM par Etat seulement, insignifiante par rapport aux frais de traduction, ne constitue en aucun cas un motif pour renoncer à la protection par brevet dans certains Etats membres. Le renoncement, en raison des frais de traduction élevés, à la protection par brevet souhaitée dans tous les Etats membres n'est dicté que par la nécessité, il est en quelque sorte "involontaire". Le fait de renoncer à la protection par brevet enlève à son titulaire la possibilité de nouveaux débouchés dans les Etats membres écartés. Cette limitation entraîne le cloisonnement du marché intérieur dans la mesure où, dans certains Etats membres, le brevet confère une protection (zone protégée) alors que dans d'autres il n'en confère pas (zone libre).
Ce cloisonnement du marché conduit notamment aux mesures suivantes d'effet équivalant à des restrictions quantitatives interdites par l'article 30 du traité CE :
a) Le titulaire du brevet, ses licenciés, des concurrents de la zone libre et de pays tiers peuvent prendre part à la concurrence dans la zone libre, mais tel n'est par contre pas le cas des concurrents de la zone protégée. En effet, ces derniers seraient coupables de contrefaçon s'ils exportaient le produit breveté de la zone protégée vers la zone libre. Ces concurrents sont donc discriminés par rapport aux autres.
b) Le titulaire du brevet pourrait se voir contraint de s'abstenir de commercialiser dans la zone libre pour ne pas compromettre par des réimportations le niveau de prix plus élevé dans la zone protégée. Il est donc en fait exclu de la concurrence dans la zone libre.
c) A l'égard du produit commercialisé légalement par des concurrents dans la zone libre, le titulaire du brevet conserve le droit de s'opposer à son importation dans la zone protégée, puisqu'il s'agirait d'une contrefaçon. Cela entraîne un cloisonnement du marché entre zone libre et zone protégée.
La sanction contesteé est en outre disproportionnée par rapport à l'objectif poursuivi. L'objectif de cette sanction, à savoir informer les concurrents sur le brevet, ne justifie pas que le brevet européen perde tout effet en cas d'inexécution de l'obligation de traduction. Il est pratiquement sans intérêt de s'informer sur les brevets existants en consultant les traductions. S'il existe un besoin de disposer des informations fournies par les traductions de brevets européens rédigés en langue étrangère, c'est déjà vrai lors de la demande, à un moment donc où on n'en dispose pas encore. De plus, de nombreux systèmes donnent des informations, non seulement sur les brevets à compter de la délivrance, mais aussi, bien avant ce stade, sur les demandes de brevet (par exemple, EPIDOS, Vienne).
Des sanctions moins sévères sont envisageables, par exemple en prévoyant que les droits résultant du brevet ne peuvent pas être revendiqués tant qu'une traduction n'a pas été produite ou que les concurrents qui ont de bonne foi fait usage de l'invention brevetée avant la production de la traduction ont le droit de continuer à l'utiliser.
(...)
3. La (...) titulaire du brevet a suggéré de soumettre à la Cour de justice européenne la question de la compatibilité avec les art. 30 et 36 du traité CE d'une sanction qui consiste à considérer, comme le prévoit la législation nationale d'un Etat membre, qu'un brevet européen dont la traduction n'a pas été produite est ab inito réputé sans effet dans cet Etat (...).
4. La chambre de céans a donné au Président de l'Office allemand des brevets la possibilité d'intervenir dans la procédure de recours. Le Président a obtenu la qualité de partie après avoir déposé sa déclaration d'intervention (art. 77 de la loi allemande sur les brevets).
Le Président de l'Office allemand des brevets est d'avis que la disposition de l'article II, paragraphe 3, second alinéa de l'IntPatÜG, selon laquelle, en cas de non-production d'une traduction d'un brevet européen délivré en langue anglaise ou française, le brevet est réputé sans effet ab inito pour la République fédérale d'Allemagne, est conforme aux articles 30 et 36 du traité CE.
Il a suggéré que cette question de droit soit soumise à titre préjudiciel à la Cour de justice européenne. (...)
II. Importance pour la décision de la chambre de la question qui est posée
1. (...)
2. L'issue du recours dépend de l'interprétation qu'il convient de donner du droit communautaire. Comme le prévoit l'article 177, lettre a) du traité CE, la chambre soumet à titre préjudiciel à la Cour de justice européenne la question posée dans le dispositif, parce qu'elle considère que l'interprétation à donner du droit communautaire est d'une importance fondamentale pour la décision qu'elle doit rendre au sujet du présent recours. Eu égard aux considérations qui suivent, la chambre de céans a des doutes sur la compatibilité avec le droit communautaire de la sanction prévue par l'article II, paragraphe 3, second alinéa, de l'IntPatÜG.
III. Considérations
1. Les brevets européens sont délivrés en application de la Convention sur le brevet européen (CBE). Les Etats contractants sont tous les Etats membres de l'Union européenne ainsi que la Suisse, le Liechtenstein et Monaco. Par cette Convention, il est institué un droit commun aux Etats contractants en matière de délivrance de brevets d'invention (article 1er). La délivrance d'un brevet européen peut être demandée pour tous les Etats contractants, pour plusieurs ou pour l'un d'entre eux seulement (article 3). Les langues officielles de l'Office européen des brevets sont l'allemand, l'anglais et le français. Les demandes de brevet européen sont déposées dans une de ces langues (langue de la procédure) (article 14, paragraphe 1) CBE.
Les fascicules de brevet européen sont publiés dans la langue de la procédure ; ils comportent une traduction des revendications (et d'elles seules) dans les deux autres langues officielles de l'Office européen des brevets (article 14, paragraphe 7) CBE.
Pour ce qui est de la nécessité de traduire d'autres parties du fascicule, l'article 65 CBE dispose :
"(1) Tout Etat contractant peut prescrire, lorsque le texte dans lequel l'Office européen des brevets envisage de délivrer un brevet européen pour cet Etat ... n'est pas rédigé dans une des langues officielles de l'Etat considéré, que le demandeur ou le titulaire du brevet doit fournir au service central de la propriété industrielle une traduction de ce texte dans l'une de ces langues officielles, à son choix, ou, dans la mesure où l'Etat en question a imposé l'utilisation d'une langue officielle déterminée, dans cette dernière langue. La traduction doit être produite dans un délai de trois mois à compter de la date de la publication au Bulletin européen des brevets de la mention de la délivrance du brevet européen ..., à moins que l'Etat considéré n'accorde un délai plus long.
(2) ...
(3) Tout Etat contractant peut prescrire que, si les dispositions adoptées en vertu des paragraphes 1 et 2 ne sont pas observées, le brevet européen est, dès l'origine, réputé sans effet dans cet Etat."
La République fédérale d'Allemagne ainsi que le Royaume-Uni s'étaient d'abord abstenus d'introduire une obligation supplémentaire de traduction au sens de l'article 65 CBE, car elle entraînait des frais qui ne pouvaient raisonnablement être mis à la charge des demandeurs et elle rendait plus difficile l'accès au système de brevet européen (cf. Begründung zum Entwurf des IntPatÜG, Blatt für Patent-, Muster und Zeichenwesen (BIPMZ) 1976, 322, 325).
Les autres Etats contractants, à l'exclusion du Luxembourg et de Monaco, demandaient déjà auparavant dans le cadre de l'article 65 CBE la production d'une traduction du fascicule du brevet européen. Ils prévoient tous qu'en cas de non-respect de cette obligation, le brevet européen est réputé sans effet ab inito. Lorsque, finalement, le Royaume-Uni a introduit en 1987 lui aussi l'obligation de traduction (JO OEB 1987, 263), la République fédérale d'Allemagne l'a suivi (JO OEB 1992, 97,380).
La réponse à la question préjudicielle est donc importante pour tous les Etats membres sauf le Luxembourg et Monaco.
L'article II, paragraphe 3 de l'IntPatÜG s'applique en République fédérale d'Allemagne depuis le 1er juin 1992. Ses paragraphes 1 (première phrase) et 2 sont ainsi libellés :
1) Lorsque le texte dans lequel l'Office européen des brevets envisage de délivrer un brevet européen avec effet pour la République fédérale d'Allemagne n'est pas rédigé en langue allemande, le demandeur ou le titulaire du brevet doit, dans un délai de trois mois à compter de la publication de la mention de la délivrance du brevet européen au Bulletin européen des brevets, fournir à l'Office allemand des brevets une traduction allemande du fascicule du brevet et acquitter une taxe selon le tarif fixé.
2) Lorsque la traduction n'est pas fournie dans les délais ou sous une forme permettant sa publication régulière ou que la taxe n'a pas été acquittée dans les délais, le brevet européen est réputé sans effet ab inito en République fédérale d'Allemagne.
2. L'obligation de traduction a pour objectif l'exploitation et la diffusion des informations sur les brevets en langue allemande dans l'intérêt des capacités d'innovation et de concurrence de l'économie allemande (cf. Begründung zum 2. Gesetz über das Gemeinschaftspatent, BlPMZ 1992, p. 47). La production de la traduction allemande dans un délai de trois mois après la publication de la mention de la délivrance du brevet européen donne aux concurrents allemands la possibilité, après examen du fascicule, de faire opposition au brevet auprès de l'Office européen des brevets dans le délai de neuf mois prévu à cet effet, qui commence lui aussi à courir à compter de la date de publication de la mention de la délivrance du brevet européen.
3. Le montant des frais de traduction est, de l'avis général, un obstacle à l'accès au système européen des brevets (cf. van Benthem, Mitteilungen der deutschen Patentanwälte (MItt.) 1993, 151, 155 ; Stohr, Mitt. 1993, 156, 159). Une partie importante des petites et moyennes entreprises n'est financièrement plus en mesure d'en assumer le coût pour tous les Etats contractants, c'est-à-dire aussi pour tous les Etats membres de l'Union européenne dans lesquels le brevet européen délivré pourrait produire effet. Malgré la limitation à certains Etats membres seulement, les frais de traduction de l'industrie européenne sont estimés à 430 millions de DM par an. Un brevet européen, qui (en moyenne) n'est délivré que pour les huit Etats membres les plus souvent cités, entraîne pour sa seule traduction, et donc pour sa validité, des frais dépassant 20 000 DM par brevet (voir Livre vert sur le brevet communautaire et le système des brevets en Europe, "Promouvoir l'innovation par le brevet", rédigé par la Commission, p. 29)2. Pour bénéficier d'une protection par brevet dans toute l'Union européenne, avec dix langues différentes, en tenant compte du fait que le fascicule existe dans une des langues officielles de l'Office européen des brevets, il faut neuf traductions.
En 1996, il a été délivré environ 18 000 brevets européens originaires de l'Union européenne avec plus de 140 000 désignations d'Etats membres de l'UE (voir rapport annuel de l'Office européen des brevets 1996, p. 74, tableau 3.1). Il est important à cet égard que de nombreuses entreprises des Etats membres demandent chaque année un grand nombre de brevets européens, comme le montre dans le détail le rapport annuel de l'Office allemand des brevets de 1996 (p. 15). Ces chiffres indiquent que les frais de traduction constituent un élément de coût important pour une demande de brevet.
4. L'obligation de traduction pourrait, en raison du montant élevé des frais, constituer une mesure d'effet équivalant aux restrictions quantitatives au sens des articles 30 et 36 du traité CE. Pour le titulaire du brevet, l'obligation de traduction et les frais considérables qui y sont liés représentent en quelque sorte un "droit d'entrée" pour accéder au marché des Etats membres. Cette obligation pourrait donc constituer un obstacle illicite aux échanges.
En effet constitue une "mesure d'effet équivalent" toute réglementation commerciale d'un Etat membre susceptible d'entraver directement ou indirectement, actuellement ou potentiellement le commerce intracommunautaire (arrêts de la Cour de justice européenne du 20 février 1979, "Cassis de Dijon" (120/78, Rec. p. 649) et du 11 juillet 1974, "Dassonville" (8/74, Rec. p. 837). Il y a mesure d'effet équivalent lorsque les importations sont rendues impossibles ou plus difficiles ou plus coûteuses que les ventes de produits nationaux, sans que cela soit nécessaire pour atteindre un objectif qui reste dans le cadre du pouvoir d'arrêter des dispositions commerciales que laisse le traité CE aux Etats membres (voir arrêt "Cassis de Dijon", loc. cit.).
Le montant des frais de traduction peut empêcher le titulaire du brevet de le maintenir en vigueur dans chaque Etat membre dans lequel le brevet européen a été délivré. Cela pourrait créer un cloisonnement du marché entre une zone dans laquelle le brevet confère une protection (zone protégée) et une autre dans laquelle il ne confère pas de protection (zone libre).
Le titulaire du brevet peut, pour des raisons économiques, devoir renoncer à commercialiser le produit breveté sur un marché que son brevet ne couvre pas. En effet, s'il commercialise dans une zone libre le produit protégé par un brevet dans d'autres Etats membres, il peut subir un préjudice économique considérable faute de protection par brevet. La fixation du prix d'un produit breveté ne tient normalement pas seulement compte du coût de fabrication et de distribution, mais aussi des frais de recherche et de développement que l'invention a entraînés et qui doivent être amortis dans un avenir rapproché. Si le titulaire du brevet introduit le produit dans une zone non protégée, il doit craindre que ses concurrents le fabriquent et le commercialisent dans la zone libre. Ce danger est particulièrement grand pour les produits relativement faciles à fabriquer. Le titulaire du brevet ne peut dans ce cas invoquer les droits qu'il tire de son brevet. Le fabricant de la zone libre peut fixer son prix en ne tenant compte que du coût de fabrication et de vente car il n'a pas eu de frais de recherche et de développement. Il peut donc offrir un prix nettement inférieur à celui fixé par le titulaire du brevet. L'écart de prix est particulièrement élevé lorsque le niveau de salaire dans la zone libre est nettement inférieur à celui de la zone protégée. Le titulaire de brevet ne sera donc plus compétitif. Il s'ensuit que les produits fabriqués dans la zone libre sont avantagés par rapport à ceux de la zone protégée.
Les entraves au commerce dues aux frais de traduction pénalisent en particulier les petites et moyennes entreprises titulaires de brevets, qui, faute de capacités de production suffisantes, ne sont pas en mesure de fournir l'ensemble du marché intérieur en produits brevetés. Elles sont réduites à trouver dans les Etats membres des preneurs de licences prêts à investir, qui fabriquent le produit pour le marché national concerné. Le titulaire de brevet peut donc se heurter à des difficultés pour trouver dans une zone libre des preneurs de licences qui sont prêts contre paiement d'une redevance à fabriquer le produit, ceux-ci courant le risque d'être confrontés à une offre de prix inférieure de la part de concurrents qui fabriquent aussi le produit et ne sont pas tenus au paiement d'une redevance. Faute de protection de son produit, le titulaire du brevet ne peut pas leur accorder le droit d'exclusivité qui les libérerait de ce souci.
5. On peut également douter que les intéressés doivent accepter cette entrave équivalant à une restriction quantitative eu égard à la compétence en principe autonome de la République fédérale d'Allemagne pour légiférer en la matière. Tel serait le cas si le régime de sanction contesté était adapté, nécessaire et proportionné pour faire face à des exigences impératives pour lesquelles il n'existe pas encore de dispositions communautaires (voir arrêt "Cassis de Dijon", loc. cit.). Il ne semble pas y avoir d'élément plaidant en ce sens. S'il est vrai que l'objectif poursuivi par l'obligation de traduire le fascicule, à savoir l'exploitation et la diffusion en langue allemande des informations sur les brevets dans l'intérêt des capacités d'innovation et de concurrence de l'industrie allemande (cf. BIPMZ, loc. cit.) peut avoir un sens, la question se pose de savoir si la sanction en cas d'inexécution est proportionnée par rapport à cet objectif. Comme l'expose le recours, le besoin de disposer de traductions est faible. L'opinion selon laquelle il faudrait offrir aux petites et moyennes entreprises une traduction dans la langue officielle de leur pays d'origine, parce que les inventeurs ne maîtrisent pas tous les langues officielles de l'Office européen des brevets, n'est manifestement pas partagée par une majorité d'entre elles. Selon un sondage réalisé auprès de 1 504 demandeurs de brevets européens, une grande majorité (78%) des 756 qui ont répondu souhaite que - sauf en cas de recours en justice - le brevet européen délivré ne soit pas obligatoirement traduit. Les inventeurs individuels, tout comme les petites et moyennes entreprises, sont à 80% pour l'abolition de l'obligation de traduction (cf. Mitt. 1997, 377).
On peut par ailleurs douter du caractère approprié de la sanction contestée.
La délivrance d'un brevet vient récompenser la prestation intellectuelle particulière de l'inventeur en lui assurant un monopole. Le contenu de l'invention brevetée est déterminé par le fascicule officiel rédigé dans la langue officielle choisie et non par les traductions non officielles. On pourrait laisser au titulaire du brevet le choix entre la production immédiate d'une traduction à titre de précaution pour le cas où, dans un Etat membre, un tiers exploiterait illégalement l'invention brevetée, et sa production ultérieur, seulement en cas de violation concrète. Un tel choix relève typiquement de la liberté du propriétaire de disposition d'une chose ou du titulaire d'un droit. La décision de savoir si, comment et où le titulaire du brevet dispose de son droit ne devrait pas remettre en cause les effets produits par le brevet délivré.
Il pourrait suffire que le titulaire du brevet produise d'abord simplement une traduction des revendications du brevet. Par ailleurs, il pourrait également être tenu au respect de son devoir d'information par la menace de sanctions moins radicales, rendant la revendication des droits qu'il tire de son brevet plus difficile tant qu'il n'a pas fourni de traduction. On pourrait aussi accorder à un concurrent qui a utilisé de bonne foi l'invention brevetée avant le dépôt de la traduction, le droit de continuer à l'utiliser. On pourrait aussi imaginer une disposition selon laquelle les droits conférés par le brevet sont suspendus jusqu'à la production de la traduction (voir Livre vert loc. cit. p. 12). En application de l'article 139, paragraphe 2, de la Loi allemande sur les brevets (Patentgesetz), le titulaire du brevet peut exiger une réparation de l'auteur d'une contrefaçon, lorsque ce dernier a agi de manière fautive (faute intentionnelle ou négligence). Si l'auteur de la contrefaçon n'a pas connaissance du fascicule du brevet, parce que, par exemple, étant de langue maternelle néerlandaise, il ne maîtrise pas le français, il est impossible de lui réclamer des dommages - intérêts, parce que les conditions requises pour qu'il y ait contrefaçon fautive ne sont pas réunies. Lorsque l'obligation de traduction n'a pas été remplie, avant de pouvoir demander réparation, le titulaire du brevet doit d'abord informer le contrefacteur du contenu du brevet, par exemple en lui adressant une mise en garde et en lui envoyant en même temps la traduction dans la langue officielle du pays dont celui-ci est originaire ou en produisant la traduction auprès de l'office des brevets de ce pays. Le titulaire du brevet ne peut donc pas réclamer de réparation pour le passé, mais tout au plus pour le futur, dans la mesure où le contrefacteur poursuit la contrefaçon en connaissance du brevet ou en méconnaissance de ce dernier par négligence, donc de manière fautive. Si le titulaire du brevet se limite à intenter une action visant à faire condamner le contrefacteur à cesser la contrefaçon, il devra aussi produire une traduction puisque, devant les juridictions nationales, c'est la langue officielle du pays qui est la langue judiciaire.
6. Si l'obligation de traduction est à considérer comme une entrave à la libre circulation des marchandises à l'intérieur de la Communauté, une telle restriction ne devrait pas pouvoir se fonder sur l'article 36 du traité CE. En application de cette disposition, les restrictions à l'importation ne sont justifiées que pour protéger la propriété industrielle. L'obligation de traduction ne sert pas la protection par brevet, elle lui est au contraire préjudiciable dans la mesure où elle rend considérablement plus difficile l'accès à la protection par brevet dans les Etats membres.
DE 3/98
1 Traduction du texte officiel de la décision, légèrement abrégé.
2 Cf. JO OEB 1997, 443 ; 1998, 82.