CHAMBRES DE RECOURS
Décisions de la Chambre de recours juridique
Décision de la Chambre de recours juridique, en date du 14 juin 1996 - J 10/93 - 3.1.1
(Traduction)
Composition de la Chambre :
Président : | J.-C. Saisset |
Membres : | B. Schachenmann |
S. Perryman |
Demandeur : Touzani, William
Requérant : Collapsible Bottle Of America
Référence : Transfert/COLLAPSIBLE BOTTLE OF AMERICA
Article : 20(1), 60(3), 71, 72, 111(1), 122 CBE
Mot-clé : "Inscription d'un transfert après la date à partir de laquelle la demande de brevet est réputée retirée" - "Possible si la requête en inscription du transfert est accompagnée d'une requête en restitutio in integrum"
Sommaire
Un transfert peut être inscrit au Registre européen des brevets même après la date à partir de laquelle la demande de brevet est réputée retirée, à condition qu'une restitutio in integrum soit possible et que l'ayant cause du titulaire ait, en même temps qu'il demandait l'inscription du transfert, accompli les actes voulus pour pouvoir être rétabli dans les droits attachés à la demande de brevet.
Exposé des faits et conclusions
I. Le 12 août 1991, la division d'examen a informé M. William Touzani, citoyen des Etats-Unis résidant aux Etats-Unis, que sa demande de brevet européen n° 87 201 334.7 était réputée retirée en vertu de l'article 96(3) CBE, étant donné qu'il n'avait pas donné suite avant le 9 juillet 1991, date d'expiration du délai qui lui avait été imparti, à la notification de la division d'examen l'invitant à présenter ses observations conformément à l'article 96(2) CBE.
II. La société Collapsible Bottle of America (CBA), société californienne à responsabilité limitée, a présenté le 6 mai 1992 une requête en inscription du transfert de la demande de brevet mentionnée ci-dessus. En même temps, elle a présenté une requête en restitutio in integrum concernant le délai qui n'avait pas été observé. A l'appui de sa requête en inscription du transfert, elle avait produit un acte de cession de titre de brevet ("Assignment of Letters Patents") en date du 19 février 1992, qui avait été signé pour le compte de M. William Touzani par un greffier de la cour d'appel du Comté de San Joaquin, Etat de Californie. Ce document a été déposé comme pièce n° 6.
III. Par décision en date du 17 mai 1993, la division juridique a rejeté la requête de CBA en inscription du transfert de la demande de brevet susmentionnée, au motif que la demande n'existait plus au moment de sa cession et de la présentation de la requête en inscription du transfert.
Elle a également rejeté comme irrecevable la requête de CBA en restitutio in integrum, au motif qu'une telle requête ne pouvait être valablement présentée par un tiers qui n'était pas le demandeur.
IV. Le 15 juillet 1993, CBA a formé recours contre cette décision, en demandant l'annulation de la décision, l'inscription du transfert à CBA de la demande de brevet
et l'octroi de la restitutio in integrum. La requérante a également demandé le remboursement de la taxe de recours.
A titre subsidiaire, CBA a demandé que la question suivante soit soumise à la Grande Chambre de recours :
"Est-il possible d'inscrire le transfert d'une demande de brevet européen et d'accorder la restitutio in integrum quant au délai prévu à l'article 96(2) CBE
- si à la date à laquelle elle a été cédée par décision judiciaire, la demande était déjà réputée retirée en vertu de l'article 96(3) CBE, bien que par ailleurs le délai d'un an prévu à l'article 122(1) CBE pour la présentation de la requête en restitutio in integrum ne soit pas encore venu à expiration,
- et si le cessionnaire dépose en même temps la requête en inscription de transfert et la requête en restitutio in integrum ?"
V. A l'appui de ses requêtes, la requérante a fait valoir essentiellement les arguments suivants :
Dans la décision faisant l'objet du recours, la requête en inscription du transfert et la requête en restitutio in integrum ont été traitées comme s'il s'agissait de deux requêtes totalement indépendantes. Or ces requêtes ont été déposées en même temps et dépendent l'une de l'autre.
Il n'était par conséquent pas correct de les traiter indépendamment l'une de l'autre sans tenir compte de leur interdépendance.
A la date à laquelle l'acte de cession avait été établi, le demandeur Touzani avait encore le droit de présenter une requête en restitutio in integrum. Ce droit a été cédé à la requérante en même temps que la demande, et il existait encore à la date à laquelle avaient été présentées les requêtes qui ont été rejetées par la division juridique. Dans ces conditions, la requérante aurait dû être considérée comme la nouvelle demanderesse, habilitée de ce fait à présenter une requête en restitutio in integrum même si la demande était réputée retirée.
Motifs de la décision
1. Aux termes de l'article 20(1) CBE, la division juridique est compétente pour toute décision relative aux mentions à porter sur le Registre européen des brevets, et notamment pour l'inscription du transfert des droits attachés à une demande de brevet européen (cf. règle 92(1)(w) CBE). Elle était par conséquent compétente pour statuer sur la requête présentée par la requérante en vue d'obtenir l'inscription du transfert de la demande de brevet susmentionnée.
Toutefois, la division juridique ne s'est pas bornée à statuer sur cette requête : elle s'est également prononcée sur la requête en restitutio in integrum présentée par la requérante, qu'elle a rejetée en la jugeant irrecevable.
L'article 122(4) CBE dispose que dans le cas où il est présenté une requête en restitutio in integrum, l'instance qui est compétente pour statuer sur l'acte non accompli statue sur la requête. En l'espèce, cet acte non accompli tenait au fait que le demandeur avait laissé sans réponse l'invitation que lui avait adressée la division d'examen en vertu de l'article 96 (2) CBE. L'instance compétente pour statuer sur la requête en restitutio in integrum était par conséquent la division d'examen.
En se prononçant sur la requête en restitutio in integrum, la division juridique avait par conséquent outrepassé ses pouvoirs, et ne pouvait se justifier en prétendant qu'elle devait statuer d'abord sur la requête en restitutio in integrum avant d'examiner la requête en inscription du transfert. Il s'ensuit pour ce seul motif que la décision attaquée par la requérante doit être annulée et que la requête en restitutio in integrum doit être renvoyée devant la division d'examen, à charge pour celle-ci de se prononcer à ce sujet (cf. décision J 10/82, JO OEB 1983, 94).
2. En ce qui concerne la requête en inscription du transfert, la Chambre exerce, conformément à l'article 111(1) CBE, les compétences de la division juridique. Elle doit donc examiner également si la division juridique était fondée à rejeter la requête de la requérante en inscription du transfert de la demande de brevet européen n° 87 201 334.7.
Selon la décision attaquée, la demande de brevet n'existait plus au moment de la cession et ne pouvait donc être transférée. Mais même si elle avait été transférée à une date à laquelle elle existait encore, il n'aurait plus été possible par la suite d'inscrire ce transfert, puisqu'à la date à laquelle avaient été produits les documents attestant ce transfert, la demande était déjà réputée retirée. La question qui se pose par conséquent est celle de savoir si, oui ou non, même après avoir été réputée retirée, une demande de brevet peut être transférée et si ce transfert peut être inscrit au Registre européen des brevets.
3. Il est à noter tout d'abord que lorsqu'une demande de brevet est réputée retirée, cela ne signifie pas pour autant que le demandeur perd immédiatement tous ses droits.
Il est vrai certes que la notification annonçant qu'une demande est réputée retirée met fin à la procédure de délivrance en tant que telle (cf. décision G 1/90, JO OEB 1991, 275, points 5 et 6 des motifs) ; néanmoins, le demandeur conserve toujours toute une série de droits dans le cadre de la procédure, par exemple, le droit de requérir une décision en l'espèce conformément à la règle 69(2) CBE (avec la possibilité par la suite de former un recours ayant effet suspensif), ainsi que le droit de se prévaloir le cas échéant de l'un des remèdes juridiques prévus par les articles 121 et 122 CBE et par les règles 85bis et 85ter CBE. Si une demande est réputée retirée, il existe ainsi un laps de temps durant lequel le demandeur peut user de ses droits mentionnés ci-dessus afin d'obtenir d'être rétabli dans les droits attachés à sa demande de brevet.
Il est important de noter dans la présente affaire qu'aux termes de l'article 60(3) CBE, dans la procédure devant l'Office européen des brevets, le demandeur est seul habilité à exercer le droit au brevet européen. En vertu de la règle 20(3) CBE, un transfert n'a d'effet à l'égard de l'Office européen des brevets qu'à partir du moment et dans la mesure où les documents attestant le transfert ont été produits. Le transfert de la demande de brevet est par conséquent une condition que tout ayant cause doit remplir s'il veut pouvoir exercer ses droits devant l'OEB. Si un tel transfert n'était plus possible et ne pouvait être inscrit une fois la demande réputée retirée, un ayant cause, par exemple l'héritier légal du demandeur, serait dans l'impossibilité d'épuiser les droits dont il dispose encore dans le cadre de la procédure.
De plus, lorsqu'un demandeur dont la demande a été réputée retirée se prévaut lui-même de tous les remèdes dont il dispose, et requiert par exemple une décision en vertu de la règle 69(2) CBE ou forme un recours, il est difficile de lui contester le droit de transférer sa demande alors que ces procédures sont en instance.
4. Les articles 71 et 72 et la règle 20 CBE définissent les conditions dans lesquelles peuvent s'effectuer le transfert des demandes de brevet européen et l'inscription de ces transferts. Nulle part dans ces dispositions il n'est précisé qu'à partir d'une certaine date, il n'est plus possible dans la procédure d'obtenir le transfert d'une demande de brevet européen et son inscription au Registre européen des brevets, et, compte tenu des considérations développées ci-dessus au point 3, la Chambre est convaincue que l'on ne peut considérer que ces dispositions interdisent automatiquement le transfert d'une demande de brevet européen et l'inscription de ce transfert au Registre dans le cas où, vu les circonstances, la demande a été réputée retirée. Tant qu'il est possible d'obtenir le rétablissement dans les droits attachés à la demande, les utilisateurs du système institué par la CBE ont, au contraire, un intérêt légitime à ce qu'un transfert puisse être inscrit au Registre européen des brevets.
Par ailleurs, il n'est pas porté atteinte aux intérêts du public pour ce qui est de la sécurité juridique si, lors de l'inscription du transfert, il ressort du dossier que les mesures voulues ont été prises pour permettre le rétablissement de l'ayant cause dans les droits attachés à la demande.
Par conséquent, dès lors qu'il subsiste un remède juridique et que l'ayant cause, en même temps qu'il présentait sa requête en inscription du transfert, a accompli les actes de procédure requis pour pouvoir obtenir le rétablissement de la demande, il conviendrait d'autoriser le transfert et l'inscription au Registre européen des brevets s'il est satisfait à toutes les conditions de forme.
Dans plusieurs Etats contractants, il a été donné des interprétations similaires des dispositions nationales correspondantes (cf. par exemple Benkard, Patentgesetz, 9e éd., § 123, note en marge 48 ; Schulte, Patentgesetz, 4e éd., § 123 note en marge n° 6 ; Blum/Pedrazzini, Das schweizerische Patentrecht, 2e éd., article 47, supplément, note 4A).
5. Dans la présente affaire, la requête en inscription du transfert de la demande de brevet et la requête en restitutio in integrum ont été présentées toutes les deux le 6 mai 1992, c'est-à-dire dans le délai d'un an à compter de l'expiration, le 9 juillet 1991, du délai qui n'avait pas été observé. A la date du dépôt de ces requêtes, il était encore possible d'obtenir la restitutio in integrum prévue par l'article 122 CBE (cf. article 122(2) CBE, deuxième phrase).
La requérante a produit comme acte de transfert, entre autres, la pièce n° 6 qui ne constitue pas toutefois un contrat librement conclu entre la requérante et M. Touzani, mais un acte de cession unilatérale que la Cour d'appel du Comté de San Joaquin, Etat de Californie, Etats-Unis, a ordonnée pour le Comté, acte signé au nom de M. Touzani par le greffier de la Cour. Du point de vue de la forme, la pièce n° 6 ne répond pas aux conditions requises à l'article 72 CBE, car elle n'est pas signée par les deux parties (cf. décision J 18/84, JO OEB 1987, 215).
Toutefois, selon la décision (non publiée au JO OEB) rendue le 15 mars 1988 par la chambre de recours juridique dans l'affaire J 34/86, il est possible, pour le transfert au cessionnaire du droit de déposer une demande divisionnaire, de se prévaloir d'une cession revêtant la forme d'un transfert unilatéral ordonné par un tribunal à la suite d'une procédure intentée dans un Etat qui n'est pas un Etat contractant de la CBE, notamment lorsque le cédant a abandonné ses droits sur l'objet revendiqué dans la demande divisionnaire.
En l'espèce, le demandeur, M. Touzani, n'avait pas répondu aux notifications de la division d'examen ni fait usage des remèdes juridiques auxquels il pouvait faire appel à partir du moment où la demande était réputée retirée. Au début de la procédure devant la Chambre, le mandataire de M. Touzani s'est démis de ses fonctions et toutes les lettres envoyées à M. Touzani ont été retournées avec la mention "destinataire inconnu à cette adresse", ce qui permet de conclure que M. Touzani a effectivement abandonné l'objet de sa demande. Dans ces conditions, l'acte de transfert qui a été produit peut être accepté en tant que tel, même si du point de vue de la forme il ne répond pas à toutes les conditions requises par l'article 72 CBE.
Les conditions mentionnées ci-dessus au point 4 sont par conséquent remplies et il peut être fait droit à la requête que la requérante a présentée en vue d'obtenir l'inscription au Registre européen des brevets du transfert de la demande de brevet européen n° 87 201 334.7.
6. Il n'y a pas lieu de statuer sur la requête subsidiaire visant à soumettre une question de droit à la Grande Chambre de recours (cf. point IV de l'exposé des faits et conclusions), étant donné que la question de droit soulevée par la requérante a été tranchée en sa faveur.
7. La requérante a également requis le remboursement de la taxe de recours en vertu de la règle 67 CBE. Comme il a été expliqué au point 1 ci-dessus, la division juridique a enfreint l'article 122(4) CBE en statuant sur la requête en restitutio in integrum. Du seul fait de cette violation, il convient de prononcer l'annulation de la décision attaquée et de renvoyer l'affaire devant l'instance compétente. La Chambre estime que cette irrégularité constitue un vice substantiel de procédure au sens de la règle 67 CBE et qu'il est donc équitable d'ordonner le remboursement de la taxe de recours (cf. décision J 10/82, JO OEB 1983, 94).
Dispositif
Par ces motifs, il est statué comme suit :
1. La décision attaquée est annulée.
2. L'affaire est renvoyée devant la division juridique, à charge pour celle-ci :
- d'inscrire au Registre européen des brevets le transfert de la demande de brevet européen n° 87 201 334.7 au nom de la société Collapsible Bottle of America, et
- de transmettre le dossier à la division d'examen pour qu'elle statue sur la requête en restitutio in integrum.
3. Il est ordonné le remboursement de la taxe de recours.