I. BREVETABILITE
A Article 52 CBE – Inventions brevetables
1. Caractère technique
DE – Allemagne
Cour fédérale de justice, 24 février 2011 (X ZR 121/09) – Affichage de pages Internet
Mot-clé : invention mise en œuvre par ordinateur – caractère technique – activité inventive
Le brevet en cause portait sur un procédé permettant de retrouver facilement et de consulter de nouveau une page de contenu, qui avait été déjà consultée puis fermée, et qui était accessible directement ou indirectement depuis la page d'accueil d'un fournisseur de contenu.
La Cour fédérale de justice a estimé que, s'agissant des inventions relatives à des appareils et des procédés (programmes) informatiques, il convient de déterminer tout d'abord si au moins un des aspects de l'objet de l'invention relève du domaine technique (§ 1(1) de la loi sur les brevets). Il convient ensuite d'examiner si cet objet n'est qu'un programme d'ordinateur en tant que tel, qui serait par conséquent exclu de la protection par brevet. L'exclusion de la brevetabilité ne s'applique pas si cet examen supplémentaire montre que l'enseignement comporte des instructions servant à résoudre un problème technique concret avec des moyens techniques.
Un procédé de traitement informatique des étapes d'un procédé utilisé dans des appareils techniques connectés en réseau (serveur, clients) satisfait à la condition de technicité nécessaire pour pouvoir prétendre à une protection par brevet, y compris lorsque ces appareils ne sont pas expressément mentionnés dans la revendication du brevet.
En l'espèce, la condition de technicité était remplie, car le procédé en cause servait au traitement informatique des étapes d'un procédé utilisé dans des appareils techniques connectés en réseau, et permettait d'enregistrer les pages Internet consultées par un internaute et de générer une image affichable de ces pages. Il s'agissait en l'occurrence d'étapes classiques de traitement, de sauvegarde et de transmission de données au moyen d'appareils techniques. Toutefois, il faut également que l'enseignement revendiqué comporte des instructions servant à résoudre un problème technique concret avec des moyens techniques.
Un problème technique est considéré comme ayant été résolu par un moyen technique lorsque les composants de l'appareil ont été modifiés ou traités d'une manière tout à fait nouvelle, ou lorsque l'exécution d'un programme informatique utilisé pour résoudre un problème a été déterminée par des éléments techniques extérieurs à l'ordinateur. Aucun de ces deux cas de figure ne s'appliquait au brevet en cause.
La Cour fédérale de justice a, par conséquent, estimé que l'objet du brevet n'était pas brevetable.
FR – France
Cour d'appel de Paris, 28 juin 2013 (10/21790) – Monsieur L c/ Publicis Groupe et R.A.T.P
Mot-clé : invention brevetable – caractère technique
Monsieur L est titulaire du brevet français 0 210 686, portant sur un "dispositif en communication équipé de lecteurs et d'écrans à plasma pour la diffusion publicitaire et de cabine Internet". Les caractéristiques de ce brevet concernent un dispositif qui intègre deux systèmes qui sont aussi des dispositifs. Ce dispositif intègre des méthodes, des techniques et des outils permettant de diffuser de la publicité autrement que par la télévision. Reprochant à la Régie autonome des transports Parisiens ("RATP") et à la société Publicis Groupe de reproduire dans les locaux de la RATP un dispositif de communication qui reproduirait les caractéristiques de son brevet, M. L les a fait assigner au fond. Le Tribunal de Grande Instance de Paris a prononcé la nullité de toutes les revendications du brevet français 0 210 686 pour défaut de caractère brevetable.
En appel M. L fait notamment valoir que du point de vue du système Internet, l'innovation repose sur le fait que les cabines Internet publiques constituent de véritables véhicules publicitaires puisqu'ils sont assortis d'écrans de production sur la partie haute et sur la surface latérale. Cette invention, réalise une activité inventive dans un domaine où ce moyen de communication n'existe pas, par une coopération de moyens connus pour arriver à un résultat inconnu par rapport à l'état de la technique : l'affichage de la publicité en réseau d'une part et l'usage de l'Internet en milieu public dans des abris.
Les intimées soutiennent notamment que le brevet de M. L ne donne aucune solution technique à un problème technique et est dépourvu d'activité inventive.
Sur ce, la Cour énonce que le breveté reconnaît que les deux dispositifs distincts comportent des moyens connus. Le brevet décrit un système de production et de diffusion publicitaire au travers de cabines Internet de type cabines téléphoniques. Il ne fait que décrire l'aménagement et les composants d'une cabine publique individuelle dédiée à l'Internet, assortie d'espaces publicitaires véhiculés par des moniteurs plasma, situées dans des lieux de forts passages de public, par la juxtaposition de moyens tous connus qui permettent d'une part la diffusion de messages publicitaires et d'autre part l'accès à Internet.
Parmi ces moyens connus certains ne revêtent pas de caractère technique, comme par exemple un contrat ou un budget publicitaire ; et d'autres, ne sont pas décrits sur le plan technique : écrans plasma, ordinateur portable, lecteur de CD Rom, plus petit PC du monde. Ces moyens ne résolvent pas un problème technique mais consistent en une méthode de communication dont la finalité est purement commerciale. La Cour conclut que ce brevet ne porte pas sur un objet brevetable.
FR – France
Cour d'appel de Paris, 19 mars 2014 (10/21042) – Sté Artygraphie c/ Sté Cartel
Mot-clé : invention brevetable – caractère technique
La société Cartel est titulaire du brevet européen 1 336 948 désignant la France intitulé «Borne interactive de vitrine». Le brevet revendiqué a, ensuite, fait l'objet d'une requête en limitation de la partie française acceptée par le directeur général de l'INPI.
La société Artygraphie, appelante demande de réformer le jugement ; elle conclut à la nullité de la partie française du brevet européen dans toutes ses revendications, pour entre autres, défaut d'invention technique, défaut de nouveauté et défaut d'activité inventive.
Sur les revendications en litige, la société Artygraphie demande d'annuler toutes les revendications de la partie française du brevet européen invoqué, alors que seules lui sont actuellement opposées les revendications 1 à 5, 7 et 9 de ce brevet. La demande d'annulation des revendications dépendantes 6, 8 et 10 formulée en défense est irrecevable, faute d'intérêt, dès lors que ces trois revendications ne sont pas invoquées à l'appui de l'action principale en contrefaçon de la société Cartel.
Sur la brevetabilité, l'appelante soutient que la revendication 1 telle que limitée encoure la nullité pour défaut de brevetabilité de certaines de ses caractéristiques en ce qu'elles constitueraient des résultats, et non des moyens techniques. Mais selon la Cour, la description rappelle qu'il existait déjà des bornes interactives avec un système d'acquisition solidaire du vitrage, cette solidarité permettant d'isoler le problème posé par des bornes composées d'éléments séparés, mais la maintenance d'un tel dispositif devant alors déterminer quel sous ensemble spécifique posait problème. Le fait que la solution d'acquisition en l'espèce ne soit plus solidaire du vitrage constitue un moyen technique permettant, ainsi qu'admis par l'appelante dans ses écritures, "la possible extraction" de cette solution "sans démontage préalable de la borne en son entier" ; la combinaison de toutes les caractéristiques de la revendication 1 constitue bien le moyen technique de parvenir à retirer tel boîtier. Ce moyen de nullité est rejeté.
La Cour juge par ailleurs l'invention nouvelle étant observé que les revendications dépendantes de la revendication 1 jugée valable de ce chef, ne sauraient être déclarées nulles pour défaut de nouveauté alors qu'elles bénéficient nécessairement du caractère de nouveauté de la revendication principale à laquelle elles ne font qu'ajouter des caractéristiques dont il importe peu qu'isolément elles soient ou non nouvelles. Elle juge aussi que la revendication 1 opposée traduit bien une activité inventive et est valable ; de même, juge la Cour, s'avèrent valables les revendications dépendantes invoquées, celles-ci ne pouvant être déclarées nulles pour défaut d'activité inventive, alors que par nature elles participent de l'activité inventive de la revendication principale jugée valable.
2. Objets ou activités exclus
2.1 Découvertes
FR – France
Tribunal de Grande Instance de Paris, 3 juillet 2014 (10/14406) – Société Evinerude c. Société Aair Lichens
Mot-clé : brevetabilité – découverte – moyens techniques non revendiqués
La société Evinerude a demandé au Tribunal de juger que le brevet français 0 103 485 appartenant à la société Aair Lichens décrit une simple découverte non brevetable et en conséquence d'en prononcer la nullité.
La société Aair Lichens a sollicité du Tribunal de juger que le procédé breveté ne peut être assimilé à une simple découverte, car il va bien au-delà d'un simple phénomène naturel. La société Aair Lichens prétend qu'il s'agit d'un procédé qui à partir de l'utilisation de lichens permet de réaliser des mesures quantitatives de composés PCCD/F et donc d'évaluer les retombées sur l'environnement. Elle définit neuf étapes qu'elle liste dans ses écritures et qui ressortent de la description.
Or, selon le Tribunal, conformément aux dispositions de l'art. 613-2 CPI, l'étendue de la protection conférée par le brevet est déterminée par les revendications. Toutefois, la description et les dessins servent à interpréter les revendications. Les différentes étapes du procédé ne sont pas mentionnées dans la revendication et n'entrent donc pas dans le champ de la protection du brevet et les différents modes de réalisation visés en page 3 du brevet ne décrivent pas des étapes du procédé qui en tout état de cause ne pourraient trouver protection du fait de leur absence dans la revendication ; seul le résultat de certains prélèvements sont divulgués dans la description.
Sur la notion de découverte (art. L 611-10 CPI), le Tribunal énonce qu'une simple découverte ne peut faire l'objet d'un brevet mais une application pratique peut donner lieu à la délivrance d'un brevet.
La société Aair Lichens prétend qu'avoir inventé un outil qui permet, à partir du phénomène naturel que constitue l'absorption des PCDD/F par les lichens de réaliser des mesures quantitatives de ces polluants et d'évaluer les retombées sur l'environnement, constitue bien une invention et non une découverte. Or, selon le Tribunal, telle qu'elle est rédigée, la revendication unique du brevet ne protège pas les étapes du procédé mais seulement l'affirmation que des mesures peuvent être faites pour évaluer les retombées sur l'environnement ce qui ne constitue pas une invention de procédé. Les moyens techniques de réaliser cette assertion pourraient être protégeables s'ils avaient été décrits et revendiqués en tant que tels. Les défendeurs font valoir que les résultats des études citées dans la description font partie intégrante du brevet car ils ont permis de "déterminer la valeur moyenne d'imprégnation atmosphérique". Le Tribunal relève encore que cette valeur moyenne n'est pas citée et encore moins revendiquée de sorte que le brevet tel qu'il a été délivré couvre non pas un procédé mais une découverte. Le brevet est déclaré nul.
2.2 Programmes d'ordinateur
GB – Royaume-Uni
Cour d'appel, 3 mai 2013 – HTC c. Apple [2013] EWCA Civ 451
Mot-clé : exclusions de la brevetabilité – programmes d'ordinateur
Le brevet européen 2 098 948 de la société Apple portait sur des dispositifs informatiques dotés d'écrans tactiles capables de réagir simultanément à plusieurs contacts tactiles. Les revendications 1 et 2 ont été déclarées nulles au motif qu'elles concernaient des programmes d'ordinateur en tant que tels. Apple a fait appel de la décision.
Lord Justice Kitchin a constaté que l'appel avait pour objet l'exclusion de la brevetabilité des programmes d'ordinateur, telle que prévue à l'art. 52(2)c) CBE, étant entendu que cette exclusion n'était valable que si le brevet portait sur ce type d'objet considéré en tant que tel, conformément à l'art. 52(3) CBE. Il a expliqué cela comme suit :
Dans l'affaire Aerotel Ltd c. Telco Holdings Ltd ; Macrossan's Patent Application [2006] EWCA Civ 1371, (voir la deuxième édition de "La jurisprudence des Etats parties à la CBE", 2004 – 2011, JO éd. spéc. 3/2011, p. 34), la Cour d'appel avait passé en revue plusieurs décisions des chambres de recours de l'OEB ainsi qu'un certain nombre de décisions antérieures de tribunaux britanniques et a défini une approche en quatre étapes pour traiter la question de l'exclusion :
i) interpréter correctement la revendication ;
ii) déterminer la contribution concrète (à l'état de la technique) ;
iii) se demander si la contribution entre uniquement dans la catégorie des objets exclus ;
iv) vérifier si la contribution réelle ou alléguée est bien de nature technique.
Les chambres de recours ont évoqué l'affaire Aerotel dans la décision T 154/04 et ont indiqué que cette approche était incompatible avec une interprétation de bonne foi de la CBE. Elles ont ensuite prescrit une approche désignée par la présente Cour comme approche "tout matériel", c'est-à-dire qui tient compte de toutes les caractéristiques de l'invention revendiquée aux fins de l'art. 52 CBE, mais uniquement des caractéristiques techniques pour apprécier l'activité inventive. D'autres décisions des chambres avaient suivi cette approche dans les grandes lignes.
Dans l'affaire Symbian c. Comptroller-General of Patents [2008] EWCA Civ 1066 (voir la deuxième édition de "La jurisprudence des Etats parties à la CBE", 2004 – 2011, JO éd. spéc. 3/2011, p. 37), la Cour avait expliqué que les approches adoptées dans l'affaire Aerotel et dans la décision T 154/05 étaient compatibles. Lord Justice Kitchin LJ a partagé ce point de vue. Selon l'approche Aerotel, une invention revendiquée dont l'unique contribution n'est pas de nature technique ou entre dans la catégorie des objets exclus, doit être rejetée en vertu de l'art. 52 CBE au regard des étapes iii) et iv) susvisées, tandis que, selon l'approche suivie dans la décision T 154/04, une telle invention doit être rejetée au titre de l'art. 56 CBE, car sa contribution ne doit pas être prise en compte pour apprécier l'activité inventive. Dans l'affaire Symbian, la Cour s'était demandé si les chambres s'étaient accordées sur une même approche et, dans l'affirmative, si elle n'était pas désormais tenue de suivre cette approche. Elle a décidé que tel n'était pas le cas. Lord Justice Kitchin a donc adopté l'approche suivie dans l'affaire Aerotel.
Comment dès lors déterminer si une invention a apporté une contribution à l'état de la technique ? L'affaire Symbian et la jurisprudence qui y est citée font ressortir les points suivants :
i) Il n'est pas possible de définir de règle claire pour déterminer si un programme est exclu ou non. Les décisions doivent être prises au cas par cas, compte tenu des faits de l'espèce et conformément aux orientations données dans l'affaire Merrill Lynch and Gale, ainsi que dans les décisions T 208/84, T 6/83 et T 115/85.
ii) Le fait que les améliorations soient apportées aux logiciels installés dans l'ordinateur plutôt qu'au matériel informatique constituant l'ordinateur ne fait aucune différence.
iii) Les exclusions sont cumulatives.
iv) Il est donc utile de se demander ce que l'invention apporte réellement à l'état de la technique en termes pratiques, au-delà de la question de savoir si elle concerne un programme d'ordinateur. Si l'unique contribution entre dans la catégorie des objets exclus, l'invention n'est pas brevetable.
v) Inversement, il est également utile d'examiner si l'invention peut être considérée comme résolvant un problème essentiellement technique, que ce problème se situe à l'intérieur ou à l'extérieur de l'ordinateur.
Dans l'affaire AT &T Knowledge Ventures LP's Patent Application [2009] EWHC 343 (Pat), le juge Lewison avait dégagé de la jurisprudence une série de critères utiles pour déterminer :
i) si l'effet technique revendiqué est produit sur un procédé mis en œuvre à l'extérieur de l'ordinateur ;
ii) si l'effet technique revendiqué est produit au niveau de l'architecture de l'ordinateur, autrement dit s'il ne dépend aucunement des données traitées ou des applications exécutées ;
iii) si l'effet technique revendiqué conduit à un nouveau mode de fonctionnement de l'ordinateur ;
iv) si l'ordinateur est rendu plus rapide ou plus fiable ;
v) si le problème perçu est résolu, et pas simplement contourné, par l'invention revendiquée.
Ces critères étaient certes utiles mais ne seraient pas déterminants dans tous les cas. En outre, dans la présente affaire, s'agissant de l'exclusion de la brevetabilité des programmes d'ordinateur en tant que tels, Lord Justice Lewison a fait observer qu'il utiliserait désormais comme quatrième critère la question plus restrictive de savoir si un programme améliore l'ordinateur en ce sens qu'il lui permet de fonctionner de manière plus efficace.
Selon Lord Justice Kitchin, le problème que le brevet cherchait à résoudre revêtait un caractère essentiellement technique (comment traiter plusieurs contacts tactiles simultanés sur l'un des nouveaux dispositifs tactiles multipoints). La solution permet au dispositif de fonctionner d'une manière nouvelle et améliorée. La solution est certes contenue dans le logiciel, mais une invention qui est brevetable conformément aux critères classiques de brevetabilité ne perd pas son caractère brevetable au simple motif qu'un programme d'ordinateur est utilisé pour la mettre en œuvre.
Pour tous ces motifs, Lord Justice Kitchin a considéré que l'invention apportait bien une contribution à l'état de la technique et que cette contribution n'entrait pas dans la catégorie des objets exclus.
GB – Royaume-Uni
Tribunal des brevets, 4 septembre 2013 – Lantana Ltd c. Comptroller General of Patents [2013] EWHC 2673 (Pat)
Mot-clé : exclusions de la brevetabilité – programmes d'ordinateur
La demande de brevet britannique concernait un système de récupération de données électroniques permettant d'accéder à un ordinateur à distance. La demande déposée par Lantana avait été rejetée au motif qu'elle portait sur un programme d'ordinateur en tant que tel, qui est un objet exclu de la brevetabilité en vertu de la section 1(2) Patents Act 1977. Dans son recours, Lantana a fait valoir que l'invention produisait des effets techniques, ce qui montrait bien que la contribution de l'invention était de nature technique et qu'elle se trouvait donc hors du champ d'exclusion.
Le juge Birss a rappelé que la Cour d'appel avait tout récemment examiné la législation en la matière dans son arrêt HTC Europe Co Ltd c. Apple Inc [2013] EWCA Civ 451 (voir résumé précédent), dans lequel Lord Justice Kitchin avait analysé la jurisprudence des autorités britanniques sur la question des programmes d'ordinateur en tant que tels (Aerotel Ltd c. Telco Holdings Ltd ; Macrossan's Patent Application [2006] EWCA Civ 1371 ; Symbian c. Comptroller-General of Patents [2008] EWCA Civ 1066, AT & T Knowledge Ventures LP's Patent Application [2009] EWHC 343 (Pat)), ainsi que la position de l'OEB. Lord Justice Kitchin avait estimé qu'il ne serait pas opportun d'abandonner l'approche en quatre étapes décrite dans la décision Aerotel.
L'avocat du requérant a attiré l'attention sur la référence à la décision T 6/83 contenue dans l'arrêt HTC c. Apple, dont voici les termes : "Ensuite, je pense qu'il serait utile d'examiner les faits de quelques-unes des affaires dans lesquelles un programme d'ordinateur a été jugé brevetable. Dans l'affaire T 6/83, l'invention consistait en une méthode de communication améliorée entre des programmes et des fichiers tenus par différents processeurs dans un réseau connu. Elle a été jugée brevetable. Dans l'affaire Symbian, le programme d'ordinateur considéré comme brevetable était un nouveau mode d'accès à des bibliothèques de liens dynamiques, ayant des applications potentielles sur divers appareils, tels que des appareils photos et des téléphones portables. Si ces inventions étaient brevetables, pourquoi la présente invention ne le serait-elle pas ?"
Dans son raisonnement, l'avocat du requérant s'est fondé avant tout sur cette décision de l'OEB, soulignant que la Cour d'appel y avait fait référence et s'était appuyé sur elle dans les affaires Symbian et Aerotel. Cependant, bien que le juge Birss ait considéré que la décision illustrait de manière probante ce qui pouvait être considéré comme une contribution technique, le fait qu'en 1988, dans cette affaire, une méthode de communication entre des programmes et des fichiers tenus par différents processeurs dans un réseau connu ait été jugé brevetable ne signifie pas pour autant que toute méthode de communication entre des programmes et des fichiers sur différents ordinateurs en réseau implique aujourd'hui nécessairement une contribution technique. Cette décision a montré que, dans certains cas, de telles méthodes étaient brevetables, mais elle n'a pas montré que la présente invention l'était également.
De même, le fait que la revendication soit nouvelle et inventive n'est pas déterminant pour savoir si elle satisfait aux conditions de l'art. 52 CBE ; le caractère nouveau et inventif d'une revendication ne soustrait pas la contribution du champ d'exclusion, ni ne confère un caractère “technique” à un effet ou à une contribution.
La revendication portait sur un logiciel fonctionnant sur des ordinateurs classiques connectés au sein d'un réseau classique et transférant des données d'un ordinateur à un autre par courrier électronique. Accéder à des ordinateurs à distance au moyen de connexions continues pouvait s'avérer problématique. Or, le logiciel revendiqué n'apportait pas de solution technique à ce type de problèmes, il permettait seulement de les éviter en utilisant une technique classique. La revendication était nouvelle et inventive, mais le demandeur n'était pas en mesure de mettre en évidence une quelconque contribution présentant un caractère technique. La revendication portait sur un objet exclu de la brevetabilité et était contraire à la s.1(2) Patents Act 1977 et à l'art. 52 CBE. Le recours a été rejeté.
Note de la rédaction : ce jugement a été confirmé par une décision de la Cour d'appel, voir Lantana Ltd c. Comptroller General of Patents [2014] EWCA (Civ) 1463, dans laquelle la décision HTC c. Apple (voir supra) a aussi été mentionnée et approuvée.
B. Exceptions à la brevetabilité
1. Atteintes à l'ordre public et aux bonnes mœurs
DE – Allemagne
Cour fédérale de justice, 27 novembre 2012 (X ZR 58/07) – Cellules précurseurs neurales II
Mot-clé : brevetabilité – exceptions – ordre public ou bonnes mœurs – cellules souches
Le litige concernait la protection par brevet de cellules obtenues à partir de cellules souches humaines. Le Tribunal fédéral des brevets (BPatG) avait fait droit pour l'essentiel à l'action en nullité (voir la deuxième édition de "La jurisprudence des Etats parties à la CBE", 2004 – 2011, JO éd. spéc. 3/2011, p. 41) et déclaré nul le brevet en vertu du § 2(2) de la loi sur les brevets et de l'art. 6 de la directive 98/44/CE pour autant qu'il portait sur des cellules obtenues à partir de cellules souches embryonnaires extraites d'embryons humains.
La Cour fédérale de justice a demandé à la Cour de justice de l'Union européenne (CJUE) de se prononcer au préalable sur l'interprétation de l'art. 6 de la directive. Dans une décision en date du 18 octobre 2011 (C-34/10), la CJUE a notamment estimé qu'au sens de cette directive, tout ovule humain constituait un "embryon humain" à partir du moment où celui-ci était fécondé, que l'exclusion de la brevetabilité concernait également l'utilisation d'embryons humains à des fins de recherche scientifique et qu'une invention devait être exclue de la protection par brevet conformément à l'art. 6 de cette directive également lorsque la description de l'enseignement technique revendiqué ne faisait certes pas référence à l'utilisation d'embryons humains, mais que l'enseignement technique faisant l'objet de la demande de brevet nécessitait la destruction préalable d'embryons humains ou l'utilisation de ces derniers comme matière de départ.
La Cour fédérale de justice a énoncé que la protection par brevet sans restriction de cellules précurseurs obtenues à partir de cellules souches embryonnaires humaines était exclue en vertu du § 2(2) 3e alinéa, 1ère phrase, de la loi sur les brevets si le fascicule de brevet prévoit l'utilisation comme matière de départ de lignes de cellules souches et de cellules souches extraites d'embryons humains.
Elle a estimé que le brevet tel que délivré n'était pas valable eu égard à la décision de la CJUE, car si tel était le cas, cela pourrait suggérer que, contrairement au § 2 de la loi sur les brevets, l'obtention de cellules souches embryonnaires humaines à partir d'embryons, telle que mentionnée à plusieurs reprises dans la description, peut être brevetée et ainsi autorisée par l'État.
Le texte limité, déposé à titre de requête subsidiaire, selon lequel il ne serait utilisé aucune cellule souche embryonnaire humaine dont l'obtention impliquerait la destruction d'embryons, n'était en revanche pas exclu de la brevetabilité. La Cour fédérale de justice a considéré comme suffisant le fait qu'il existe des méthodes permettant d'obtenir des cellules souches embryonnaires humaines sans destruction d'embryons.
La Cour a estimé que l'utilisation de cellules souches embryonnaires humaines en tant que telles ne constituait pas une utilisation d'embryons au sens de ladite directive, et que les cellules souches humaines obtenues sans destruction d'embryons ne sauraient donc être considérées comme des embryons au sens du § 2(2) 3e alinéa de la loi sur les brevets, puisqu'elles permettent éventuellement, une fois combinées à d'autres cellules, d'obtenir des embryons capables de se développer.
GB – Royaume-Uni
Tribunal des brevets, 17 avril 2013 – International Stem Cell Corporation c. Comptroller General of Patents [2013] EWHC 807 (Ch)
Mot-clé : exclusion de la brevetabilité – inventions biotechnologiques – renvoi préjudiciel devant la CJUE
L'appel concernait deux demandes de brevet déposées au nom de la société ISCC qui portaient toutes deux sur des cellules souches humaines. Les demandes avaient été rejetées parce que les inventions étaient considérées comme étant exclues de la brevetabilité au titre du paragraphe 3d) de l'annexe A2 Patents Act 1977.
L'appel soulevait la question de savoir quelle était la signification du terme "embryons humains" figurant à l'art. 6(2)c) de la directive 98/44/CE (directive "Biotechnologie") ? Il convenait de déterminer en particulier ce que la CJUE entendait dans l'affaire C-34/10 Oliver Brüstle c. Greenpeace eV [2012] 1 CMLR 41 par l'expression "de nature à déclencher le processus de développement d'un être humain" ? Désignait-elle le déclenchement d'un processus nécessairement susceptible de produire un être humain ou le déclenchement d'un processus de développement, même si l'on savait qu'il ne pourrait être mené à terme et donc aboutir à un être humain ?
Le juge a décidé qu'il était nécessaire de saisir la CJUE. La directive "Biotechnologie" a pour ambition d'harmoniser les lois nationales sur les brevets en matière d'inventions biotechnologiques. Son préambule fait ressortir deux considérations politiques concurrentes qui préconisent d'une part d'encourager par le système des brevets la recherche dans le domaine des biotechnologies, et, d'autre part, d'appliquer le droit des brevets dans le respect des principes fondamentaux garantissant la dignité et l'intégrité de l'Homme, conformément au principe selon lequel le corps humain, dans toutes les phases de sa constitution et de son développement n'est pas brevetable. La directive "Biotechnologie" doit être interprétée de manière à concilier ces considérations politiques concurrentes.
Si l'avocat-général avait clairement indiqué que la ligne de démarcation résidait dans la distinction entre cellules totipotentes et cellules pluripotentes, la CJUE ne semblait pas suivre ce raisonnement. A la différence de l'avocat-général, cette dernière n'avait pas introduit dans sa décision de condition relative à la nature des parthénotes, même si elle avait manifestement à l'esprit la distinction entre les deux types de cellules précitées.
Le conseiller-auditeur (UKIPO hearing officer) a défini le contexte factuel comme suit :
i) A l'instar des cellules provenant d'un blastocyste, et à la différence des cellules issues d'un ovule fécondé, les cellules provenant d'un parthénote sont à tous les stades exclusivement pluripotentes ;
ii) Un parthénote contient uniquement de l'ADN maternel et ne peut jamais se développer en un être humain viable ;
iii) Une conséquence de l'empreinte génomique est que certains gènes qui sont indispensables au développement jusqu'à terme sont réprimés dans les parthénotes, alors que d'autres gènes qui seraient réprimés normalement peuvent être anormalement exprimés.
Le contexte factuel était donc différent de celui dans lequel la CJUE avait été amené à statuer sur l'affaire Brüstle. En particulier, le phénomène de l'empreinte génomique a pour effet qu'à la différence d'un ovule fécondé, un parthénote ne contient aucune cellule totipotente, et ce dès les premières divisions cellulaires après l'activation. Au regard de l'état actuel des connaissances dans le domaine, et malgré les similitudes superficielles au début du développement, mises en évidence dans les observations du Royaume-Uni et dans le cadre du renvoi de la Bundesgerichthof, un parthénote n'est à aucun stade identique à un ovule fécondé.
Le renvoi préjudiciel était justifié en l'espèce car il y avait suffisamment de doutes quant à la signification précise du jugement prononcé dans l'affaire Brüstle et sur la question de savoir si la CJUE serait parvenue à la même conclusion relative aux parthénotes compte tenu de l'état actuel des faits.
Le juge a indiqué qu'il partageait l'avis d'ISCC selon lequel il n'y a pas lieu d'exclure de la brevetabilité à titre "d'embryon humain" un processus de développement qui n'est pas en mesure de produire un être humain, comme l'a établi le conseiller-auditeur (UKIPO hearing officer) en ce qui concerne les parthénotes. Il a estimé, comme l'avocat-général dans l'affaire Brüstle, que les cellules totipotentes doivent être exclues de la brevetabilité, mais pas les cellules pluripotentes.
Les cellules souches offrent la possibilité de révolutionner le traitement des maladies chez l'homme. La directive "Biotechnologie", ainsi qu'il ressort de ses considérants, a en partie pour finalité d'encourager, par le système des brevets, la recherche dans le domaine des biotechnologies. Il est possible d'établir un équilibre entre cet objectif et le respect nécessaire des principes fondamentaux garantissant la dignité et l'intégrité de l'Homme en excluant de la brevetabilité les processus de développement qui sont susceptibles de produire un être humain. En revanche, aucun équilibre ne saurait être atteint en excluant les processus de développement qui ne sont pas susceptibles de produire un être humain.
La question suivante a dès lors été soumise à la CJUE : "Les ovules humains non fécondés qui, par voie de parthénogenèse, ont été induits à se diviser et à se développer, et qui, à la différence des ovules fécondés, contiennent uniquement des cellules pluripotentes et ne sont pas en mesure de se développer en êtres humains, sont-ils visés par l'expression "embryons humains" à l'art. 6, paragraphe 2, sous c), de la directive 98/44/CE relative à la protection juridique des inventions biotechnologiques ?"
Note de la rédaction : Dans l'affaire C-364/13 la Cour a dit pour droit : L'art. 6, paragraphe 2, sous c), de la directive 98/44/CE du Parlement européen et du Conseil, du 6 juillet 1998, relative à la protection juridique des inventions biotechnologiques, doit être interprété en ce sens qu'un ovule humain non fécondé qui, par voie de parthénogenèse, a été induit à se diviser et à se développer ne constitue pas un «embryon humain», au sens de cette disposition, si, à la lumière des connaissances actuelles de la science, il ne dispose pas, en tant que tel, de la capacité intrinsèque de se développer en un être humain, ce qu'il appartient à la juridiction nationale de vérifier.
2. Inventions biologiques
NL – Pays-Bas
Tribunal de grande instance de La Haye, 8 mai 2013 – Taste of Nature Holding B.V. c. Cresco Handels-B.V
Mot-clé : brevetabilité – procédé essentiellement biologique – revendications de produits caractérisés par leur procédé d'obtention qui portent sur des végétaux
Taste of Nature et Cresco déploient toutes deux leurs activités dans la production et la commercialisation de pousses. Taste of Nature est titulaire du brevet européen 1 290 938 portant sur une plante de Raphanus sativa (jeune plant de radis) caractérisée par des taux élevés d'anthocyanine et obtenue par sélection et croisement. Taste of Nature a engagé une procédure sommaire contre Cresco, alléguant une contrefaçon. Dans une demande reconventionnelle, Cresco a fait valoir que le brevet était entre autres entaché de nullité, au motif qu'il tombait sous le coup des exceptions à la brevetabilité prévues à l'art. 53b) CBE, étant donné que la plante est produite par un procédé essentiellement biologique. Le 31 janvier 2012, les revendications de Taste of Nature ont été rejetées dans le cadre d'une procédure sommaire, le juge estimant que le brevet tombait sous le coup de l'art. 53b) CBE. Ce dernier a déclaré qu'il était plausible que l'art. 53b) CBE exclue de la brevetabilité non seulement tout procédé essentiellement biologique, comme la "sélection classique" dans ce cas d'espèce, mais également tout produit directement obtenu par un tel procédé.
Le Tribunal de grande instance, statuant sur le fond, a émis un avis différent et il a décidé de ne pas suspendre la procédure dans l'attente de la décision G 2/12 (JO 2012, 126) relative aux revendications de produits caractérisés par leur procédé d'obtention qui portent sur des végétaux, au motif que les parties avaient demandé expressément une décision rapide.
Le tribunal a jugé que la plante revendiquée dans la revendication 1 (et ses 4 revendications dépendantes) ne tombe pas sous le coup de l'exception prévue à l'art. 53b) CBE.
Le tribunal a estimé que l'art. 53b) CBE fait référence seulement à des "procédés". Or, l'invention telle que revendiquée dans la revendication 1 porte sur une plante, c'est-à-dire un produit. Que la définition de la plante revendiquée se fonde en partie sur le procédé d'obtention ne change rien à ce fait. Étant donné que la CBE en général et l'art. 53b) CBE en particulier établissent une distinction claire entre "procédés" et "produits", on peut déduire que les rédacteurs de la Convention, qui ont utilisé le terme "procédé", ont délibérément choisi de ne pas inclure les produits dans le champ d'application de cette partie de l'art. 53b) CBE.
Le tribunal a également jugé que l'octroi d'une protection par brevet pour des végétaux pouvant être obtenus par des procédés essentiellement biologiques n'affecterait pas la portée de l'exception relative aux procédés essentiellement biologiques. Cresco a fait valoir que le demandeur d'un brevet pourrait facilement contourner l'exception en changeant une revendication portant sur un procédé en une revendication portant sur un produit caractérisé par son procédé d'obtention. Cependant, le tribunal a estimé que cet argument ne tenait pas compte du fait que les critères de délivrance d'un brevet portant sur un procédé de sélection sont différents de ceux d'un brevet pour une plante, contenant des revendications de produits caractérisés par leur procédé d'obtention. Celui-ci porte sur un produit et ne peut donc être délivré que si la plante est nouvelle et inventive. Que le procédé d'obtention de la plante soit nouveau et inventif n'est pas suffisant. Un inventeur qui n'a fait que développer une variante nouvelle et inventive d'un procédé essentiellement biologique ne peut donc pas échapper à l'exception en revendiquant son invention dans une revendication portant sur un produit caractérisé par son procédé d'obtention. En d'autres termes, l'inventeur d'une variante nouvelle et inventive d'un procédé essentiellement biologique ne peut échapper à l'exception qu'à la condition de réaliser une invention différente qui est brevetable, et de déposer une demande de brevet portant sur une telle invention. L'exception ne s'en trouve pas vidée de sa substance.
C. Nouveauté
1. Etat de la technique
AT – Autriche
Division des recours de l'Office autrichien des brevets, 22 novembre 2012 (B 1/2011)
Mot-clé : état de la technique – publication en ligne – date de publication
Dans l'affaire, l'intimé estimait que les publications sur Internet faisaient partie de l'état de la technique, puisqu'elles avaient été accessibles au public avant la date de priorité, comme l'attestait l'impression d'une page du site http://archive.org. Le requérant affirmait au contraire que les publications sur Internet n'avaient pas été publiées avant la date de priorité.
Selon la division des recours de l'Office autrichien des brevets, les divulgations sur Internet font partie en principe de l'état de la technique conformément au paragraphe 3(1) de la loi autrichienne sur les brevets. Toutefois, en raison de la volatilité des contenus publiés sur Internet, il convient de prouver non seulement que la publication a bien existé à une date antérieure à la date de dépôt, mais aussi que cette publication avait exactement le contenu prétendu.
Contrairement aux informations publiées sous forme imprimée, on ne peut en règle générale dater avec précision et de manière certaine des informations diffusées sous forme électronique. Il est quasiment impossible de déterminer avec un degré de certitude suffisant la date à laquelle une information a été publiée sur Internet. Les archives Internet peuvent uniquement indiquer que certaines informations étaient accessibles au public en ligne à une date donnée, et qu'il peut être utile de poursuivre la recherche de preuves concrètes. L'impression d'une page Internet à partir de ces archives, même accompagnée d'une confirmation du gestionnaire des archives selon laquelle le contenu de cette page est conforme à la base de données actuelles des archives, ne constitue pas une preuve suffisante. De telles informations à elles seules ne sont donc guère appropriées pour contester la nouveauté. En tout état de cause, les preuves de l'existence d'une antériorité doivent satisfaire à des critères stricts. La division des recours a donc conclu que dans l'affaire en cause, il n'était pas prouvé que la page Internet comportant le contenu mentionné était effectivement accessible au public à la date indiquée.
AT – Autriche
Chambre suprême des brevets et des marques, 8 mai 2013 (OBp 2/13)
Mot-clé : état de la technique – usage antérieur public – obligation implicite de confidentialité
Le brevet litigieux concernait un dispositif de sécurité destiné à protéger des éléments à vis contre tout dévissage involontaire. En vue de rendre sa décision, la Chambre suprême des brevets et des marques devait notamment établir si le compte rendu d'une réunion entre plusieurs entreprises devait être considéré comme publié et donc comme faisant partie de l'état de la technique. Parmi les entreprises participant à la réunion se trouvaient une société commerciale (juridiquement indépendante), à savoir celle des opposants ayant formé le recours, ainsi qu'un acheteur potentiel (juridiquement indépendant).
La Chambre suprême des brevets et des marques a énoncé qu'un usage antérieur public était à exclure dès lors qu'il existait une obligation de confidentialité entre des parties ayant connaissance de certaines informations. Pour cela, il suffisait que l'on puisse sérieusement conclure, compte tenu des circonstances réelles du cas d'espèce, que cette obligation de confidentialité avait été véritablement souhaitée même en l'absence de toute convention expresse (BPatG 11 W 317/04; BPatG 4 Ni 40/06).
Les entreprises représentées à la réunion entretenaient déjà des relations commerciales. Cette réunion visait à assurer le suivi de ces relations. Il était dans l'intérêt de l'entreprise commerciale des opposants que la marche à suivre évoquée au cours de la réunion soit tenue secrète. L'acheteur potentiel du produit et le représentant commercial indépendant – qui était lié par un contrat à l'entreprise commerciale – devaient être conscients de l'importance de cette obligation de confidentialité. Le but de la réunion était de développer une stratégie qui soit dans l'intérêt de toutes les parties et qui permette de fabriquer un produit prometteur, sans les inconvénients évoqués au cours des discussions. Dans ces circonstances, l'opposant et son entreprise commerciale étaient en droit d'attendre la plus grande discrétion aussi bien de la part du représentant commercial indépendant que de l'acheteur potentiel. Cela était conforme à la note en bas de page du compte rendu qui appelait à la vigilance requise et qui indiquait que "ce document" devait "sur la forme comme sur le fond bénéficier de la protection prévue par les dispositions légales".
En conclusion, la Chambre suprême des brevets et des marques a rejeté le recours des opposants et confirmé le maintien du brevet.
BE – Belgique
Tribunal de commerce de Mons, 3 novembre 2011 (réf A/10/792) – Sté Valéo c. Sté Lexmond Trading
Mot-clé : nouveauté – charge de la preuve – allégations générales – sursis à statuer
Dans cette affaire la société Lexmond asserte un manque de nouveauté et d'activité inventive. Elle relève que les techniques faisant l'objet des brevets existaient précédemment et étaient décrites dans de très nombreux brevets antérieurs. Puisqu'elle invoque la nullité d'un brevet, Lexmond supporte la charge de la preuve de l'absence des conditions de brevetabilité. Or, le Tribunal constate à ce sujet que Lexmond fait une lecture générale et imprécise des deux brevets litigieux et gomme totalement leur spécificité.
La revendication n° 1 du brevet européen 1 260 409 porte non pas sur un dispositif de réglage du faisceau par pivotement du réflecteur (dispositif effectivement connu de l'art antérieur) mais sur un tel dispositif caractérisé en ce que la source lumineuse est montée fixe dans le boîtier et que l'axe de basculement du réflecteur passe au voisinage de la source. Il ne suffit donc pas, pour justifier une demande d'annulation du brevet, de démontrer que des procédés de réglage du faisceau par basculement du réflecteur existaient antérieurement. Pareillement, la revendication n° 1 du brevet européen 1 055 556 ne porte pas seulement sur un mécanisme de réglage de la position du réflecteur par une vis filetée (également connu de l'art antérieur) mais sur un tel dispositif garantissant un contact élastique entre la vis et la roue dentée avec laquelle la vis coopère.
Les photographies produites par Lexmond de phares fabriqués antérieurement aux dates de priorité des brevets n'apportent aucun élément précis à ce sujet. Enfin, il ne suffit pas d'affirmer que les brevets antérieurs poursuivaient la même finalité, à savoir le réglage des phares. Un brevet porte sur une technique et non sur un résultat.
La nouveauté doit être "compacte", c'est-à-dire que l'antériorité doit contenir toutes les caractéristiques des revendications du brevet contesté. Il ne peut être question de combiner différents documents pour aboutir à la conclusion qu'un brevet n'est pas nouveau.
Sur la demande au Tribunal de réserver à statuer dans l'attente de l'issue des procédures d'opposition devant l'OEB, le Tribunal énonce que l'existence de procédures d'opposition devant l'OEB ne doit pas automatiquement amener un tribunal national à réserver à statuer sur les actions en contrefaçon introduites devant lui. Une surséance systématique chaque fois qu'une opposition existe, même peu sérieuse, risquerait de porter préjudice aux droits des titulaires des brevets, en les privant de protection. Dans le cas présent, étant donné l'absence d'éléments sérieux donnant à penser que ces procédures d'opposition pourraient aboutir à l'annulation des brevets, le Tribunal estime qu'il n'y a pas lieu à réserver à statuer.
DE – Allemagne
Cour fédérale de justice, 15 octobre 2013 (X ZR 41/11) – Dispositif de visualisation d'images
Mot-clé : nouveauté – état de la technique
Le brevet litigieux portait sur un système informatique qui était présenté dans la description comme un dispositif de visualisation d'images et qui se composait d'un ordinateur, d'une unité d'affichage (écran de visualisation, moniteur) et d'une unité d'entrée (clavier).
La Cour fédérale de justice a estimé que l'objet du brevet litigieux n'était pas brevetable (§ 22(1) et § 21(1), 1er alinéa de la Loi allemande relative aux brevets d'invention). L'objet essentiel de la revendication du brevet tel que délivré n'était pas nouveau puisqu'il faisait partie de l'état de la technique à la date de priorité. En effet, si, comme c'est le cas en l'espèce, une personne faisant l'acquisition d'un dispositif se voyait remettre un manuel en guise de document d'accompagnement, le fait que le vendeur ait souhaité n'autoriser l'utilisation des informations techniques contenues dans ce manuel que dans un but précis et en ait interdit la reproduction à d'autres fins, ne signifie pas que ces informations n'aient pas été accessibles au public (dans le prolongement de l'arrêt Électronique de mesure pour débitmètre à effet Coriolis de la Cour fédérale de justice du 15 janvier 2013).
L'unité d'affichage revendiquée dans le brevet a été décrite de manière exhaustive dans le manuel qui a été remis à l'acheteur. Ce manuel contenait notamment des instructions et des indications sur la manière de connecter un moniteur à un ordinateur via une interface de telle sorte que ce moniteur ne nécessite plus aucune configuration manuelle et puisse désormais être commandé par le biais de l'ordinateur. Le schéma fonctionnel de l'interface permettait de déduire qu'un échange de données avait lieu dans les deux sens entre l'ordinateur et le moniteur via cette interface. Par conséquent, la Cour fédérale de justice a considéré que le manuel en question divulguait des caractéristiques essentielles du brevet litigieux.
De même, la mention sur la page de garde dudit manuel indiquant que les informations contenues dans ce dernier étaient la "propriété" du titulaire du brevet et qu'elles étaient destinées exclusivement au développement de logiciels dotés d'une interface avec le moniteur ne permettait pas d'aboutir à une autre conclusion. En outre, l'interdiction de reproduire ce manuel ou de l'utiliser à d'autres fins sans autorisation écrite ne permettait pas non plus de conclure à une obligation de confidentialité. L'enseignement technique de la revendication en cause avait donc été rendu accessible au public par le biais du manuel.
GB – Royaume-Uni
Tribunal des brevets, 22 juillet 2014 AgaMedical Corporation c. Occlutech (UK) Ltd [2014] EWHC 2506 (Pat)
Mot-clé : nouveauté – divulgation destructrice de nouveauté – usage antérieur – obligation de confidentialité
Le brevet européen (UK) 0 957 773 détenu par la société AGA portait sur un dispositif médical destiné à créer une occlusion d'une ouverture anormale dans une paroi septale cardiaque, parfois dénommée "trou dans le cœur". Occlutech a allégué la nullité au motif que le titulaire du brevet avait antériorisé lui-même son invention en la divulguant antérieurement à des médecins de l'hôpital où avaient été effectués les premiers essais cliniques concernant le nouveau dispositif.
Dans ce contexte, il était nécessaire que la cour examine si, du fait de cette divulgation, les médecins ayant pratiqué les interventions chirurgicales étaient liés par une obligation de confidentialité, puisqu'une divulgation ne fait partie de l'état de la technique que si elle a été rendue accessible au public ; à cette fin, elle doit avoir été rendue accessible à au moins une personne qui est libre de l'utiliser, selon les principes du droit et de l'equity (Terrell on the Law of Patents, 17e édition, 2011, points 11 à 14).
Cette question a été débattue et tranchée sur la base du droit anglais. Ainsi, dans l'affaire A-G c. Guardian Newspapers (No 2) [1990] 1 AC 109, Lord Goff a énoncé le principe selon lequel une personne est liée par un devoir de discrétion lorsque des informations confidentielles viennent à sa connaissance... dans des circonstances où elle est avisée du caractère confidentiel de ces informations, ou est réputée avoir admis qu'elles étaient confidentielles, si bien que, quelles que soient les circonstances, il lui serait impossible de les divulguer à d'autres". Selon Lord Nicholls dans l'affaire Campbell c. Mirror Group Newspapers [2004] UKHL 22, "... le droit impose un "devoir de discrétion" lorsqu'une personne reçoit des informations dont elle sait – ou devrait savoir – qu'elles doivent, raisonablement et pour des raisons d'équité, être considérées comme confidentielles". Les circonstances dans lesquelles une obligation de confidentialité est imposée ont été expliquées dans l'affaire Coco c. AN Clark (Engineers) Ltd [1969] RPC 41 : "... si les circonstances sont telles que toute personne raisonnable recevant des informations comprend que, selon toute vraisemblance, ces informations lui ont été communiquées sous le sceau du secret, cela devrait suffire pour qu'elle soit tenue à une obligation de confidentialité, conformément aux principes de l'équité."
Les dispositifs étaient fournis gratuitement à l'hôpital. Rien ne suggérait que le Professeur M. ou le Docteur G. étaient soumis à une obligation expresse de discrétion. AGA ne leur a pas demandé de s'engager par écrit à respecter la confidentialité des informations concernées ou à ne pas les divulguer. La question qui se posait était de savoir s'ils étaient assujettis à un devoir de discrétion conformément aux principes de l'équité. AGA avait fait valoir qu'une telle obligation découlait du fait qu'il s'agissait d'un essai clinique concernant de nouveaux dispositifs médicaux.
Le juge Roth a estimé que la présomption de confidentialité ne résulte pas simplement du fait qu'il s'agissait d'un essai clinique (cf. Terrell, loc. cit. ; Gurry on Breach of Confidence, 2e édition, 2012, chapitre 7). Tout dépendait des faits. Les deux médecins ont clairement affirmé que l'on ne leur avait jamais indiqué ou donné l'impression que les détails des dispositifs devaient rester confidentiels. Le Docteur A., qui était l'inventeur, avait discuté avec eux du dispositif et de l'intervention chirurgicale, mais n'avait rien dit au sujet de la confidentialité. Par la suite, le Professeur M. avait parlé du dispositif à d'autres médecins de l'hôpital lors de réunions d'information, et avait également discuté du dispositif et de la réussite des essais cliniques dans le cadre d'une présentation devant un public plus large de praticiens, à l'occasion d'un congrès pédiatrique. Le juge Roth a souligné que la divulgation invoquée par Occlutech n'était pas celle faite par le Professeur M. à d'autres médecins, mais celle faite au Professeur M. lui-même. La divulgation plus large dont le Professeur M. était à l'origine entrait en ligne de compte pour établir si celui-ci était soumis à un devoir de discrétion en vertu des principes de l'équité, au point que, si tel était le cas, sa présentation lors du congrès aurait constitué un manquement à un tel devoir. Le juge a estimé que le Professeur M. n'aurait jamais voulu trahir un secret que le Docteur A. lui avait confié. Cela démontrait qu'il ne se considérait pas lié par un devoir de discrétion.
En l'occurrence, le Professeur M. ne se lançait pas dans un projet commercial avec AGA ou avec le Docteur A. Le dispositif était, selon les propres termes du Professeur M., "révolutionnaire" ; il était donc naturel qu'il ait voulu parler de ce dispositif et des essais couronnés de succès à un public de praticiens plus étendu. Le Professeur M. pouvait raisonnablement supposer que si les détails avaient dû rester confidentiels, le Docteur A. aurait préalablement évoqué le sujet avec lui. Compte tenu de l'ensemble de ces circonstances, le juge n'a pas considéré que le Professeur M. aurait dû savoir, au seul motif qu'il s'agissait du premier essai clinique, que celui-ci devait, conformément à l'équité et à la raison, être considéré comme confidentiel.
2. Inventions dans le domaine de la chimie
FR – France
Cour de cassation, 29 novembre 2011 [10-24786] – Sté Negma c. Sté Biogaran
Mot-clé : nouveauté – "nouveau" degré de pureté
La société N faisait grief à l'arrêt de la cour d'appel de Paris du 30 juin 2010 d'avoir confirmé le jugement qui avait déclaré la revendication 14 du brevet européen 0 520 414 – concernant le produit pharmaceutique en cause – nulle pour défaut de nouveauté.
La société N soutenait entre autres qu'une antériorité opposée à un brevet ne peut être retenue que pour ce qu'elle décrit ; si les juges peuvent se référer à l'exemple de mode de réalisation de l'invention donné par la partie descriptive du brevet opposé à titre d'antériorité, ils ne peuvent retenir, considérant qu'il ne s'agit que d'un exemple, la possibilité d'autres modes de réalisation de l'invention non décrits pour apprécier l'existence de l'antériorité. La société N soutenait également que la nouveauté d'une composition pharmaceutique peut résider dans le degré de pureté particulier de cette composition si ce degré de pureté apporte un élément nouveau à l'état de la technique en fonction du contexte particulier. La société N, au regard des art. L. 614-12 CPI, ensemble les art. 52, 54 et 138 CBE, fait grief à la cour d'appel d'avoir jugé que la substance diacétylrhéine présentée dans la revendication du brevet européen 0 520 414 a une composition et des vertus thérapeutiques déjà connues et qu'un produit n'acquiert pas la nouveauté simplement du fait qu'il est préparé sous une forme plus pure.
La Cour de cassation saisie de ce pourvoi contre l'arrêt de la cour d'appel confirme l'arrêt. Elle juge en effet que la revendication 14 du brevet européen 0 520 414 "Produit pharmaceutique contenant de la diacétylrhéine qui comporte moins de 20 ppm de constituants de type aloémodine avec des supports et produits auxiliaires pharmaceutiques classiques" est antériorisée de toutes pièces par un brevet américain qui divulgue le composé dans tous les degrés de pureté, l'aloémodine ne constituant qu'une impureté ne faisant pas partie de la structure chimique du composé déjà divulguée et a pour finalité le composé pharmaceutique antériorisé aussi pur que possible.
3. Nouveauté de l'utilisation – Article 54(5) CBE
DE – Allemagne
Cour fédérale de justice, 24 septembre 2013 (X ZR 40/12) – Acides gras
Mot-clé : deuxième indication médicale – posologie
Le brevet litigieux concernait l'utilisation d'acides gras essentiels pour la fabrication d'un médicament destiné au traitement de patients ayant subi un infarctus du myocarde. Il revendiquait l'utilisation d'acides gras essentiels pour la préparation d'un médicament selon une posologie déterminée.
La Cour fédérale de justice a confirmé que la posologie indiquée dans la revendication 1 devait être prise en compte lors de l'appréciation de la brevetabilité. Dans une décision antérieure, la Cour avait estimé qu'une protection par brevet n'était pas envisageable pour de simples recommandations posologiques dénuées de tout rapport avec la préparation de la substance active. (Cour fédérale de justice du 19 décembre 2006 – Carvedilol II). Cette décision avait pour objet un brevet qui revendiquait notamment l'administration d'un médicament selon une posologie déterminée. Dans cette décision, la Cour fédérale de justice avait considéré comme admissible une revendication qui prévoyait au lieu de cela la préparation du médicament en vue de son utilisation selon cette posologie. Les revendications à apprécier dans l'affaire en cause remplissaient les conditions de la décision Carvedilol II.
La Cour a estimé toutefois que l'objet de la revendication 1 telle qu'elle figurait dans la décision attaquée n'était pas brevetable. Une étude clinique publiée antérieurement et portant sur l'administration d'huile de poisson à des patients ayant subi un infarctus avait, contrairement à l'avis du Tribunal des brevets, amené l'homme du métier à envisager l'utilisation protégée par la revendication 1. Le fait que les liens biologiques avec les effets observés n'aient pas été exposés de manière détaillée dans cette étude était sans importance pour l'appréciation de la brevetabilité. La découverte ultérieure de tels liens pourrait certes avoir une valeur considérable sur le plan scientifique. Toutefois, la description d'une telle découverte ne divulguerait aucun enseignement technique nouveau dans la mesure où la substance active administrée, l'indication médicale, la posologie et tout autre mode d'utilisation de ladite substance correspondaient à une application déjà décrite d'une substance active destinée au traitement d'une maladie (Cour fédérale de justice du 9 juin 2011 – Mémantine).
DE – Allemagne
Cour fédérale de justice, 25 février 2014 (X ZB 5/13) – Collagénase I
Mot-clé : autre indication médicale – instruction thérapeutique – activité inventive – répertoire médical standard
L'invention concernait l'utilisation de la collagénase, une enzyme connue pour le traitement de la maladie de Dupuytren. Le brevet se distinguait de l'état de la technique (uniquement) par l'instruction thérapeutique qui prévoyait, immédiatement après injection de la substance, la mise au repos pendant plusieurs heures des parties du corps concernées (caractéristique 4 de la revendication 1). Le Tribunal fédéral des brevets avait refusé de prendre en considération la caractéristique 4 pour trancher la question de la brevetabilité et avait en outre conclu à l'absence d'activité inventive – même s'il avait été tenu compte de la caractéristique 4.
La Cour fédérale de justice a estimé que la caractéristique 4 devait être prise en considération lors de l'examen de la brevetabilité de l'objet de la demande. Une protection par brevet peut en tout état de cause être envisagée lorsque la revendication porte sur la préparation d'un médicament destiné à être utilisé selon la posologie indiquée. (Cour fédérale de justice du 19 décembre 2006 – Carvedilol II ; Cour fédérale de justice du 24 septembre 2013 – Acides gras). Une revendication ayant trait à une nouvelle utilisation d'un médicament a pour objet l'aptitude d'une substance connue à être employée à une fin médicale donnée, et donc en fin de compte, une propriété inhérente à cette substance (Cour fédérale de justice du 5 octobre 2005 – Modèle d'utilité pour les médicaments). La protection ainsi conférée correspond à celle accordée à une substance limitée à une utilisation spécifique, telle que celle désormais explicitement prévue également pour d'autres indications par le § 3(4) de la loi sur les brevets, et par l'art. 54(5) CBE, et ce, indépendamment de la question de savoir si la revendication porte, selon son libellé, sur l'utilisation du médicament, sur la préparation de celui-ci en vue d'une utilisation déterminée ou explicitement sur la protection d'une substance limitée à une utilisation spécifique.
Selon la Cour fédérale de justice, il ne saurait en être autrement pour toute indication concernant non pas la posologie mais toute autre mode d'utilisation revendiqué.
La Grande Chambre de recours de l'OEB a énoncé qu'une utilisation spécifique au sens de l'art. 54(5) CBE, dans sa version en vigueur depuis le 13 décembre 2007, ne devait pas nécessairement résider dans le traitement d'une autre maladie (G 2/08). Selon la pratique décisionnelle de l'Office européen des brevets, la protection par brevet ne se limite pas à des utilisations destinées au traitement d'une autre maladie ou à des applications selon une autre posologie. Il suffit plutôt que l'utilisation revendiquée se distingue des utilisations connues de l'état de la technique – c'est-à-dire qu'elle soit nouvelle – et qu'elle implique une activité inventive.
Il en va de même dans le droit allemand des brevets. Toute limitation à certains aspects de l'utilisation, comme la posologie, est exclue en vertu des dispositions précitées, et ne serait du reste pas conforme au sens et à la finalité de ces dispositions.
L'utilisation spécifique d'une substance à une fin thérapeutique n'est pas seulement déterminée par la maladie à traiter et par la posologie à suivre, elle est également fonction d'autres paramètres (tels que le mode d'administration, la consistance de la substance ou le groupe de patients concernés), lesquels peuvent influer sur l'effet de la substance et revêtir par conséquent une importance majeure dans l'obtention du résultat visé par l'utilisation.
Conformément au § 2bis(1) 2e alinéa de la Loi sur les brevets et à l'art. 53(c) CBE, il convient toutefois, lors de l'examen de la brevetabilité, de faire abstraction des aspects de l'utilisation qui n'ont pas de lien avec les propriétés de la substance pour laquelle une protection est demandée, ni avec l'effet de cette substance sur le corps humain ou animal. Aussi des instructions thérapeutiques ne peuvent-elles contribuer à la brevetabilité d'une substance que si elles visent objectivement à permettre, à renforcer, à accélérer ou à améliorer de toute autre manière l'effet du médicament, et non pas si elles concernent des mesures thérapeutiques se prêtant en sus des effets de la substance et indépendamment de ceux-ci, au traitement de la maladie en cause. En l'espèce, la mesure concernée (la mise au repos de la main) avait pour but d'améliorer l'effet de la substance administrée. Elle représentait par conséquent un mode d'utilisation et donc un aspect dont il fallait tenir compte lors de l'examen de la brevetabilité.
La Cour fédérale de justice a également constaté qu'il ne suffisait pas que l'instruction d'administrer d'une manière particulière une substance déterminée soit nouvelle, c'est-à-dire qu'elle n'ait pas été divulguée directement et sans ambiguïté pour cette substance dans l'état de la technique, pour pouvoir conclure à sa brevetabilité. Lors de l'examen de l'activité inventive (§ 4 de la loi sur les brevets), il convient bien plus de tenir compte également des pratiques qui étaient évidentes pour l'homme du métier parce qu'elles faisaient partie du répertoire médical standard à la date de priorité. En particulier, lorsque des mesures ne visent pas l'obtention d'un effet spécifique pour la substance en cause, mais ont pour but d'empêcher des effets indésirables de nature générale ou de limiter localement les effets produits par cette substance ou leur durée, il est souvent aléatoire de pouvoir attester par écrit l'application de telles mesures aussi et surtout pour une substance déterminée. Un tel document n'est en tout cas pas nécessaire lorsqu'il est établi qu'à la date de priorité, la mesure en cause avait été envisagée par l'homme du métier comme un moyen pouvant être appliqué dans un grand nombre de cas et qu'il n'existait aucune circonstance particulière susceptible de faire apparaître cette utilisation dans la situation en cause comme étant impossible ou irréalisable.
FR – France
Cour d'appel de Paris, 12 mars 2014 (12/07203) – Eli Lilly c. Teva
Mot-clé : posologies – exclusion de la brevetabilité
La société Eli Lilly est titulaire de brevets européens 1 438 957, et 0 584 952 protégeant notamment l'utilisation de raloxifène pour la prévention de l'ostéoporose. Le but de l'invention est de fournir des méthodes pour inhiber la perte de masse osseuse sans les effets négatifs associés de la thérapie par des oestrogènes. Un médicament générique à base de raloxifène a été commercialisé par la société Teva.
Le brevet européen 952 a fait l'objet d'une procédure de limitation accueillie par le directeur général de l'INPI et le recours intenté contre cette décision par les sociétés Teva a été rejeté par arrêt du 1er juillet 2011 de la cour d'appel de Paris. Quant au brevet européen 1 438 957, il a été annulé par une chambre de recours dans l'affaire T 209/10 par une décision du 23 octobre 2012 ; le TGI de Paris par jugement du 20 mars 2012 (RG 09/12706) avait annulé la partie française de ce brevet européen.
Devant la Cour d'appel, le grief tiré de l'extension de la revendication au titre de l'art. L 613-25 c) et d) CPI reprenant l'art. 138(1) c) CBE est rejeté.
Sur la priorité. La cour énonce que la revendication de priorité d'un dépôt antérieur de brevet telle que réglementée par les art. 87 à 89 CBE suppose uniquement une identité d'invention, cette condition est jugée satisfaite en l'espèce. Dès lors la validité du brevet EP952 s'appréciera quant à la nouveauté à la date de la priorité.
La société Teva soutient encore que la revendication 1 du brevet qui n'a de nouveau par rapport à l'art antérieur que la population spécifiée n'est qu'une revendication de seconde application thérapeutique, le raloxifène étant déjà connu pour des applications thérapeutiques (agents infertilité, cancer du sein, hypertrophie bénigne de la prostate), alors qu'au regard de l'art. 54 (5) CBE 1973 et de l'art. L 611-11 CPI dans leur rédaction en vigueur à l'époque du dépôt du brevet, une seconde application thérapeutique n'est pas brevetable pour défaut de nouveauté. Ceci exposé, la cour énonce que s'il est constant que le raloxifène était déjà connu pour d'autres applications thérapeutiques (agents infertilité, cancer du sein, etc), il apparaît que sous l'empire des dispositions légales applicables à la date de dépôt du brevet, un brevet européen pouvait être délivré sur la base de revendications ayant pour objet l'application d'une substance pour obtenir un médicament destiné à une utilisation thérapeutique nouvelle comme en l'espèce.
Sur la demande de nullité des autres revendications, Teva soulève également la nullité des revendications dépendantes. La Cour énonce s'agissant des revendications 9 à 12, qu'elles concernent les posologies particulières d'administration du raloxifène, exclues de la brevetabilité, celles-ci étant déterminées par le médecin prescrivant ce médicament à son patient et les spectres de dosages étant au demeurant extrêmement larges (de 0,1 à 1.000mg) sans expliquer la pertinence de ces dosages ; ces revendications sont jugées nulles pour défaut d'activité inventive. Quant à la revendication dépendante 13 qui précise que le médicament est approprié pour une utilisation par voie orale, qui est, selon la cour, le mode d'administration le plus usuel pour l'homme du métier, cette revendication est nulle pour défaut d'activité inventive.
Note de la rédaction : pour une autre décision française décidant que les revendications portant sur une posologie ne sont pas autorisées, voir TGI Paris, 28 septembre 2010 (deuxième édition de "La jurisprudence des Etats parties à la CBE" 2004 – 2011, JO éd. spéc. 3/2011, p. 215, et 218). Voir aussi non reporté TGI Paris, 5 décembre 2014 (12/13507) publié au PIBD 1022-III-143, réf. B20140203 ; voir enfin la décision G 2/08 (JO 2010, 456) pour une position différente.
D. Activité inventive
1. Appréciation de l'activité inventive
DE – Allemagne
Cour fédérale de justice, 22 novembre 2011 (X ZR 58/10) – "Courrier électronique par SMS"
Mot-clé : activité inventive – évidence – normes (normes de données)
Le brevet en cause portait sur un procédé pour l'envoi de courrier électronique via un service de messages courts (SMS). Les spécifications pertinentes des normes relatives à l'envoi de SMS ne sont pas compatibles avec la norme RFC 822 relative au courrier électronique. En particulier, elles ne couvrent pas tous les champs de données spécifiés par la norme relative au courrier électronique. Le problème technique, que le brevet en cause cherchait à résoudre, consiste ainsi à fournir un procédé permettant de transmettre par SMS des champs de données supplémentaires spécifiés par la norme RFC 822 et de faciliter ainsi la transmission en cas de pluralité de fournisseurs de service.
La Cour fédérale de justice a estimé que l'objet de la revendication 1 découlait de manière évidente de l'état de la technique. L'homme du métier qui cherche à apporter une amélioration particulière à une structure de données décrite par une norme internationale est généralement amené à essayer de résoudre le problème technique en utilisant des mécanismes déjà couverts par ladite norme (en l'occurrence par la norme relative aux SMS).
Si un nombre illimité d'autres solutions sont envisageables en théorie, il est fort improbable que celles impliquant une modification fondamentale de la norme établie soient susceptibles d'être mises en œuvre dans la pratique. Cela était d'autant plus vrai en l'espèce que l'apport du procédé breveté par rapport à la norme établie était très limité, sinon insignifiant. L'homme du métier s'intéressant à la mise en œuvre pratique aurait donc intérêt à se tourner vers les solutions n'impliquant aucune modification de la norme établie, ou n'en exigeant qu'une adaptation mineure. Aussi était-il évident de chercher une solution dans le cadre de la structure spécifiée par la norme relative aux SMS existante.
Lorsqu'une norme permet un nombre limité de solutions, dont chacune présente différents avantages ou inconvénients, l'homme du métier prendra normalement chacune de ces solutions en considération.
DE – Allemagne
Cour fédérale de justice, 11 mars 2014 (X ZR 139/10) – Système d'alimentation en peinture
Mot-clé : activité inventive – connaissances générales de base – répertoire courant
Le défendeur était titulaire du brevet européen 796 665 qui concernait un procédé d'alimentation en peinture d'une installation d'application d'un revêtement pour le recouvrement en série de pièces, notamment de carrosseries de véhicules, ainsi qu'un système pour la mise en œuvre de ce procédé. Selon la caractéristique 3, le procédé se distinguait notamment en ce qu'un dispositif était en mesure de transporter en même temps au moins deux récipients de peinture jusqu'à un poste de remplissage.
La Cour fédérale de justice a estimé que l'objet du brevet litigieux n'était pas brevetable au motif qu'il n'impliquait aucune activité inventive. Le fait que le demandeur n'ait pas été en mesure de citer un quelconque précédent pour la caractéristique 3 dans le domaine des dispositifs d'application de revêtement n'avait aucune incidence en l'espèce.
Selon la jurisprudence de la Cour, la question de savoir dans quelle mesure et selon quel degré d'explicitation l'homme du métier doit être incité par l'état de la technique à perfectionner d'une façon particulière une solution connue appelle une réponse au cas par cas après examen de l'ensemble des faits pertinents. Pour ce faire, des indications explicites ne sauraient à elles seules retenir l'attention de l'homme du métier. Des caractéristiques propres au domaine technique en question peuvent en effet être également déterminantes, comme notamment la formation de l'homme du métier, l'approche habituelle dans la manière de développer des innovations, les exigences techniques résultant de la conception ou de l'utilisation de l'objet concerné et même les contraintes à caractère non technique (cf. l'arrêt Dispositif d'installation II de la Cour fédérale de justice du 20 décembre 2011 – X ZB 6/10).
Par conséquent, le fait que le demandeur n'ait pas pu citer de précédent pour la caractéristique 3 dans le domaine des installations d'application de revêtement n'empêchait pas nécessairement de conclure que l'homme du métier avait des raisons de se conformer à la méthode exposée dans la caractéristique précitée lors de la conception d'une installation d'application de revêtement pour le recouvrement en série de pièces. Si une solution issue du génie mécanique est généralement prise en compte dans un grand nombre d'applications et qu'elle est ainsi de nature à faire partie des connaissances générales de base de l'ingénieur compétent en la matière, cette solution peut déjà être envisagée lorsque l'utilisation de sa fonctionnalité apparaît objectivement comme indiquée dans la situation en cause et qu'il n'existe en outre aucune circonstance particulière rendant cette utilisation impossible, difficile ou bien impraticable aux yeux d'un expert (sur les pratiques médicales courantes, cf. l'arrêt Collagénase I de la Cour fédérale de justice du 25 février 2014 – X ZB 5/13 au chapitre I.C.3. "Nouveauté de l'utilisation – Article 54(5) CBE").
Or, cela était précisément le cas en l'espèce. Le maniement simultané de deux objets au lieu d'un seul faisait en effet partie des connaissances générales de base de l'ingénieur compétent en la matière au sens de son “répertoire courant” auquel il pouvait avoir – et il avait des raisons d'avoir – recours de manière régulière lors du perfectionnement de dispositifs préexistants, notamment lorsqu'il s'agissait pour lui de mettre en œuvre des procédures de travail aussi efficaces, efficientes et rapides que possible.
FR – France
Cour de Cassation, 2 novembre 2011 [10-30907] – Groupe Vicard SA c. Tonnellerie Ludonnaise SA
Mot-clé : activité inventive – préjugé à vaincre
La société V est titulaire d'un brevet français 0 007 395 portant sur une barrique de bois, son procédé de fabrication et le dispositif pour sa mise en œuvre. Estimant notamment que les sociétés S et L fabriquaient et vendaient des barriques reproduisant les caractéristiques des revendications 1 à 11 de son brevet, la société V après avoir fait procéder à des saisies contrefaçon, les a assignées en contrefaçon ; les sociétés S et L ont conclu à la nullité des revendications du brevet pour défaut de nouveauté et d'activité inventive. La Cour d'appel avait notamment reconnu le caractère inventif. Pourvoi est formé contre l'arrêt.
Sur le défaut d'activité inventive allégué, la cour de cassation juge que si le principe du rainurage latéral des lattes ou bouvetage était connu pour assembler et faire tenir ensemble des lattes, l'homme du métier, à savoir le tonnelier, avait dû vaincre un préjugé et avait fait preuve d'activité inventive en concevant d'assurer l'étanchéité des fonds de barrique en utilisant un bouvetage autoserrant, sans adjoindre ni joints ou goujons, ni colle. La cour de cassation confirme sur ce point l'arrêt de la cour d'appel.
FR – France
Cour d'appel de Paris, 12 février 2014 (12/16589) – Anne D ; Sarl AD c. Hermès Sellier SA
Mot-clé : activité inventive – antériorité ancienne en tant qu'état de la technique le plus proche – modifications
Anne D. est titulaire d'un brevet d'invention français 0 109 972 intitulé "Dispositif pour allonger des poignées de sac ou similaire". Elle a découvert en 2007 l'offre en vente par la société Hermès d'un modèle de sac à main constituant, selon elle, la reproduction des caractéristiques du brevet. La société Hermès a demandé à Anne D de renoncer à son brevet soutenant qu'il ne serait pas valable par rapport à certaines antériorités (notamment un dessin du sac Medes de 1958). Anne D. a ensuite fait modifier le brevet en 2009.
Sur l'activité inventive
La cour confirme la décision de première instance en ce qu'elle a prononcé la nullité du brevet en cause pour défaut d'activité inventive. L'antériorité du dessin du sac de 1958 divulguait déjà une bandoulière solidaire apte à coulisser par des passants de cuir sur les poignées du sac. Certes il s'est écoulé de nombreuses années entre la divulgation de ce sac et le dépôt du brevet. Néanmoins les moyens du brevet préexistaient et l'homme du métier qui cherchait à obtenir l'effet escompté, à savoir une bandoulière solidaire du sac, et ne dépassant pas du sac de manière inesthétique, lorsqu'elle n'était pas utilisée, pouvait immédiatement la réaliser à la seule vue du dessin du sac de 1958 ; en réalité à supposer que lors du dépôt du brevet ce dispositif soit passé de mode il n'imposait plus aucune activité inventive pour être mis en œuvre, mais une simple adaptation de l'existant, par un styliste ou créateur en maroquinerie, qui a nécessairement en mémoire ou accès à des représentations d'anciens modèles de sacs.
La cour ajoute que le simple fait que la société Hermès ait commercialement pu présenter un système de bandoulière, permettant de choisir un porté à l'épaule contre soi ou à la main comme relevant du désir "de réinventer l'art et la manière de[...] porter en bandoulière les sacs, ou indiqué dans un rapport annuel de 2007 qu'il s'agissait d'un ingénieux système de bandoulière" ne saurait suffire à caractériser la non évidence d'un système découlant manifestement et logiquement du modèle Medes, qui n'avait pas été techniquement discrédité, à supposer même qu'il n'ait plus été reproduit pendant près d'un demi-siècle.
Sur les modifications du brevet
La cour estime que les premiers juges ont exactement retenu que les modifications limitatives du brevet dès lors qu'elles sont inscrites au registre national des brevets sont opposables à la société Hermès et que leurs effets rétroagissent à la date du dépôt de la demande de brevet.
Si des modifications sont intervenues après les premières mises en demeure de 2007 et antérieurement à l'introduction de l'action en contrefaçon en 2010 une limitation volontaire pour consolider un brevet français, avant d'agir en contrefaçon (ou à tout moment, même une fois le litige né) est possible. Il ne saurait dès lors être admis, même s'il a été procédé à trois modifications successives en 2009, que celles-ci seraient dilatoires ou frauduleuses, alors qu'un breveté demeure en droit, sans pour autant commettre d'abus, de tenter de consolider son brevet en fonction, notamment, d'antériorités qui lui sont opposées par celui auquel il reproche des actes de contrefaçon avant d'attaquer à ces fins.
GB – Royaume-Uni
Tribunal des brevets, 27 juillet 2012 – Virgin Atlantic Airways Ltd c. Contour Aerospace Ltd and Ors [2012] EWHC 2153 (Pat)
Mot-clé : activité inventive – évidence
Le brevet européen EP°1 495 908 de Virgin (UK) pour un système de sièges pour passagers pour un avion avait déjà fait l'objet d'une action antérieure devant la Cour d'appel dans l'affaire Virgin Atlantic c. Premium Aircraft [2009] EWCA Civ 1062. Il avait été jugé nouveau et inventif, et avait été considéré comme ayant été contrefait. Il avait toutefois été maintenu par la suite sous une forme modifiée dans le cadre d'une procédure devant les chambres de recours de l'OEB (T 1495/09). Contour avait été autorisé à interjeter appel au motif que compte tenu de la modification, le brevet n'était plus contrefait.
Deux arguments distincts avaient été avancés, l'un s'appuyant sur la décision T 939/92, l'autre sur une objection plus classique liée à l'évidence.
Conformément à l'affaire Beloit Technologies Inc. c. Valmet Paper Machinery Inc. [1995] RPC 705, un brevet ne devrait pas être interprété sur la base de l'état de la technique, à moins qu'il ne s'agisse d'éléments de l'état de la technique mentionnés dans le brevet. Selon le jugement rendu par la Cour d'appel dans l'affaire Virgin c. Premium, ce n'est qu'en l'absence d'autre interprétation possible que l'homme du métier serait nécessairement amené à conclure que le titulaire du brevet avait revendiqué des éléments qui, à sa connaissance, existaient déjà. Le juge Floyd a déclaré que le principe "Beloit" ne constituait qu'une partie, "et non la totalité", du raisonnement du juge Lewinson et de la Cour d'appel. Il a donc estimé que le document de l'état de la technique n'antériorisait pas la caractéristique concernée. Il était conscient de s'écarter ainsi des conclusions de la chambre de recours dans l'affaire T 939/92. Cependant, comme les chambres de recours n'avaient pas pour habitude d'indiquer les motifs sous-jacents à leur interprétation des revendications, il n'était pas en mesure d'analyser leur raisonnement afin d'établir si celui-ci emportait sa conviction.
Contour a également cité le jugement Dr Reddy's Laboratories c. Eli Lilly [2009] EWCA Civ 1362, selon lequel la jurisprudence de l'OEB est solidement ancrée autour de la question fondamentale de savoir si le titulaire d'un brevet a réalisé un progrès technique nouveau et non évident et s'il a fourni suffisamment de preuves pour accréditer un tel progrès. Dans la décision T 939/92, la chambre a considéré que le fait d'établir une distinction arbitraire par rapport à l'état de la technique ne constitue pas un progrès technique et que le progrès technique non évident doit valoir pour toute la portée de la revendication. Contour a allégué que l'unique élément qui distinguait le document de l'état de la technique du brevet était la forme triangulaire de l'appuie-tête, laquelle était arbitraire. Le juge Floyd n'a pas suivi cet argument, étant donné que cette forme permettait de tirer parti de l'espace arrière de forme triangulaire.
L'objection classique liée à l'évidence reposait sur l'interprétation suivie par la Cour d'appel en ce qui concerne l'espace arrière. Citant les principes exposés dans l'affaire Conor c. Angiotech [2008] UKHL 49, et appliquant l'approche structurée définie dans l'affaire Pozzoli c. BDMO [2007] EWCA Civ 588, (voir aussi la deuxième édition de "La jurisprudence des Etats parties à la CBE" 2004 – 2011, JO éd. spéc. 3/2011, p. 221 et 124). le juge a considéré que l'invention (consistant à étendre le siège en mode lit dans un espace triangulaire compris entre l'unité de siège et la paroi de la cabine) n'était pas évidente. Si cette mesure aussi simple était évidente, il était légitime de se demander en l'espèce pourquoi personne d'autre n'y avait recouru avant la date de priorité.
Note de la rédaction : une question s'est également posée au sujet de la désignation du Royaume-Uni (voir chapitre VI. 2. "Les décisions de l'OEB, la Convention et les juridictions nationales").
GB – Royaume-Uni
Cour d'appel, 10 octobre 2012 – MedImmune Ltd c. Novartis Pharmaceuticals UK Ltd [2012] EWCA Civ 1234
Mot-clé : évidence – homme du métier – équipe – connaissances générales
MedImmune avait allégué que Novartis avait contrefait le brevet européen (UK) 2 055 777, relatif à une technique dénommée "exposition d'anticorps sur phage ", en vendant un produit utilisé pour le traitement de la dégénérescence maculaire néovasculaire liée à l'âge. Novartis avait contesté la contrefaçon et présenté une demande reconventionnelle en nullité.
Le juge avait considéré que le brevet n'était pas valable au motif qu'il était évident et que les revendications ne pouvaient bénéficier de la priorité revendiquée. Sa décision a été confirmée par la Cour d'appel sur ces deux points (sur la priorité voir le chapitre IV.).
Novartis avait fait valoir que le juge avait défini de manière erronée la nature de l'équipe d'hommes du métier à laquelle le brevet était destiné. Cependant, Lord Justice Kitchin a estimé que le juge avait correctement identifié l'équipe d'hommes du métier ; conformément à l'affaire Schlumberger Holdings Ltd c. Electromagnetic Geoservices AS [2010] EWCA Civ 819, la Cour tiendrait compte de la réalité de la situation à la date concernée ainsi que des compétences conjuguées d'équipes de recherche réelles dans la discipline en question. Une invention impliquant le recours à une expertise dans plusieurs domaines était évidente si elle était manifeste pour un homme du métier spécialisé dans l'un quelconque de ces domaines. Concernant l'évidence par rapport à l'état de la technique, il était essentiel d'établir quel problème le titulaire du brevet s'efforçait de résoudre, ce qui conduisait à examiner la discipline dans laquelle ce problème se posait. L'équipe théorique exerçant dans cette discipline était l'équipe pertinente représentant l'homme du métier. L'invention s'adresserait à des spécialistes de l'ingénierie des anticorps, et le fait qu'elle puisse avoir une application plus large était sans importance.
Le juge avait estimé que l'exposition sur phage faisait partie des connaissances générales de l'homme du métier ; il s'agissait d'une technique établie, qui n'était toutefois pas utilisée de manière courante. Lord Justice Kitchin a partagé ce point de vue. Le fait qu'un concept n'ait pas du tout été utilisé ne signifiait pas que celui-ci ne pouvait pas relever des connaissances générales de l'homme du métier, même si la probabilité qu'il en relève était de ce fait fortement réduite (Beloit Technologies Inc c. Valmet Paper Machinery Inc [1997] RPC 489).
Il était souvent utile, bien que non essentiel, d'examiner l'évidence en s'appuyant sur l'approche structurée définie dans l'affaire Pozzoli c. BDMO SA [2007] EWCA Civ 588 (voir aussi la deuxième édition de "La jurisprudence des Etats parties à la CBE" 2004 – 2011, JO éd. spéc. 3/2011, p 124). En définitive, la Cour devait évaluer l'ensemble des circonstances pertinentes pour répondre à une seule question factuelle consistant à établir si la fabrication d'un produit ou l'exécution d'un procédé couvert par la revendication était évidente pour le destinataire qui était versé dans le domaine en question mais qui manquait d'imagination.
L'étape (4) de l'approche Pozzoli était fondamentale ; la Cour devait déterminer si, à la date de priorité, l'invention revendiquée était évidente pour le destinataire qui était versé dans le domaine en question mais qui manquait d'imagination. Il pouvait être opportun d'établir si l'exploration d'une voie particulière pour améliorer un produit ou un procédé était évidente. Même sans garantie de succès, l'homme du métier pouvait estimer que les chances de réussite étaient suffisantes pour justifier des essais. Ce critère pouvait à lui seul rendre une invention évidente. Cependant, certains domaines technologiques (produits pharmaceutiques, biotechnologie) dépendaient dans une large mesure de la recherche, et il pouvait exister de nombreuses pistes à explorer, sans pour autant que l'on sache réellement laquelle aboutirait. Elles n'en étaient pas moins suivies. Avant de rendre leurs décisions, les juridictions anglaises et les chambres de recours examinaient donc souvent s'il était évident de poursuivre dans une voie particulière avec un simple espoir de succès ou avec des chances raisonnables ou tangibles de réussir. L'ensemble des circonstances en décideraient, notamment l'aptitude à prévoir de manière rationnelle un succès, la durée probable du projet, la mesure dans laquelle le domaine était inexploré, la question de savoir si les expériences éventuellement nécessaires étaient ou non complexes, si elles pouvaient être réalisées par des moyens de routine et si l'homme du métier devrait prendre un certain nombre de décisions correctes tout au long de ce processus.
Le fait qu'il soit ou non évident de tester une voie n'était que l'un des nombreux critères que la Cour était susceptible de prendre en considération. La question de l'évidence devait être examinée sur la base des faits de chaque affaire. L'importance à accorder à un quelconque facteur particulier devait être appréciée à la lumière de toutes les circonstances pertinentes, notamment les motifs pour lesquels une solution au problème traité était recherchée, le nombre et l'étendue des pistes de recherche pouvant être explorées, le travail requis à cet effet et les chances de réussite. Aucune formule ne pouvait être substituée au texte de la loi. La nature même de ce mode d'appréciation des preuves confortait la cour d'appel qui était réticente à s'immiscer dans la décision du juge de première instance concernant l'évidence, pour autant qu'il n'ait pas commis d'erreur fondamentale.
GB – Royaume-Uni
Cour d'appel, 12 décembre 2012 – Novartis AG c. Generics (UK) Ltd [2012] EWCA Civ 1623
Mot-clé : activité inventive – évidence de l'invention – exploration dictée par l'évidence
Le recours était dirigé contre la révocation du certificat complémentaire de protection ("CSP") de Novartis ainsi que du brevet sous-jacent, au motif que ce dernier manquait d'activité inventive. Le CSP et le brevet protégeaient un médicament appelé Rivastigmine, l'énantiomère (-) d'un racémique nommé RA7. Ce composé était divulgué dans deux publications antérieures du professeur Weinstock et appartenait à une série de composés proposés par le professeur Weinstock pour traiter la maladie d'Alzheimer. Cependant, les publications ne suggéraient pas de résoudre RA7 en ses énantiomères, comme le revendiquait le brevet litigieux. La question était donc de savoir, à la lumière de l'une quelconque des publications de Weinstock, s'il aurait été évident pour l'homme du métier dans l'industrie pharmaceutique, de sélectionner le RA7 et de le résoudre en ses énantiomères, puis d'utiliser l'énantiomère (-) comme produit pharmaceutique comme traitement de la maladie d'Alzheimer.
Le jugement de Floyd J a été maintenu, dans lequel la différence entre l'invention et la divulgation des publications de Weinstock avait été définie comme suit : "... Les étapes selon Weinstock pour arriver au concept inventif ... étaient les suivantes: (a) choix du RA7 (b) sa résolution en ses énantiomères et (c) préparation d'un produit pharmaceutique contenant l'énantiomère (-). Weinstock sous-entend évidemment que l'objectif ultime est un médicament pour traiter la maladie d'Alzheimer". D'après les éléments de preuve disponibles, chacune de ces étapes était évidente.
D'après Kitchin LJ, le titulaire d'un brevet peut attendre que l'évidence soit évaluée par référence à l'invention qu'il a décrite et revendiquée, comme il a clairement été indiqué dans Conor v Angiotech [2008] UKHL 49. Pour déterminer si, à la date de priorité, l'invention était évidente aux yeux du destinataire versé dans le domaine mais manquant d'imagination, le Tribunal se devait de considérer toutes les circonstances de l'espèce, y compris, au besoin, s'il était évident de suivre une voie particulière avec des chances raisonnables ou tangibles de succès. Ce qui constitue des chances de succès raisonnables ou tangibles dépendrait à son tour des circonstances et varierait d'un cas à l'autre. Parfois, comme dans Saint Gobain v Fusion-Provida [2005] EWCA Civ 177, il y aurait lieu de voir s'il était plus ou moins évident que ce qui était mis au banc d'essai avait des chances de réussir. Par conséquent, inclure un élément dans un projet de recherche dans l'espoir d'un résultat quelconque n'était vraisemblablement pas suffisant. Mais Kitchin LJ a rejeté l'argument selon lequel le Tribunal ne peut conclure à l'évidence que s'il est manifeste qu'un essai devait fonctionner. Cela reviendrait à mettre dans une camisole de force l'évaluation de l'évidence, ce que ne justifie pas le test prévu par la loi et empêcherait de conclure à l'évidence dans les cas où un test entièrement de routine donnerait des résultats imprévisibles.
L'approche correcte a récemment été expliquée dans MedImmune v Novartis [2012] EWCA Civ 1234 (voir résumé précédent). Il peut être judicieux de voir s'il était évident d'explorer une voie particulière afin d'obtenir un produit ou un procédé améliorés. Toutefois, dans des domaines très dépendants de la recherche tels que les médicaments et les biotechnologies, on se trouve en face de nombreuses voies à explorer, sans pour autant savoir le moins du monde laquelle sera fructueuse. Ces recherches sont néanmoins poursuivies. Refuser la protection par brevet en pareil cas serait dissuasif pour la recherche. Avant de rendre leurs décisions, les tribunaux anglais et les chambres de recours examinent souvent s'il était évident d'explorer une voie particulière avec des chances raisonnables ou tangibles de succès (par opposition à un simple espoir de succès). La notion d'exploration dictée par l'évidence n'est utile que s'il existe des chances tangibles de succès (cf. Johns-Manville Corporation's Patent [1967] RPC 479).
Et Kitchin LJ de conclure que l'approche adoptée par Floyd J est tout à fait appropriée et ne recèle aucune erreur de droit. L'équipe d'hommes du métier verrait dans la résolution du racémique des avantages pratiques et la considérerait comme une étape de routine.
NL – Pays-Bas
Cour suprême (Hoge Raad), 7 juin 2013 – Lundbeck c. Tiefenbacher/Centrafarm – Escitalopram
Mot-clé : activité inventive – produit concevable
Lundbeck est titulaire du brevet européen 0 347 066, qui a été délivré pour de nouveaux énantiomères et leur isolation, et porte sur l'escitalopram. Le brevet avait été entièrement révoqué par le Tribunal de district de La Haye en première instance. Dans son arrêt du 24 janvier 2012, la Cour d'appel de La Haye a jugé que la méthode d'obtention de l'escitalopram était nouvelle et inventive. Lundbeck a ainsi acquis les droits exclusifs sur le produit obtenu directement par ledit procédé. Cependant, ces droits ne s'étendaient pas à l'escitalopram en tant que tel. L'argument de Lundbeck, selon lequel il était impossible d'obtenir cette substance à la date de priorité, n'a pas été jugé pertinent. La Cour suprême a cassé l'arrêt de la Cour d'appel.
La Cour suprême s'est référée à la jurisprudence des chambres de recours, citant la décision T 595/90, qui portait sur l'activité inventive d'un produit en soi concevable, mais pour lequel il n'existait pas de procédé de fabrication connu. D'après la décision T 595/90, un produit qui est en soi concevable, avec toutes les caractéristiques l'identifiant, y compris ses propriétés d'utilisation, et qui constitue donc une entité normalement évidente, peut être jugé inventif et revendiqué en tant que tel s'il n'existe, dans l'état de la technique, aucun moyen connu ni aucun procédé applicable (par analogie) pour son obtention, et si les procédés revendiqués pour sa préparation sont les premiers à parvenir à ce résultat et impliquent une activité inventive.
La Cour suprême a suivi la jurisprudence constante des chambres de recours. Elle a jugé qu'une substance, dont la composition et les éventuelles caractéristiques sont en soi connues et qui, pour cette raison, découle d'une manière évidente de l'état de la technique au sens de l'art. 56 CBE et de l'art. 6 de la loi néerlandaise sur les brevets de 1995, peut toutefois perdre ce caractère évident au sens de ces dispositions et, par conséquent, être brevetable s'il n'existe pas de procédé d'obtention de cette substance dans l'état de la technique à la date de priorité et que le procédé revendiqué permet ainsi d'obtenir pour la première fois cette substance d'une manière inventive. Après tout, dans ce cas, la substance elle-même, bien que connue en soi de par sa composition et ses éventuelles caractéristiques, ne découle pas non plus de l'état de la technique d'une manière évidente. C'est pourquoi, dans la présente affaire, il est également possible d'obtenir un brevet de produit.
Ce raisonnement est conforme aux décisions allemande et britannique rendues en dernière instance sur le brevet en cause (Cour fédérale de justice du 10 septembre 2009, Xa ZR 130/07 ; Chambre des Lords du 25 février 2009, [2009] UKHL 12).
Note de la rédaction : concernant la décision de première instance, voir la deuxième édition de "La jurisprudence des Etats parties à la CB 2004 – 2011", JO éd. spéc. 3/2011, p. 234.
2. Approche problème-solution
AT – Autriche
Chambre suprême des brevets et des marques, 27 juin 2012 (Op 1/12)
Mot-clé : activité inventive – approche problème-solution – critères supplémentaires
Le brevet litigieux (EP 0 869 222) concernait un véhicule de fraisage-concassage pour le travail du sol. Nul ne contestait le fait que le document A (décrivant un véhicule de fraisage-concassage) comportait toutes les caractéristiques du préambule de la revendication 1 en cause, et que le document B (décrivant un concasseur à percussion) contenait tous les éléments de la partie caractérisante de cette même revendication 1. Il était donc essentiel de déterminer si la combinaison des documents A et B était évidente pour l'homme du métier.
La Chambre suprême des brevets et des marques a fait observer à cet égard que l'approche problème-solution est utilisée pour apprécier de façon harmonisée l'activité inventive (Op 5/05, Pbl 2006, 127 ; Op 4/07). Cette approche comporte trois étapes :
1. Détermination de l'état de la technique le plus proche
2. Formulation du problème technique objectif à résoudre
3. Approche "could/would" ; examen de la question de savoir si l'invention revendiquée aurait été évidente pour l'homme du métier, compte tenu de l'état de la technique le plus proche et du problème technique objectif.
Il a été considéré que le document A constituait l'état de la technique le plus proche et que le problème à résoudre résidait dans l'adaptation d'un véhicule de fraisage-concassage de manière qu'il puisse se prêter rapidement à des configurations de sol changeantes. La division de l'Office autrichien des brevets chargée de statuer sur les procédures de nullité avait estimé que le domaine technique des concasseurs à percussion était trop éloigné de celui des véhicules de fraisage-concassage. La Chambre suprême des brevets et des marques a toutefois été d'avis que l'homme du métier s'appuierait également sur l'enseignement découlant du document B. Le document A divulguait un mode de réalisation selon lequel le dispositif de fraisage-concassage était utilisé en tant que concasseur à percussion stationnaire. C'était donc le document A lui-même, et non un quelconque document de l'état de la technique, qui suggérait de tenir compte également des concasseurs à percussion.
La Chambre suprême des brevets et des marques a indiqué qu'en plus de l'approche problème-solution, des critères supplémentaires pouvaient être appliqués pour apprécier l'activité inventive. L'examen de ces critères permettait d'établir :
- s'il existait un préjugé technique devant être surmonté,
- s'il résultait de la combinaison d'agencements en eux-mêmes connus un effet surprenant (effet de synergie),
dépassant de loin l'effet global que l'on pouvait escompter, - si un problème de longue date était résolu, à savoir un problème technique à la solution duquel les spécialistes travaillaient depuis longtemps,
- si l'idée initiale, ou une formulation originale du problème, entraînait un effet particulier ou une solution surprenante.
L'examen de ces critères supplémentaires a toutefois fait apparaître, comme avec l'application de l'approche problème-solution, que l'objet de la revendication 1 en cause n'impliquait pas d'activité inventive. La nullité du brevet en litige a donc été prononcée.
3. Effet technique
AT – Autriche
Chambre suprême des brevets et des marques, 27 novembre 2013 (Op 3/13)
Mot-clé : activité inventive – invention de problème – caractère technique
Le brevet litigieux (EP 625 767) concernait un système de contrôle du paiement de péages par les automobilistes.
La Chambre suprême des brevets et des marques a fait observer qu'une des revendications ne décrivait en réalité qu'un problème, et non sa solution technique. La formulation du problème ne constitue toutefois pas, en tant que telle, une invention.
La contradiction n'est qu'apparente lorsque les chambres de recours de l'Office européen des brevets reconnaissent des "inventions de problème". En effet, ces inventions nécessitent, elles aussi, de revendiquer une solution technique spécifique pour un problème. La particularité des "inventions de problème" réside uniquement dans le fait que cette solution est rétrospectivement triviale et qu'elle ne serait donc pas brevetable en tant que telle, mais que le problème proprement dit est nouveau et qu'il ne découle pas de manière évidente de l'état de la technique. Dans ce cas, la démarche intellectuelle inhérente à l'identification du problème peut justifier la délivrance du brevet pour la solution.
La revendication litigieuse ne décrivait cependant pas une telle solution ; elle ne faisait que mentionner le problème, en indiquant que le dispositif de contrôle est "monté" dans un véhicule de contrôle "de telle sorte" qu'un véhicule roulant derrière le véhicule de contrôle peut être contrôlé à grande vitesse et avec une grande distance entre les véhicules. Elle ne divulguait donc pas une solution technique assez claire pour l'homme du métier. Il ne ressortait même pas qu'une solution technique précise était requise pour effectuer le contrôle en dehors du véhicule de contrôle. Cela serait pourtant indispensable pour pouvoir parler d'une invention au sens de la CBE.
Selon la pratique de l'OEB, une invention qui, bien que pouvant comprendre des modes de réalisation techniques, recouvre également des modes de mise en œuvre qui ne peuvent être qualifiés de techniques, ne répond pas à l'exigence de caractère technique ancrée dans la CBE (T 619/02, JO 2007, 63). En l'occurrence, cela serait par exemple le cas si l'appareil de contrôle était simplement tenu en main, au lieu d'être fixé par la personne qui le manie – ce qui n'était exclu ni par la revendication litigieuse, ni par la description utilisée tout au plus pour l'interpréter.
La Chambre a prononcé la nullité du brevet dans son intégralité.
BE – Belgique
Tribunal de commerce de Liège, 28 juin 2012 (A/11/3039) – Aerocrine c. Medisoft
Mot-clé : activité inventive – invention mixte comportant des caractéristiques non techniques
Aerocrine, société spécialisée dans les technologies médicales de détection et de traitement des inflammations des voies respiratoires, est titulaire de plusieurs brevets européens sur la base desquels elle a poursuivi en contrefaçon la société Medisoft qui, à titre reconventionnel, en a demandé la nullité.
Le tribunal énonce de façon très détaillée et en regard de la jurisprudence de l'OEB, les principes (caractère technique d'une invention, nouveauté, activité inventive et approche problème solution, extension de l'objet du brevet) sur la base desquels il va examiner la validité des volets belges des brevets européens. En l'espèce, les brevets portent sur une invention mixte ; l'invention comportant à la fois un aspect technique (l'appareil de mesure par exemple) et une caractéristique non technique, à savoir la découverte scientifique du professeur Gustafsson. Le Tribunal conclut que les seuls éléments techniques des revendications des brevets litigieux, détachés des aspects directement liés à la découverte en tant que telle, seront pris en compte.
Sur l'activité inventive (EP 0 606 351) le Tribunal énonce notamment que pour l'approche "problème-solution" il est permis, dans la formulation du problème technique objectif que l'invention se propose de résoudre, de faire état de la découverte. La condition de l'activité inventive ne peut être recherchée que dans les caractéristiques techniques de l'invention, et donc en l'espèce, dans l'appareil de mesure. Il conclut au défaut d'activité inventive en l'espèce.
Sur le brevet européen EP 0 724 723, le Tribunal note que Aerocrine utilise certes la découverte, mais le fait uniquement pour formuler le problème technique à résoudre, ce qui est parfaitement autorisé. Medisoft reprend notamment la motivation de la décision d'annulation rendue par le Tribunal fédéral des brevets de Munich le 1er février 2011 pour conclure au défaut d'activité inventive. Le Tribunal belge juge que l'homme de métier serait arrivé à concevoir un appareil conforme à la revendication 1. Cette revendication est nulle pour défaut d'activité inventive.
DE – Allemagne
Cour fédérale de justice, 18 décembre 2012 (X ZR 3/12) – Calcul d'itinéraire
Mot-clé : activité inventive – effet technique
Le brevet en litige (EP 1 147 375) avait pour objet un procédé de navigation pour véhicule, offrant des options de sélection et d'affichage non seulement pour la totalité du trajet – comme dans l'état de la technique – mais aussi pour des segments de trajet individuels.
La Cour fédérale de justice s'est référée à sa jurisprudence, selon laquelle un procédé qui, pour parvenir au résultat souhaité, prévoit l'utilisation d'un programme d'ordinateur permettant de commander une installation informatique de telle manière que le résultat en question soit obtenu, est brevetable si l'enseignement revendiqué comporte des instructions servant à résoudre un problème technique concret avec des moyens techniques. Cependant, seules les instructions qui ont pour effet de déterminer – ou d'au moins influencer – la résolution du problème technique avec des moyens techniques peuvent être prises en considération pour l'examen de l'activité inventive. Les options de sélection décrites dans le brevet en litige ne sauraient entrer en ligne de compte dans l'examen de l'activité inventive, étant donné qu'elles n'avaient pas pour effet de déterminer – ou d'au moins influencer – la résolution du problème technique avec des moyens techniques. En tout état de cause, il convient de faire abstraction, pour l'évaluation de l'activité inventive, des instructions visant à sélectionner des données si de telles instructions consistent uniquement, sur le plan technique, à prévoir l'utilisation de moyens de traitement électronique des données pour effectuer ladite sélection (confirmation de la décision de la Cour fédérale de justice du 26 octobre 2010 – X ZR 47/07 – Affichage d'informations topographiques). Cela est également valable dans le cas où de telles instructions conduisent à une diminution des opérations de calcul requises.
Les autres caractéristiques du brevet en litige dont il pouvait, à la rigueur, être tenu compte pour l'examen de l'activité inventive, étaient suggérées à l'homme du métier par l'état de la technique. La Cour fédérale de justice a donc estimé que l'objet du brevet en litige n'était pas brevetable.
DE – Allemagne
Tribunal fédéral des brevets, 4 avril 2013 (2 Ni 59/11 et 2 Ni 64/11) – Déverrouillage tactile par glissement de doigt
Mot-clé : activité inventive – présentation d'informations – brevetabilité de logiciels
Le brevet en litige (EP 1 964 022) concernait une action permettant de déverrouiller un dispositif électronique portable avec afficheur sensible au toucher (écran tactile). Un groupe de caractéristiques relevant de la revendication 1 du brevet portait sur le déplacement d'une image de déverrouillage le long d'un trajet affiché prédéfini sur l'afficheur sensible au toucher en fonction du contact.
Dans la procédure de nullité, le Tribunal fédéral des brevets devait trancher la question de savoir si l'objet de l'invention ne représentait qu'un programme d'ordinateur en tant que tel et s'il était par conséquent exclu de la protection par brevet. Il devait également examiner si l'enseignement comportait des instructions pour résoudre un problème technique concret avec des moyens techniques, conformément à la jurisprudence de la Cour fédérale de justice (Cour fédérale de justice du 24 février 2011 – Affichage de pages Internet). Pour établir si l'invention impliquait une activité inventive, il convenait toutefois de ne tenir compte que des instructions qui déterminaient ou au moins influençaient la résolution du problème technique par des moyens techniques (Cour fédérale de justice, GRUR 2011, 125 – Présentation d'informations topographiques).
Le groupe de caractéristiques précité ne pouvait déterminer ni influencer la résolution d'un problème technique et ne pouvait donc entrer en ligne de compte pour apprécier l'activité inventive. L'invention consistait à déverrouiller de manière simple, conviviale et définie un dispositif électronique portable avec afficheur sensible au toucher, ainsi qu'à signaler le déroulement de la procédure de déverrouillage. Celle-ci découlait de la formulation d'un problème en partie technique dans la mesure où une entrée spécifique effectuée par l'utilisateur était enregistrée et identifiée en tant qu'ordre de lancer la procédure de déverrouillage, cet ordre entraînant obligatoirement l'exécution de ladite procédure ; aucun élément ne tombait par conséquent sous le coup de l'exclusion générale prévue à l'art. 52(2) et (3) CBE.
Cependant, le signalement du déroulement de la procédure de déverrouillage, qui était effectué par le déplacement (simultané) de l'image de déverrouillage, ne s'adressait qu'à l'utilisateur, sans résoudre d'aucune manière un problème technique. Aucune influence n'était en effet exercée sur l'appareil proprement dit et son fonctionnement technique. En fait, une information était simplement présentée sous forme graphique : l'utilisateur recevait en retour un "signal optique" l'informant que l'appareil avait identifié le début d'un geste de déverrouillage et surveillait la suite de la procédure ; il n'en résultait toutefois pas d'effet technique. Contrairement à l'argumentation du défendeur, une présentation conviviale ne constituait pas un problème technique concret, mais plutôt un problème d'optimisation pour une meilleure acceptation de cette présentation par les utilisateurs. Or, la solution à ce problème n'étant pas d'ordre technique, il n'était pas possible de la breveter. La nullité du brevet a donc été prononcée.
DE – Allemagne
Cour fédérale de justice, 23 avril 2013 (X ZR 27/12) – Système de navigation véhiculaire
Mot-clé : activité inventive – exceptions à la brevetabilité – présentation d'informations
Le brevet en cause (EP 973 011) portait sur un procédé ainsi qu'un dispositif de guidage d'itinéraire dans un système de navigation véhiculaire. Même si les systèmes de navigation compris dans l'état de la technique proposaient déjà dans une certaine mesure un guidage vocal de l'utilisateur, ils n'intégraient pas, contrairement au brevet en cause, les noms des rues ou des prochaines sorties dans le guidage vocal.
Se référant dans son arrêt à la jurisprudence antérieure (Cour fédérale de justice du 24 mai 2004 – Paiements électroniques ; Cour fédérale de justice du 26 octobre 2010 – Affichage d'informations topographiques ; Cour fédérale de justice du 18 décembre 2012 – Calcul d'itinéraire), la Cour fédérale de justice a rappelé que l'art. 52 (2)d) CBE exclut la brevetabilité de présentations d'informations, tout comme l'art. 52 (2)c) CBE exclut la brevetabilité de programmes d'ordinateur (dans les deux cas, considérés en tant que tels selon l'art. 52 (3) CBE). La présentation d'informations ne peut impliquer une activité inventive que dans la mesure où elle détermine, ou du moins influence, par des moyens techniques la solution au problème technique.
L'instruction donnée à l'homme du métier de tenir compte dans certaines conditions de détails précis pour la sortie vocale (en l'occurrence, le nom des rues) concerne le contenu des informations restituées de manière optique ou acoustique par le système de navigation, et n'est pas à prendre en compte lorsque l'on examine si l'enseignement technique du brevet implique une activité inventive.
Finalement, la Cour fédérale de justice a rejeté le recours formé par le titulaire du brevet contre la décision de révocation du Tribunal fédéral des brevets.
DE – Allemagne
Voir aussi la décision du Tribunal fédéral des brevets du 13.11.2012 (3 Ni 43/10 (EP), 3 Ni 24/11 (EP), 3 Ni 25/11 (EP) corrélés) et celle de la Cour fédérale de justice du 13.01.2015 (X ZR 41/13) au chapitre V.2. "Quétiapine".
FR – France
Cour d'appel de Paris, 26 avril 2013 (12/07634) – Sté Core/Miral c. Sté Axxom/Castorama/Browaeys Brame
Mot-clé : activité inventive – méthode combinée – effet technique
La société C qui conçoit, importe et exporte notamment des échelles, est copropriétaire du brevet européen 1 448 865 ayant pour titre "échelle télescopique et procédés de fabrication associés". La société C a assigné la société A en contrefaçon.
Sur la validité du brevet, particulièrement l'examen de l'activité inventive au titre de l'art. 56 CBE, la société A soutient que le brevet C revendique deux groupes juxtaposés de caractéristiques, celles du collier et celle du guidage, et que la brevetabilité de chacune de ces caractéristiques doit être examinée séparément.
La Cour rappelle que l'existence d'une combinaison brevetable implique la reconnaissance d'une fonction propre obtenue par le groupement de moyens et caractérisée par la production d'un effet technique distinct de la somme des effets techniques de ses composants.
En l'espèce, les caractéristiques de guidage concernent le guidage d'une colonne dans un tube de diamètre supérieur par l'utilisation d'une bague et d'un manchon couplé à une seconde colonne afin d'obtenir un meilleur coulissement tandis que les caractéristiques du collier concernent un collier entourant les tubes et permettant d'espacer les connecteurs fixés aux extrémités supérieures de ceux-ci et portant les barreaux lorsque l'échelle est pliée afin de séparer les connecteurs successifs en position pliée.
Toujours selon la Cour, il ne peut qu'être considéré – ainsi que le fait valoir la société A et comme l'ont retenu les premiers juges – qu'aucun effet technique supplémentaire n'est produit par la mise en œuvre des caractéristiques de ces deux groupes ; il s'en déduit que la brevetabilité de chacune de ces caractéristiques doit être examinée séparément.
Après examen de la validité d'une part des caractéristiques de la revendication 1 relatives au guidage de coulissement, ensuite des caractéristiques de la revendication 1 concernant le collier, la Cour confirme le jugement en ce qu'il a énoncé que la revendication 1 du brevet européen 1 448 865 ne témoigne pas d'une activité inventive et doit être annulée.
GB – Royaume-Uni
Cour d'appel, 29 juillet 2013 – Generics [UK] Ltd t/a Mylan c. Yeda Research and Development Co. Ltd et Teva Pharmaceutical Industries Ltd [2013] EWCA Civ 925
Mot-clé : activité inventive – contribution technique – preuves publiées ultérieurement
Mylan avait demandé l'annulation du brevet de Yeda, qui portait sur un copolymère synthétique connu en tant que copolymère-1.
Pour soutenir son objection liée à l'évidence, Mylan a notamment contesté la contribution technique exposée dans le brevet. Selon Lord Justice Floyd, cela soulevait une question de droit. Le juge du fond avait estimé que si un fascicule de brevet rendait "plausible" un effet technique, Mylan n'était pas admise à contester l'existence de cet effet en utilisant des preuves ultérieures. Pour comprendre la conclusion du juge, il était nécessaire de passer en revue certaines décisions rendues à l'OEB et au Royaume-Uni.
Parmi les motifs de nullité d'un brevet qui sont prévus dans la CBE ou dans la loi sur les brevets de 1977, aucun ne porte sur le défaut de contribution technique du brevet à l'état de la technique. Cependant, l'approche "problème-solution" que l'OEB met en œuvre au titre de la CBE en cas d'objection relative à l'absence d'activité inventive implique nécessairement d'isoler du brevet (en comparaison avec l'état de la technique) une certaine contribution technique ou un effet technique donné. L'OEB applique cette approche afin de formuler un problème technique que le brevet résoud en obtenant cet effet technique, et de déterminer ensuite si ce problème est résolu de manière évidente ou non par le brevet.
Les effets techniques doivent se retrouver sur l'ensemble de la revendication attaquée. Cela résulte du principe fondamental qui est appliqué en droit des brevets, et selon lequel l'étendue du monopole conféré par un brevet doit être justifiée par la contribution technique apportée à l'état de la technique. Si certains seulement des produits couverts par une revendication possèdent une propriété particulière, le problème technique ne peut pas être formulé sur la base de cette propriété. Il faut soit exclure de la revendication – en la modifiant – les produits qui ne présentent pas la propriété, soit formuler le problème en s'appuyant sur une autre contribution technique donnée, qui soit valable pour toute la revendication. Ces principes découlent de la décision T 939/92. Dans l'affaire T 1329/04, la chambre a déterminé dans quelle mesure l'effet technique invoqué doit être étayé par des preuves divulguées dans le fascicule, ou peut être établi par des preuves ultérieures, et a conclu qu'un effet peut être invoqué si le fascicule divulgue suffisamment d'informations pour rendre "plausible" l'effet pertinent.
La décision T 939/92 a été examinée dans les affaires Conor Medsystems Ltd c. Angiotech Pharmaceuticals Inc [2008] UKHL 49 et Dr Reddy's Laboratories (UK) Ltd c. Eli Lilly and Co Ltd [2010] RPC 9. Il n'y avait pas eu d'examen de la question de savoir ce qu'il advenait de l'objection relative à l'absence d'activité inventive lorsqu'une propriété ou un effet technique rendu(e) plausible par le fascicule se révélait en réalité inexistant(e). Le juge de première instance a accepté l'argument consistant à dire, en référence à la décision T 1329/04, que des preuves ultérieures ne peuvent pas être utilisées pour contredire l'existence de l'effet plausible. Cependant, Lord Justice Floyd a indiqué que pour déterminer si une invention était évidente à la date de priorité, il faut répondre à la question préalable et purement factuelle de savoir en quoi consiste l'invention.
Il n'existe pas de principe général selon lequel toutes les preuves admises au titre de l'évidence doivent être des preuves qui soient disponibles à la date de priorité. Les réactions des experts du domaine concerné face à l'invention (qui sont postérieures à la date de priorité) peuvent, par exemple, constituer des preuves secondaires de l'activité inventive. Il est également fréquent d'admettre la preuve d'un succès commercial ultérieur, même s'il est nécessaire d'établir que ce succès commercial est dû à l'invention (cf. Schlumberger Holdings Ltd c. Electromagnetic Geoservices A/S [2010] EWCA (Civ) 819). L'application de l'approche problème-solution pour établir l'évidence oblige la cour ou le Tribunal à juger l'inventivité en s'appuyant sur la contribution de l'invention en termes d'effets ou de progrès techniques. Cependant, comme n'importe quel fait touchant à une question litigieuse, on ne peut exclure que cette contribution soit réfutée.
La règle énoncée dans la décision T 1329/04, et selon laquelle un effet technique invoqué doit être rendu plausible par le fascicule et ne peut être démontré pour la première fois par des preuves ultérieures, n'a pas été soulevée mais elle ne pouvait servir de base à la règle différente à laquelle le juge était parvenu en ce qui concernait la question de savoir si les preuves ultérieures pouvaient être utilisées pour réfuter un effet rendu plausible par le fascicule. Selon Lord Justice Floyd, il n'existait pas d'objection de principe à l'admission de preuves concernant la véritable nature des progrès réalisés par l'invention, dans le cadre d'une objection relative au défaut d'activité inventive. Cependant, le simple fait que des preuves invalidaient la contribution technique initiale qui avait été invoquée par le titulaire du brevet, ne conduisait pas inéluctablement à la conclusion selon laquelle le brevet était évident. Le titulaire du brevet peut faire valoir à titre d'alternative une contribution technique moins ambitieuse. La partie qui attaque le brevet aurait encore à convaincre la juridiction que l'invention était évidente, et mentionnerait à cet effet ce que l'homme du métier aurait connu et fait à la date de priorité.
4. Homme du métier
DE – Allemagne
Cour fédérale de justice, 12 décembre 2012 (X ZR 134/11) – Composition de polymère
Mot-clé : activité inventive – connaissances de l'homme du métier
La Cour fédérale de justice a estimé que, contrairement à l'examen de nouveauté, la question de savoir si un document antérieur divulgue "directement et sans ambiguïté" une caractéristique d'une invention n'est pas pertinente pour conclure à l'absence d'activité inventive. Il importe bien davantage d'établir si, à la date de priorité, l'état de la technique suggérait l'objet de l'invention à l'homme du métier. D'une part, cela exige que l'homme du métier ait été en mesure de mettre au point la solution revendiquée au problème technique à partir de l'état de la technique disponible, et ce en se fondant sur les connaissances et les compétences acquises grâce à sa formation et à son expérience professionnelle. D'autre part, il faut également que l'homme du métier ait eu des raisons d'adopter la même approche que l'invention, ce qui exige en général, au-delà de la simple reconnaissance du problème technique, que quelque impulsion, suggestion, indication ou autre raison l'ait poussé à agir ainsi (Cour fédérale de justice du 30 avril 2009 – Fonctionnement d'un dispositif de sécurité ; Cour fédérale de justice du 8 décembre 2009 – Œillet monopièce ; Cour fédérale de justice du 20 décembre 2011 – Dispositif d'installation). Afin de vérifier si l'état de la technique a suggéré à l'homme du métier, au moyen d'un document antérieur, la solution selon l'invention, il faut prendre en compte non seulement ce qui ressort directement et sans ambiguïté de ce document aux yeux de l'homme du métier, mais également ce que celui-ci peut déduire de ce document en faisant appel à ses connaissances techniques.
FR – France
Cour de Cassation, 13 décembre 2011 [10-27413] – SAS Technip France c. SA ITP
Mot-clé : activité inventive – définition de l'homme du métier
La société I est titulaire d'un brevet français 9 604 812 couvrant un tuyau pour canalisations du type à double enveloppe d'isolation thermique ; la société T a demandé l'annulation des revendications 1 à 16 de ce brevet pour défaut d'activité inventive. La société T fait grief à l'arrêt de la cour d'appel de Paris du 22 septembre 2010 d'avoir rejeté cette demande, la cour d'appel ayant défini l'homme du métier comme un ingénieur en conception et fabrication de pipelines, alors, selon la société T, que le brevet français ne concernait pas uniquement des pipelines, mais se rapportait au domaine technique général des canalisations, ne se référant aux canalisations sous-marines de produits pétroliers qu'à titre d'exemple non limitatif d'application de l'invention.
La cour de cassation juge que l'invention vise à réaliser des canalisations, à double enveloppe d'isolation thermique, présentant une bonne étanchéité et durabilité tout en étant susceptibles de couvrir de très importantes distances et de résister à des opérations de transport, d'assemblage et d'immersion ainsi qu'à de fortes contraintes au regard des fluides véhiculés qui doivent rester à des températures constantes. En l'état de ces constatations et appréciations, la cour d'appel qui a retenu, sans méconnaître la portée du brevet, que l'invention ne pouvait s'étendre au-delà des tuyaux devant répondre aux mêmes exigences que les gazoducs et oléoducs sous-marins, a pu décider que l'homme du métier était un ingénieur en conception et fabrication de pipelines.
FR – France
Cour d'appel de Paris, 13 janvier 2012 (10/17727) – Sandoz c Eli Lilly
Mot-clé : activité inventive – homme du métier – preuves
Le brevet européen 0 577 303 est un brevet de procédé de glycosylation stéréosélectif pour préparer des nucléosides dont la Gemcitabine fait partie. Par jugement du 2 juillet 2010, le Tribunal a débouté la société Sandoz de sa demande de nullité des revendications du brevet européen de la société Eli Lilly.
La Cour juge qu'il appartient à la société Sandoz de démontrer qu'à la date de priorité du brevet, l'homme du métier aurait trouvé des éléments dans l'état de la technique qui l'auraient incité, avec un espoir raisonnable de réussite, à parvenir à l'invention, sans faire lui-même preuve d'activité inventive. Comme il résulte de la jurisprudence des chambres de recours de l'OEB, pour caractériser le défaut d'activité inventive, il ne s'agit pas de savoir si l'homme du métier aurait été en mesure de réaliser l'invention en modifiant l'état de la technique, mais s'il aurait agi dans l'espoir d'aboutir aux avantages qui ont été réellement obtenus à la lumière du problème technique posé, parce que l'état de la technique contenait des suggestions en ce sens.
En l'espèce, l'homme du métier n'aurait pas été incité à mettre en œuvre les informations divulguées et à surmonter les difficultés qui en résultent pour parvenir, sans faire lui-même preuve d'activité inventive, à l'objet de l'invention.
Sur l'insuffisance de description alléguée, la Cour énonce qu'il appartient à celui qui soutient que l'invention n'est pas suffisamment décrite d'en rapporter la preuve, en pesant les probabilités que l'homme du métier serait incapable d'exécuter l'invention à partir de ses seules connaissances scientifiques et technologiques, précision devant être faite que la preuve doit être rapportée au-delà d'un doute raisonnable et que le bénéfice de ce doute doit profiter au titulaire du brevet. Or, la société Sandoz ne rapporte pas cette preuve d'après la Cour. En l'espèce, la Cour juge que l'homme du métier trouve, dans les nombreux exemples de la description du brevet qui servent à illustrer les revendications, les conditions pour mettre en œuvre l'invention. La Cour au surplus précise qu'il y a lieu de lire la description comme les revendications avec l'intention de les comprendre et de leur donner un sens du point de vue technique plutôt que de les examiner en manquant d'esprit constructif et avec l'intention de trouver des arguments pour ne pas parvenir à la réalisation de l'invention. Et quand bien il subsisterait certaines ambiguïtés dans l'exposé de l'invention, ce qui n'est pas démontré, il appartiendrait encore à la société Sandoz de démontrer que celles-ci empêcheraient l'homme du métier en dépit de ses connaissances techniques générales de réaliser l'invention.
Le jugement du Tribunal de grande instance de Paris est confirmé par la Cour d'appel de Paris.
FR – France
Cour de Cassation, 20 novembre 2012 [11-18440] – Boegli gravures c. Darsail
Mot-clé : activité inventive – homme du métier – définition
Une société de droit suisse est titulaire du brevet européen 1 324 877 déposé le 3 octobre 2001, sous priorité d'un brevet suisse déposé le 13 octobre 2000, désignant la France et couvrant un dispositif pour gaufrer et satiner un matériau plat ; cette société, estimant qu'une société de droit russe commercialisait des dispositifs reproduisant les caractéristiques de son brevet européen, l'a fait assigner en contrefaçon des revendications 1, 2, 5 et 8 de celui-ci.
Pour déclarer nulles, faute d'activité inventive, ces revendications, l'arrêt attaqué de la cour d'appel, après avoir constaté que, selon la nature de la feuille d'emballage à traiter et la proportion des reliefs à créer sur celle-ci, la technique utilisée relevait de l'emboutissage, de l'estampage, du gaufrage ou du satinage, retient que l'homme du métier n'est ni un concepteur de machine-outil, ni un ingénieur en micro mécanique possédant des connaissances en optique.
La Cour de cassation, au visa des articles L. 614-12 CPI, 56 et 138 CBE, juge qu'en statuant ainsi, sans donner une définition précise de l'homme du métier, alors que l'activité inventive des revendications du brevet européen en cause devait s'apprécier au regard de l'homme du métier qui était celui du domaine technique où se posait le problème que l'invention, objet de ce brevet, se proposait de résoudre, la cour d'appel a violé lesdits articles.
E. Applicabilité industrielle
GB – Royaume-Uni
Cour suprême, 2 novembre 2011 – Human Genome Sciences Inc c. Eli Lilly [2011] UKSC 51
Mot-clé : applicabilité industrielle – biotechnologie
L'affaire concernait la brevetabilité d'une protéine appelée par HGS "neutrokine-α", de ses anticorps et de la séquence de polynucléotides codant pour cette protéine. HGS avait été le premier à découvrir son existence, en se servant de techniques "bioinformatiques".
Le juge de première instance avait estimé que les revendications du brevet (EP (UK) 0 939 804) n'étaient pas valides, pour un triple motif : elles n'étaient pas susceptibles d'application industrielle, présentaient une insuffisance de l'exposé et étaient évidentes du fait d'un défaut de contribution technique. HGS a contesté l'ensemble de ces conclusions.
La Cour d'appel, confirmant à cet égard le jugement de l'instance inférieure, a rejeté l'appel pour défaut d'applicabilité industrielle, de sorte qu'il n'était plus nécessaire de prendre en considération les autres motifs. HGS, titulaire du brevet, s'est pourvu contre cette décision. La Cour suprême a fait droit au pourvoi, a rejeté le recours incident concernant l'insuffisance, et a renvoyé l'affaire devant la Cour d'appel pour qu'elle statue sur les questions en suspens (sur ce point, voir aussi le chapitre II. "Possibilité d'exécuter l'invention").
Le brevet suggère des usages très larges pour la neutrokine-α et ses anticorps, mais son seul enseignement porte en définitive sur la distribution dans les tissus de la neutrokine-α, son expression dans les lymphocytes T et les lymphomes des cellules B, et le fait qu'elle appartient à la superfamille des ligands du TNF. Par conséquent, la question était de savoir si le juge de première instance avait eu raison de considérer comme insuffisantes pour satisfaire à l'art. 57 CBE les conclusions que l'on pouvait en tirer en 1996. Selon lui, les fonctions attribuées à la neutrokine-α étaient "tout au plus des espoirs, et ceux-ci se situaient à un niveau de généralité bien trop élevé pour servir de base à autre chose qu'un projet de recherche".
La Cour suprême a reconnu que les autorités auxquelles se référer en matière d'applicabilité industrielle étaient très rares au Royaume-Uni, et qu'il fallait chercher les principes applicables dans la jurisprudence des chambres de recours de l'OEB. L'approche du juge n'a pas été conforme à celle suivie par les chambres concernant l'art. 57 CBE en rapport avec les matières biologiques, et que l'on peut résumer comme suit :
(i) Le brevet doit divulguer une "application pratique" et "un usage commercial" de la substance revendiquée, de sorte que l'on puisse s'attendre à ce que le monopole issu du brevet conduise à un quelconque ... "avantage commercial" (T 870/04, T 898/05) ;
(ii) Un "avantage concret", à savoir l'utilisation de l'invention "dans la pratique industrielle" doit "découler directement de la description", en combinaison avec les connaissances générales de l'homme du métier (T 898/05, T 604/04) ;
(iii) Un usage purement "spéculatif" ne suffit pas, pas plus qu'une "mention vague et spéculative des objectifs qui pourraient ou non être atteints" (T 870/04, T 898/05) ;
(iv) Le brevet et les connaissances générales de l'homme du métier doivent permettre à ce dernier de "reproduire" ou "exploiter" l'invention revendiquée au prix d'un "effort raisonnable" et sans devoir mettre en œuvre un "programme de recherche" (T 604/04, T 898/05) ;
D'autres principes ont également été exposés, concernant les nouvelles protéines et leurs gènes codants, ainsi que les membres de familles ou de superfamilles.
Selon le juge de première instance, le brevet divulguait la neutrokine-α comme membre de la superfamille des ligands du TNF. A la lumière des principes établis par les chambres de recours, ceci aurait dû suffire, compte tenu des connaissances générales de l'homme du métier, pour satisfaire à l'art. 57 CBE. La Cour suprême s'est considérablement aidée de l'approche exposée dans T 18/09 (décision de la chambre de recours au sujet du même brevet). La chambre avait conclu que la divulgation d'un nouveau membre de la superfamille des ligands du TNF (avec des détails de sa distribution dans les tissus) suffisait à satisfaire aux exigences de l'art. 57 CBE. En effet, tous les membres connus étant exprimés sur des lymphocytes T et pouvant stimuler la prolifération des lymphocytes T, on pouvait s'attendre à ce que la neutrokine-α eût une fonction similaire.
Le juge a estimé que la divulgation par le brevet des utilisations de la neutrokine-α, même combinée aux connaissances générales de l'homme du métier, n'était rien moins que "spéculative", et sans "avantage concret immédiat". Il n'empêche que cet argument supposait que la divulgation du brevet était insuffisante en elle-même pour satisfaire à l'art. 57 CBE. Si, selon l'approche de la chambre, les activités connues de la superfamille des ligands du TNF suffisaient à justifier la brevetabilité pour la divulgation d'une nouvelle molécule (et son gène encodant) identifiée de façon plausible comme membre de ladite famille, la validité du brevet n'était pas remise en cause du simple fait que des travaux supplémentaires s'imposaient pour déterminer si la divulgation produisait effectivement les effets thérapeutiques escomptés. Pour ces mêmes motifs, il fallait aussi rejeter le recours incident alléguant l'insuffisance.
Le critère fixé par le juge de première instance en matière d'applicabilité industrielle était plus exigeant que celui utilisé par les chambres de recours. Le juge a cherché une description démontrant une utilisation particulière du produit, et non pas simplement que le produit était "utilisable", notamment comme molécule pouvant servir de base dans la recherche. Dans T 18/09, la chambre a considéré que cela constituait en soi une activité industrielle.
Il y a donc eu annulation de la décision du Tribunal des brevets selon laquelle les inventions revendiquées n'étaient pas susceptibles d'application industrielle à la date du brevet.
F. Double brevetabilité
FR – France
Tribunal de Grande Instance de Paris, 20 mars 2012 (09/12706) – Teva c. Eli Lilly
Mot-clé : deuxième application thérapeutique – brevetabilité – interdiction de double brevetabilité – principe général
La société Eli Lilly est titulaire des brevets européens 1 438 957 et 0 584 952 protégeant notamment l'utilisation de raloxifène pour la prévention de l'ostéoporose. Le but de l'invention est de fournir des méthodes pour inhiber la perte de masse osseuse sans les effets négatifs associés de la thérapie par des oestrogènes. Un médicament générique à base de raloxifène a été commercialisé par la société Teva. Teva demande la nullité des brevets.
Sur l'insuffisance de description, Teva reprochait au brevet européen 952 de n'avoir indiqué dans sa description aucun résultat expérimental applicable à la femme post-ménopausée. Le Tribunal après examen énonce qu'il ne peut être reproché à Eli Lilly – qui a véritablement mené des recherches sur le modèle animal – d'avoir seulement spéculé sur des résultats. Il ne peut pas non plus lui être reproché d'avoir déposé une demande de brevet sans avoir attendu les résultats sur la femme post-ménopausée. Le Tribunal juge l'invention suffisamment décrite.
Sur le défaut de nouveauté, Teva fait valoir que la forme de la revendication 1 rédigée sous la forme suisse indique qu'il s'agit d'une nouvelle application thérapeutique d'une substance connue qui ne saurait conférer la nouveauté requise par l'art. 54 CBE 1973 applicable aux brevets en raison de leur date de dépôt. Le tribunal répond qu'il n'existait même sous l'empire de la CBE 1973 aucune impossibilité de reconnaitre la validité d'une seconde application thérapeutique à condition de pouvoir établir que cette application était nouvelle ou inventive et pas déjà contenue dans l'art antérieur.
Sur le défaut d'activité inventive, le tribunal a énoncé que la biodisponibilité n'est pas un préjugé à vaincre et nécessite un travail de routine sur le dosage en vue d'élaborer le médicament, travail de routine qui peut être long et onéreux et qu'a effectué la société Eli Lilly dans ses laboratoires, mais qui n'implique aucune activité inventive. En conséquence, la revendication 1 du brevet européen 952 est déclarée nulle pour défaut d'activité inventive.
Sur la double brevetabilité, le tribunal, se référant à l'art. L 611-1 CPI et les décisions G 1/05 et G 1/06, énonce qu'il n'est pas contesté qu'une invention ne peut donner droit qu'à la délivrance d'un seul titre. Cette interdiction ne s'apprécie pas seulement lors de la délivrance du brevet ; il revient aux juridictions de mettre en œuvre ce principe général, même s'il n'est pas repris explicitement dans la convention de Munich, car il constitue un moyen de nullité parmi les autres. En l'espèce, le tribunal conclut que le moyen tenant à la double brevetabilité est fondé et le brevet européen 952 doit être annulé dans toutes ses revendications.
Il annule aussi la partie française du brevet européen 957.
Note de la rédaction : le jugement a fait l'objet d'un appel reporté également au chapitre I.C.3. "Nouveauté de l'utilisation", voir CA Paris, 12 mars 2014 RG 12/07203 Eli Lilly c. Teva. L'arrêt de la cour d'appel infirme partiellement le jugement sur ce point décidant que : la demande de nullité de la partie française du brevet européen 0 584 952 pour double brevetabilité par rapport au brevet européen 1 438 957 est devenue sans objet du fait de l'annulation de la partie française de ce dernier brevet.
GB – Royaume-Uni
Tribunal des brevets, 20 juin 2014 – Koninklijke Philips Electronics NV c. Nintendo of Europe GmbH [2014] EWHC 1959 (Pat)
Mot-clé : double protection par brevet – modifications après délivrance
Dans le cadre d'une procédure de contrefaçon et de validité, Nintendo a soulevé une objection de double protection par brevet contre une demande de modification déposée par Philips. Étant donné que le pouvoir d'appréciation du tribunal d'autoriser des modifications après la délivrance du brevet lui impose de tenir compte des principes appliqués en la matière à l'OEB (s. 75(5) Patents Act 1977), le juge Birss a examiné la jurisprudence britannique ainsi que les décisions de l'OEB pertinentes.
Le judge Birss a expliqué que la question de la double protection revêt une importance encore plus grande lorsque deux brevets ne sont pas identiques sur la forme, mais concernent sur le fond la même invention (comme dans l'affaire IBM's (Barclay and Biggar's) Application [1983] RPC 283). Dans l'affaire Marley's Roof Tile [1994] RPC 231, la Cour d'appel avait estimé que la section 73(2) Patents Act 1977, qui traite de la double protection conférée par un brevet EP (Royaume-Uni) et un brevet national du Royaume-Uni, s'appliquait également aux revendications qui se recoupent, et non pas uniquement aux revendications qui ont la même (ou presque la même) portée.
A l'OEB, la question de la double protection par brevet s'est posée dans le cadre de demandes divisionnaires. Une objection relative à la double protection soulevée par l'examinateur contre les revendications d'une demande divisionnaire ultérieure peut être levée par des modifications appropriées. Dans les affaires G 1/05 et G 1/06, la Grande Chambre de recours a admis que l'interdiction de la double protection était fondée sur le fait qu'un demandeur n'a pas d'intérêt légitime à voir une procédure aboutir à la délivrance d'un deuxième brevet pour le même objet. Elle n'a donc rien eu à redire contre la pratique constante de l'OEB, qui consiste à faire objection aux modifications de demandes divisionnaires et à rejeter ces modifications lorsque la demande divisionnaire modifiée revendique le même objet qu'une demande initiale encore en instance ou qu'un brevet délivré sur la base d'une demande initiale. Le juge a également tenu compte des décisions T 307/07, T 1391/07 et T 1423/07.
Les principes que le juge Birss a tirés des affaires ci-dessus peuvent être résumés comme suit :
1. Normalement, un demandeur ne devrait pas obtenir deux brevets portant sur le même objet pour lequel deux demandes ont été déposées à la même date. Un demandeur n'a normalement pas d'intérêt légitime à agir ainsi.
2. La "double protection par brevet" ne constitue pas une cause de nullité du brevet (s. 72 Patents Act 1977 et art. 138 CBE). Dans certaines circonstances, sur l'initiative du Comptroller, la double protection peut conduire au rejet ou à la révocation du brevet (s. 18(5) et 73(2) Patents Act 1977).
3. L'OEB considère l'objection de double protection par brevet comme un motif valable de rejet des modifications d'une demande divisionnaire, à la condition que la revendication de la demande divisionnaire dont la modification est proposée revendique le même objet que la revendication de la demande initiale et que le demandeur n'ait pas d'intérêt légitime à obtenir la revendication de la demande divisionnaire. En général, si la première condition est remplie, il est probable que la deuxième le soit également, mais il arrive que ce ne soit pas le cas (comme dans l'affaire T 1423/07).
4. L'OEB reconnaît qu'il y a double protection par brevet lorsque la revendication indépendante d'une demande divisionnaire a la même portée qu'une revendication indépendante de la demande initiale. Toute modification qui conduirait à une telle situation sera rejetée. L'examen porte alors sur le fond et non pas seulement sur la forme. Selon la jurisprudence établie de l'OEB, il ne suffit pas que les portées respectives des deux revendications se recoupent pour qu'il y ait double protection.
5. Il convient d'être attentif lorsque l'on compare les différentes circonstances des procédures dans lesquelles cette question peut se poser. L'OEB ne traite que d'un brevet à la fois. Par conséquent, lors de l'examen d'une demande divisionnaire, l'OEB n'envisagera pas de modifier les revendications d'une demande initiale afin de lever une objection.
6. L'arrêt de la Cour d'appel rendu dans l'affaire Marley's Roof Tile porte sur l'interprétation de la s. 73(2) Patents Act 1977 et n'est pas contraignant en ce qui concerne l'exercice du pouvoir d'appréciation au titre de la s. 75 de cette même loi.
7. Le titulaire d'un brevet peut avoir un intérêt légitime à obtenir, dans le cadre d'une demande divisionnaire, un brevet dont les revendications sont plus larges que celles du brevet initial, tout en les englobant. Au cours de la procédure relative à la demande initiale, l'examinateur peut s'opposer à une revendication de large portée, tout en indiquant qu'une revendication de portée plus restreinte serait acceptée. Le titulaire du brevet pourrait ne pas être d'accord mais souhaiter que le brevet soit délivré rapidement, parce qu'une autre société a lancé un produit concurrent contrefaisant le brevet, qui pourrait tomber sous le coup de la revendication de portée restreinte proposée. Ainsi, le titulaire du brevet décide d'accepter ce qui est proposé et d'obtenir sur la base de sa demande initiale un brevet avec une revendication de portée restreinte. Conformément à la s. 76 Patents Act 1977 et à l'art. 123(3) CBE, il n'est pas permis de modifier un brevet après sa délivrance de façon à étendre la portée du monopole conféré. Ainsi, afin de ne pas renoncer à la protection à laquelle il a droit, le titulaire d'un brevet peut déposer une demande divisionnaire. Si le brevet délivré sur la base de la demande divisionnaire a une portée plus large que le brevet issu de la demande initiale, la position du titulaire du brevet s'en trouve pleinement confortée.
Dans ce cas, le titulaire du brevet a un intérêt légitime à obtenir un brevet sur la base de sa demande divisionnaire en plus du brevet initial. Il serait erroné de soulever une objection de double protection par brevet au motif que les portées respectives des brevets se recoupent, comme dans les affaires T 307/07 ou Marley's Roof Tile. En droit britannique, l'objection de double protection ne devrait être soulevée comme motif de rejet d'une modification apportée à une revendication après la délivrance du brevet que dans les circonstances suivantes :
i) Les deux brevets doivent avoir la même date de priorité et être détenus par le même demandeur (ou son ayant cause).
ii) Les deux revendications doivent porter sur la même invention : elles doivent avoir le même objet et la même portée. La portée doit être examinée sur le fond. De légères différences de formulation n'empêcheront pas l'objection. Toutefois, si une revendication couvre des modes de réalisation qui ne sont pas englobés pas l'autre revendication, il ne peut pas être soulevé d'objection.
iii) Les deux revendications doivent être des revendications indépendantes. Cette condition découle du fait que le recoupement de la portée des revendications n'est pas considéré comme un motif d'objection. Si deux revendications indépendantes ont une portée différente, rien ne justifie de soulever une objection, même si les brevets contiennent des revendications dépendantes ayant la même portée.
iv) Si l'objection est soulevée devant le tribunal des brevets où les deux brevets sont en cours d'instruction, elle peut alors être levée par la modification d'un des deux brevets.
v) Même si l'objection est soulevée à juste titre, en ce sens que deux revendications pertinentes ont la même portée, la modification ne devrait pas être refusée si le titulaire du brevet a un intérêt légitime au maintien des deux revendications.