CHAMBRES DE RECOURS
Décisions de la Grande Chambre de recours
Décision de la Grande Chambre de recours, en date du 29 novembre 1991 - G 2/91*
(Traduction)
Composition de la Chambre :
Président : | P. Gori |
Membres : | E. Persson |
| O. Bossung |
| G. Gall |
| R. Schulte |
| G. Szabo |
| P. van den Berg |
Titulaire du brevet/intimé : Krohne AG
Opposant/requérant :
3) Coors Porcelain Co.
4) Morgan Matroc Ltd.
5) Danfoss A/S
6) Rosemount Inc.
Référence : Taxes de recours/KROHNE
Article : 107 CBE
Mot-clé : "Remboursement des taxes de recours lorsque plusieurs parties ont formé recours"
Sommaire
I. Toute personne admise à recourir qui ne forme pas recours, mais se contente de participer à la procédure de recours conformément à l'article 107, seconde phrase CBE ne possède pas un droit propre pour pour suivre la procédure en cas de retrait du recours par le requérant.
II. Les taxes de recours ne peuvent être remboursées au seulmotif que plusieurs parties à une procédure devant l'OEB ontvalablement formé recours contre une même décision.
Rappel de la procédure
I. Dans l'affaire T 604/89, quatre opposants ont formé recours et acquitté chacun la taxe correspondante prescrite par le règlement relatif aux taxes de l'OEB.
II. La chambre de recours compétente 3.4.2 a relevé que, selon la pratique suivie jusque-là par les chambres de recours, le paiement des quatre taxes devait être considéré comme fondé en droit. Toutefois, contrairement à cette pratique, la chambre de recours 3.3.1 a naguère décidé, dans l'affaire T 73/88, que toutes les taxes de recours, sauf la taxe acquittée la première, devaient être remboursées, au motif que les taxes ultérieurement acquittées l'ont été inutilement, l'article 107 CBE disposant que toute partie à la procédure devant la première instance est forcément partie à la procédure de recours dès lors qu'un recours (à savoir le premier) a été formé.
III. La chambre de recours 3.4.2, doutant que l'on puisse se fonder sur la CBE pour s'écarter de la pratique suivie par les chambres de recours, a constaté que les chambres de recours avaient développé deux jurisprudences contradictoires. C'est pourquoi la chambre de recours 3.4.2 a estimé qu'une décision de la Grande Chambre de recours était nécessaire en l'espèce afin d'assurer une application uniforme du droit et, conformément à l'article 112(1) CBE, a soumis à la Grande Chambre de recours la question de droit suivante :
"Lorsque plusieurs parties à une procédure devant l'OEB ont formé recours en acquittant chacune la taxe correspondante, l'OEB est-il tenu de rembourser cette taxe à tous les requérants à l'exception du premier, même si les conditions énoncées à la règle 67 CBE ne sont pas remplies ?"
IV. Conformément à l'article 11bis du règlement de procédure de la Grande Chambre de recours, le Président de l'OEB a présenté ses observations sur la question. Invoquant les principes généralement admis en matière de procédure, ainsi que les effets sur le budget de la décision rendue par la chambre de recours 3.3.1 dans l'affaire T 73/88, il a exprimé des réserves quant aux conséquences de cette décision.
V. Toutes les parties à la procédure dans l'affaire T 604/89 ont eu la possibilité de prendre position devant la Grande Chambre de recours, mais aucune d'elles n'en a fait usage.
Motifs de la décision
1. Il convient tout d'abord de noter que dans les deux affaires T 604/89 et T 73/88, tous les requérants étaient parties à la procédure devant la première instance en tant qu'opposants. La portée de la question de droit soumise par la chambre de recours 3.4.2 s'est cependant élargie, englobant non seulement le cas d'opposants multiples mais aussi, dans son principe, celui du recours croisé de l'opposant et du titulaire du brevet, ce qui, comme il en a été décidé dans l'affaire T 234/86 (JO OEB 1989, 79), est possible en cas de maintien d'un brevet sous une forme modifiée conformément à une requête subsidiaire présentée par le titulaire. Ainsi que le Président de l'OEB l'avait au demeurant relevé dans ses observations, cette extension de la portée de la question paraît logique, étant donné que les arguments avancés dans la décision rendue dans l'affaire T 73/88 sont applicables à ce dernier cas.
2. Dans sa décision T 73/88, qui s'écarte de la pratique suivie jusqu'alors, la chambre de recours 3.3.1 a étayé son argumentation principalement sur une interprétation de l'article 107 CBE. Aux termes de la première phrase de cette disposition, toute partie à la procédure ayant conduit à une décision peut recourir contre cette décision pour autant qu'elle n'ait pas fait droit à ses prétentions ; selon la seconde phrase, les autres parties à ladite procédure sont de droit parties à la procédure de recours ("parties to the appeal proceedings as of right", "Beteiligten ... am Beschwerdeverfahren"). Selon cette chambre, la seconde phrase de l'article 107 CBE se rapporte de toute évidence en premier lieu à la partie (le cas échéant aux parties) qui, dans la procédure devant la première instance, s'est opposée au requérant et, de ce fait, n'est pas lésée mais favorisée par la décision de cette instance, par exemple, le titulaire du brevet en cas de rejet d'une opposition ou, au contraire, l'opposant en cas de révocation du brevet. La situation évoquée au point 1 supra, dans laquelle un brevet a, par décision rendue en première instance, été maintenu sous une forme modifiée conformément à une requête subsidiaire présentée par le titulaire du brevet, constitue un cas spécial dans la mesure où cette décision ne fait droit aux prétentions ni du titulaire du brevet ni de l'opposant (pour autant que celui-ci ait demandé la révocation du brevet) et où tous deux doivent donc être considérés comme admis à recourir au titre de l'article 107, première phrase CBE. Si seulement l'un d'eux forme recours, il y a lieu de considérer l'autre comme partie à la procédure devant la chambre de recours au sens de l'article 107, seconde phrase CBE.
3. L'application des dispositions de l'article 107 CBE ne suscite, ni du point de vue des taxes de recours ni sur aucun autre point, de problème de procédure présentant un intérêt en l'espèce tant qu'une partie seulement a formé recours. La situation juridique se complique en cas de coparties ; dans la pratique, ce cas se présente essentiellement lors d'un rejet des oppositions formées par plusieurs opposants ou, comme cela a été mentionné plus haut, lors du maintien du brevet sous une forme modifiée conformément à une requête subsidiaire présentée par le titulaire du brevet (à la suite d'une ou de plusieurs oppositions). Il s'agit surtout de savoir si une partie qui n'a pas elle-même formé recours peut, conformément aux dispositions de l'article 107, seconde phrase CBE, obtenir en vertu de la loi une qualité pour agir dans la procédure de recours qui lui soit propre. Il importe de répondre à cette question, notamment pour déterminer si les parties au sens de l'article 107, seconde phrase CBE ont un droit propre pour poursuivre la procédure de recours en cas de retrait du recours (par le requérant). Ni les brèves explications relatives à l'objet de l'article 107, seconde phrase CBE données lors de la Conférence diplomatique de Munich (voir M/PR/I, page 54, points 432 à 446), qui portent essentiellement sur la répartition des frais dans la procédure contradictoire, ni les autres travaux préparatoires ne donnent des indications suffisantes sur la manière d'interpréter l'article 107, seconde phrase CBE compte tenu des éléments précités.
4. L'interprétation de l'article 107 CBE évoquée au point 2 supra, qui a servi de fondement à la décision rendue par la chambre de recours 3.3.1 dans l'affaire T 73/88, considère qu'aussitôt qu'une partie à la procédure devant la première instance a formé recours, toutes les autres parties à la première instance sont automatiquement ("by operation of law") parties à la procédure de recours (art. 107, seconde phrase CBE) et possèdent pour agir une qualité propre et indépendante de celle du requérant ("equal rights and status") qui leur donne le droit de poursuivre la procédure de recours même si le requérant retire son recours. C'est sur cette conception que s'appuie la chambre de recours 3.3.1 pour estimer qu'il faut considérer le paiement des taxes de recours comme étant non fondé en droit dès lors que le premier recours a été formé. Même si la chambre de recours 3.3.1 ne le dit pas expressément dans sa décision, il serait logique dans ce cas que tout recours formé postérieurement au premier soit sans objet.
5. Compte tenu de la portée limitée de la question de droit soumise par la chambre de recours 3.4.2 (cf. point III supra), il n'est pas indispensable, de l'avis de la Grande Chambre de recours, d'examiner dans la présente décision tous les aspects de l'article 107 CBE. Pour répondre à la question qui a été soumise, il suffit de déterminer si, comme l'a admis la chambre de recours 3.3.1, il est exact qu'une participation à la procédure de recours conformément à l'article 107, seconde phrase CBE confère à une partie admise à recourir mais qui n'a pas elle-même formé recours, à tous points de vue la même qualité pour agir au regard du droit procédural qu'au requérant. Ce n'est qu'alors qu'il convient d'examiner la question du remboursement de la taxe de recours.
6.1 La Grande Chambre estime que la chambre de recours 3.3.1 va trop loin, sur un point essentiel, dans son interprétation de l'article 107 CBE lorsqu'elle constate que toute partie à la procédure est, conformément à l'article 107, seconde phrase CBE, habilitée à poursuivre la procédure de recours même en cas de retrait du recours par le requérant. Selon les principes généralement admis en matière de procédure, seul le requérant peut décider du maintien du recours qu'il a formé. Les parties à la procédure au sens de l'article 107, seconde phrase CBE ne disposent pas d'un droit propre pour poursuivre la procédure de recours si le requérant retire son recours. L'article 107, seconde phrase CBE ne confère pas aux parties à la première instance qui n'ont pas formé recours une qualité pour agir qui leur soit propre, mais leur garantit uniquement qu'elles sont parties à une procédure de recours en instance. Une personne qui ne forme pas recours (en payant la taxe correspondante), bien qu'elle soit admise à le faire, mais se contente de participer à la procédure de recours conformément à l'article 107, seconde phrase CBE court donc le risque de voir la procédure de recours dépendre de la décision du requérant de maintenir son recours. Par ailleurs, la question se pose de savoir si en cas de retrait du recours, une poursuite d'office de la procédure de recours est possible (cf. règle 60(2) CBE). En tout cas, une partie à la procédure au sens de l'article 107, seconde phrase CBE ne dispose pas d'un droit propre pour poursuivre la procédure.
6.2 De même, s'agissant de la possibilité de présenter soi-même, dans la procédure de recours, des requêtes, la question se pose de savoir si certaines limites sont imposées à une partie à la procédure au sens de l'article 107, seconde phrase CBE. Elle se pose surtout dans l'hypothèse d'un droit propre permettant de formuler soi-même des requêtes s'opposant à celles du requérant, par exemple en cas de recours du titulaire du brevet, de demander la révocation du brevet alors que celui-ci, par décision rendue en première instance, avait été maintenu sous la forme délivrée ou sous une forme modifiée. Compte tenu des questions connexes soulevées dans le cadre d'autres procédures devant la Grande Chambre, qui portent de manière générale sur le problème de la compétence en matière d'examen dans la procédure de recours sur opposition, il paraît opportun à la Chambre de ne pas prendre position sur ce point.
7. En conclusion, on soulignera que la mise en application de l'interprétation de l'article 107 CBE préconisée par la chambre de recours 3.3.1 serait de nature à créer des difficultés particulières en cas de rejet du recours formé en premier lieu pour absence ou dépôt tardif de l'exposé des motifs du recours. De la sorte, une personne admise à recourir qui, se fiant à ce "premier" recours, renoncerait à former elle-même recours, n'aurait plus aucune possibilité d'engager elle-même une procédure de recours puisque le délai prévu à cet effet à l'article 108 CBE serait déjà échu.
8. En conséquence, force est de constater qu'il n'est ni inutile, ni sans fondement de former soi-même recours, même si un autre recours a déjà été formé. Aussi n'y a-t-il aucune raison de rembourser les taxes de recours acquittées pour les recours formés après le premier, pour autant que les conditions énoncées à la règle 67 CBE ne sont pas remplies.
Toute partie à la procédure devant la première instance aux prétentions de laquelle la décision n'a pas fait droit peut former recours en présentant et en motivant elle-même une requête à cet effet. Ce droit de recourir ne peut lui être retiré du fait qu'un autre recours a été formé avant le sien.
Dispositif
Par ces motifs, il est statué comme suit :
La Grande Chambre de recours apporte la réponse suivante à la question de droit qui lui a été soumise :
1. Toute personne admise à recourir qui ne forme pas recours, mais se contente de participer à la procédure de recours conformément à l'article 107, seconde phrase CBE ne possède pas un droit propre pour poursuivre la procédure en cas de retrait du recours par le requérant.
2. Les taxes de recours ne peuvent être remboursées au seul motif que plusieurs parties à une procédure devant l'OEB ont valablement formé recours contre une même décision.