CHAMBRES DE RECOURS
Décisions des Chambres de recours techniques
Décision de la Chambre de recours technique 3.3.3, en date du 15 juillet 1997 - T 97/94 - 3.3.3*
(Langue de la procédure)
Composition de la Chambre :
Président : | C. Gérardin |
Membres : | B. ter Laan |
J. A. Stephens-Ofner |
Titulaire du brevet/requérant : CECA S.A.
Opposant/intimé : | (01) Bayer AG |
(02) Grace GmbH |
Référence : Calendrier de procédure/CECA
Article : 54, 114(2), 117(1)d) CBE
Règle : 71bis(1), 72(1), 72(2) CBE
Mot-clé : "Dénonciation tardive de témoins - demande d'audition refusée" - "Utilisation antérieure accessible au public (non) - force probante insuffisante des moyens de preuve invoqués - lacunes dans l'enchaînement des moyens de preuve invoqués"
Sommaire
I. Si selon la décision G 6/95 la règle 71bis(1) CBE est pour les chambres de recours facultative dans son application en ce sens qu'elle laisse à celles-ci toute latitude pour la préparation de la procédure orale, elle demeure en revanche pour les parties contraignante dans son exécution. Ainsi, lorsqu'une chambre de recours décide d'adresser aux parties une notification au titre de la règle 71bis(1) CBE, celles-ci sont tenues d'en respecter la teneur, en particulier en ce qui concerne la date limite de réponse (point 3.5.1).
II. En cas de changement de mandataire à un stade tardif de la procédure ne résultant pas d'un cas de force majeure, le nouveau représentant est tenu de poursuivre la procédure en l'état où elle se trouvait au moment où il a assumé la succession de son prédécesseur. En tout état de cause, ce changement ne peut être l'occasion pour une partie, dans la présente affaire une intimée/opposante, de recourir à une nouvelle stratégie de défense basée sur une audition de témoins imprévisible au vu des arguments présentés et des requêtes formulées antérieurement (point 3.5.3).
III. Dans le cas d'une objection d'utilisation antérieure accessible au public le critère de l'appréciation de la probabilité, sur lequel les chambres de recours fondent habituellement leur conviction, est à interpréter selon des normes plus sévères atteignant pratiquement la conviction absolue, autrement dit la certitude allant au-delà de tout doute raisonnable (point 5.1).
Exposé des faits et conclusions
I. La demande de brevet européen n° 86 402 042.5, déposée le 18 septembre 1986, pour laquelle a été revendiquée la priorité du 20 septembre 1985 fondée sur un dépôt antérieur en France (FR 8513951), a donné lieu le 3 janvier 1990 à la délivrance du brevet européen n° 0 239 706 sur la base de 6 revendications, les revendications indépendantes 1 et 4 s'énonçant comme suit :
"1. Méthode de préparation de polyuréthanes exempts d'inclusion gazeuse, par mélange de deux composants séparément conservables sans variation importante de réactivité, le composant renfermant le réactif hydroxylé contenant un déshydratant constitué par une zéolite, caractérisée en ce que la zéolite, sous sa forme anhydre, répond à la formule générale :
a Na2O.b K2O.c MO.Al2O3 . m SiO2
où b est un nombre compris entre 0,1 et 0,5,
c est un nombre compris entre 0,1 et 0,5 ;
où a est un nombre tel que l'on ait
a + b + c = 1 ;
où m est un nombre compris entre 1,35 et 2,35 ;
où M représente le calcium ou le magnésium."
"4. Composant stable au stockage, pour polyuréthanes exempts d'inclusion gazeuse, constitué d'au moins un réactif organique polyhydroxylé et une zéolite, caractérisé en ce que la zéolite, sous sa forme anhydre, répond à la formule générale :
a Na2O.b K2O.c MO.Al2O3 . m SiO2
où b est un nombre compris entre 0,1 et 0,5,
c est un nombre compris entre 0,1 et 0,5 ;
où a est un nombre tel que l'on ait
a + b + c = 1 ;
où m est un nombre compris entre 1,35 et 2,35 ;
où M représente le calcium ou le magnésium."
Les revendications 2 et 3 sont des revendications dépendantes concernant des modalités de mise en oeuvre particulières de la méthode selon la revendication 1.
Les revendications 5 et 6 sont des revendications dépendantes portant sur des composants préférés du composant pour polyuréthane selon la revendication 4.
II. Le 2 octobre 1990, deux oppositions ont été formées par les Sociétés Bayer (opposante 1) et Grace (opposante 2) à l'encontre du brevet européen précité, dans lesquelles la révocation du brevet était requise au titre des motifs énoncés à l'article 100a) CBE.
i) Les objections de défaut de nouveauté pour utilisation antérieure accessible au public et de défaut d'activité inventive s'appuyaient en particulier sur les documents suivants :
...
III. Par décision signifiée le 7 décembre 1993, la Division d'opposition a révoqué le brevet au motif que l'objet de toutes les revendications était dépourvu de nouveauté.
Il a été considéré comme établi
...
v) que, par conséquent, l'invention telle que revendiquée dans le brevet en litige devait être considérée comme relevant du domaine public avant la date de priorité.
IV. Le 1er février 1994, la requérante (titulaire du brevet) a formé un recours à l'encontre de cette décision en acquittant simultanément la taxe prescrite. Les arguments présentés dans le mémoire de recours déposé le 21 mars 1994 et dans un mémoire de réponse reçu ultérieurement mettaient l'accent sur la divergence entre les compositions annoncées dans les brochures commerciales et les rapports d'analyse produits par les opposantes.
...
V. Dans ses réponses du 2 août 1994 et 21 février 1995, l'intimée 1 (opposante 1) a fait valoir en riposte que
i) le produit "Zeolith L" spécifiquement conçu comme charge à fonction déshydratante pour compositions de polyuréthanes à deux composants, qui était à l'origine du type Na-K, avait contenu en plus des ions Ca à partir de 1975. La composition de ce produit, qui avait été commercialisé aussi bien sous forme de poudre que de pâte, n'avait pas été modifiée entre 1975 et 1986. Les documents B1 à B3 et les diverses déclarations sous la foi du serment produites devant la première instance montraient clairement que l'appellation "Baylith L" utilisée à partir de 1980 ne correspondait pas en fait à une nouvelle formulation,
ii) l'absence de toute référence au calcium dans les documents C1 à C3 ne pouvait s'interpréter comme l'absence de cet élément dans le produit lui-même. Il s'agissait en l'espèce de fiches techniques destinées aux utilisateurs qui sont traditionnellement davantage intéressés par les propriétés et les domaines d'utilisation des matériaux que par la nature exacte de ceux-ci, ...
VI. La citation à la procédure orale qui devait avoir lieu le 15 juillet 1997 a été adressée aux parties le 13 février 1997. Elle a été suivie d'une notification en date du 18 mars 1997 dans laquelle la Chambre avait défini les critères qu'elle entendait utiliser pour juger du bien-fondé de l'objection d'utilisation antérieure en se référant à la décision T 472/92 du 20 novembre 1996 (doit être publiée au JO OEB).
Quant à l'organisation de la procédure orale, la Chambre avait explicitement invité les représentants des diverses parties, au cas où ils entendaient se faire accompagner ou assister par d'autres personnes, d'en informer la Chambre et les autres parties au moins un mois avant la date de l'audience.
VII. Par lettre du 10 juin 1997, la requérante a révélé l'identité de ses deux représentants. De même, l'intimée 2 qui n'avait pas répondu en substance au mémoire de recours (lettre du 19 juillet 1994 : demande de prorogation du délai de réponse ; lettre du 6 juin 1995 : demande conditionnelle de procédure orale) a précisé l'identité de son représentant par lettre du 9 juin 1997.
Par lettre du 30 juin 1997 l'intimée 1 a fait part de son intention de recourir lors de la procédure orale à une audition de témoins, dont elle a communiqué l'identité le 7 juillet 1997 :
...
VIII. A la suite d'une lettre de la requérante en date du 9 juillet 1997 s'élevant contre la dénonciation tardive de témoins, le représentant de l'intimée 1 a justifié le jour même le non-respect du calendrier de procédure fixé par la Chambre en se référant à la règle 71bis(1) CBE, en invoquant la décision G 6/95 (JO OEB 1996, 649) et en faisant valoir qu'il venait seulement d'être mandaté par la Société Bayer pour la représenter lors de l'audience.
IX. Au début de la procédure orale la requérante a demandé à titre de requête préliminaire que les éventuelles interventions des personnes censées accompagner à titre de témoins les représentants de l'intimée 1 ne soient pas retenues. ...
Pour leur part, les intimées ont d'abord présenté divers arguments pour justifier la dénonciation tardive et la présence de témoins (intimée 1), puis suggéré le report de la procédure orale afin de permettre formellement leur audition (intimée 2). Quant au fond, elles se sont attachées à établir qu'il y avait un enchaînement sans failles des preuves concernant (i) la nature du produit Zeolith L/Baylith L, (ii) la correspondance entre le produit analysé et le produit commercialisé ainsi que (iii) la correspondance entre le produit livré et le produit mis en oeuvre dans la préparation de polyuréthanes. A cette fin, l'original du bulletin d'expédition n° A109/094818H31 (document B3, annexe 3a) a été présenté par l'intimée 1.
X. La requérante conclut à l'annulation de la décision attaquée et au maintien du brevet sans modifications.
Les intimées conclurent au rejet du recours.
Motifs de la décision
1. Le recours est recevable.
Dénonciation tardive de témoins
2. Il est courant aussi bien en procédure ex parte qu'inter partes pour une partie de recourir à une procédure orale pour développer des arguments déjà présentés par ailleurs par écrit (article 116(1) CBE).
2.1 Cette présentation orale du cas peut prendre la forme d'explications relatives à certains aspects techniques de l'invention, d'une déclaration relative à ce qu'un homme du métier aurait ou n'aurait pas mis en oeuvre à une certaine époque afin de résoudre un problème particulier, ou d'un exposé des difficultés qu'un homme du métier aurait ou n'aurait pas rencontrées lors de la mise en oeuvre de l'invention.
2.2 Une telle mesure d'instruction correspond à une procédure relativement souple laissée à l'initiative des parties jusqu'à un stade avancé de la procédure de recours. En pratique, afin d'assurer une procédure juste et équilibrée (articles 113(1) et 125 CBE), chaque partie est normalement tenue d'informer dans un délai raisonnable les autres parties de son intention de recourir à un expert lors de la discussion de telle ou telle question à trancher (G 4/95, JO OEB 1996, 412 ; motifs de la décision, point 10). Ceci est particulièrement le cas lorsque, comme dans la présente affaire, un calendrier de procédure a été fixé par la Chambre dans une notification adressée aux parties en préparation de la procédure orale invitant expressément celles-ci à faire part de leurs intentions en la matière.
2.3 Alternativement, la Convention prévoit à l'article 117(1)d) CBE parmi diverses mesures d'instruction l'audition de témoins qui impose la mise en oeuvre d'une procédure relativement rigide et complexe prévue aux règles 72 à 76 CBE et à laquelle il est pour cette raison rarement recouru. Cette mesure d'instruction a lieu en particulier si l'OEB estime nécessaire d'entendre lesdits témoins ou si une partie en fait explicitement la demande.
2.4 Selon la règle 72(1) CBE, "Lorsque l'Office européen des brevets estime nécessaire d'entendre des parties, des témoins ou des experts ou de procéder à la descente sur les lieux, il rend à cet effet une décision qui énonce la mesure d'instruction envisagée, les faits pertinents à prouver, les jour, heure et lieu où il sera procédé à ladite mesure d'instruction. Si l'audition de témoins ou d'experts a été demandée par une partie, la décision de l'Office européen des brevets fixe le délai dans lequel la partie requérante doit déclarer à cet Office les noms et adresses des témoins et experts qu'elle désire faire entendre."
La règle 72(2) CBE, première phrase, dispose en plus que "La citation des parties, des témoins ou des experts doit comporter un délai minimum de deux mois, à moins que les intéressés ne conviennent d'un délai plus bref."
3. Dans le cas de l'espèce, la dénonciation une semaine avant la date de l'audience de trois témoins devant accompagner le représentant de l'intimée 1 soulève un problème de procédure.
3.1 L'étude préliminaire du dossier ayant montré que les arguments présentés par les parties dans leurs mémoires respectifs n'appelaient pas de commentaires particuliers allant au-delà des contre-arguments déjà apportés par l'autre partie/les autres parties, voire déjà considérés par la première instance, la Chambre s'est contentée d'adresser aux parties le 18 mars 1997 une notification, dans laquelle était
- rappelé que la seule question à examiner lors de la procédure orale était l'objection d'utilisation antérieure accessible au public ;
- signalé que les critères que la Chambre entendait utiliser pour juger du bien-fondé de ladite objection avaient été exposés dans la décision T 472/92 (susmentionnée) ;
- explicitement mentionné en conclusion qu'au cas où les représentants des diverses parties entendaient se faire accompagner ou assister par d'autres personnes lors de la procédure orale, ils étaient priés d'en informer la Chambre et les autres parties au moins un mois avant la date de l'audience.
Cette formulation était à dessein suffisamment large pour inclure toutes les personnes susceptibles de contribuer à une clarification des points controversés, c'est-à-dire non seulement les personnes ayant déposé des déclarations sous la foi du serment en procédure d'opposition, mais aussi, compte tenu d'une éventuelle discussion et interprétation des résultats d'analyses présentés par les deux intimées, des experts dans la préparation des zéolites ainsi que les inventeurs eux-mêmes.
3.2 ...
3.3 Indépendamment de la date de la citation à la procédure orale adressée aux parties le 13 février 1997, il était évident depuis plus de deux ans au vu des requêtes formulées en ce sens par les trois parties (requérante : 21 octobre 1994 ; intimée 1 : 2 août 1994 ; intimée 2 : 6 juin 1995) qu'une procédure orale aurait effectivement lieu et qu'il appartenait donc à l'intimée 1 de prendre, pour ce qui la concernait, les mesures préliminaires propres à faciliter le moment venu la présence à l'audience des personnes ayant déposé des déclarations sous la foi du serment. Il lui incombait en particulier, au cas où elle avait effectivement l'intention de recourir à une audition de témoins telles que prévue à l'article 117(1)d) CBE, de se prononcer en ce sens sans même attendre la citation à la procédure orale afin que la Chambre de son côté rende une décision à cet effet et fixe le délai dans lequel l'intimée 1 serait tenue de déclarer à l'OEB les noms et adresses desdits témoins (règle 72(1) CBE). La réponse de l'intimée 1 du 21 février 1995, qui était le dernier mémoire déposé par les parties avant la citation à la procédure orale et dans laquelle l'intimée 1 réitérait en conclusion sa requête en procédure orale en souhaitant que celle-ci eût bientôt lieu, offrait le cadre idéal pour demander l'audition des témoins. En fait, le calendrier de procédure fixé par la Chambre permettait encore dès réception de la citation à la procédure orale que fussent mises en oeuvre les mesures prévues à cette fin dans la CBE.
3.4 Il va de soi que la dénonciation de trois témoins une semaine avant la procédure orale a pris la Chambre au dépourvu en ne lui permettant plus de se conformer aux dispositions de la règle 72(1) et, compte tenu de la requête préliminaire de la requérante visant à ne pas considérer les éventuelles interventions desdits témoins, de la règle 72(2) CBE. Elle a également rendu matériellement impossible pour la requérante de s'organiser de manière correspondante en appuyant sa propre défense sur des interventions d'experts techniques et/ou des explications des inventeurs, voire même de produire des témoins contraires. Un tel déséquilibre dans la qualité de la représentation est manifestement contraire aux principes de procédure généralement admis dans les Etats contractants (article 125 CBE), selon lesquels chaque partie doit être en mesure d'assurer sa défense de la manière la plus équitable possible.
3.5 Les arguments invoqués par l'intimée 1 pour justifier le non-respect du délai de réponse fixé par la Chambre ne sont pas acceptables pour les raisons exposées ci-après.
3.5.1 Comme l'a expliqué la Chambre lors de la procédure orale, l'allusion à la règle 71bis(1) CBE et la référence à la décision G 6/95 (susmentionnée) dans la lettre du 9 juillet 1997 de l'intimée 1 ne sont pas appropriées. Dans cette décision, qui portait uniquement sur la question de savoir si les chambres de recours étaient tenues d'envoyer une notification au titre de la règle 71bis(1) CBE lorsqu'elles citaient les parties à une procédure orale, la Grande Chambre de recours a statué que les dispositions à caractère obligatoire contenues dans cette règle en matière de procédure étaient applicables aux services de première instance de l'OEB, mais pas aux chambres de recours (motifs de la décision, point 5). Si, selon la décision de la Grande Chambre de recours, la règle 71bis(1) CBE est pour les chambres de recours facultative dans son application, en ce sens qu'elle laisse à celles-ci toute latitude pour la préparation de la procédure orale, elle demeure en revanche pour les parties contraignante dans son exécution, au même titre que les autres règles du règlement d'exécution. Ainsi, lorsqu'une chambre de recours, comme dans la présente affaire, décide d'adresser aux parties une notification au titre de la règle 71bis(1) CBE, celles-ci sont tenues d'en respecter la teneur, en particulier en ce qui concerne le calendrier de procédure.
3.5.2 Concernant la référence à la décision G 6/95 (susmentionnée), il convient encore de relever que la règle 71bis(1) CBE n'est pas le seul texte en relation avec l'appréciation de la recevabilité de nouvelles preuves présentées à un stade tardif de la procédure. Ainsi, la décision prise lors de la procédure orale par la présente Chambre de ne pas procéder à l'audition des témoins n'est pas fondée sur cette règle, mais sur l'article 114(2) CBE qui dispose qu'il peut ne pas être tenu compte des preuves que les parties n'ont pas produites en temps utile. La jurisprudence des chambres de recours a en effet établi que des preuves produites tardivement peuvent ne pas être admises faute de pertinence (cf. par exemple les décisions T 207/91 du 2 février 1993, T 713/91 du 26 janvier 1993 et T 141/92 du 29 juillet 1993, toutes non publiées au JO OEB) ou pour non-respect des exigences de l'équité (cf. par exemple les décisions T 939/90 du 16 décembre 1993 et T 685/91 du 5 janvier 1993, non publiées au JO OEB, ainsi que T 270/90, JO OEB 1993, 725).
3.5.3 L'autre explication du représentant de l'intimée 1, selon laquelle il aurait communiqué l'identité des témoins dès qu'il a été mandaté par la Société Bayer pour la représenter lors de la procédure orale et qu'il lui a été matériellement impossible d'agir plus tôt, ne saurait davantage être retenue. En effet, la Chambre relève qu'il n'a pas été démontré que le changement de mandataire à un stade aussi tardif de la procédure résultait d'un cas de force majeure. Ce changement, dû à la simple volonté du mandant, ne peut permettre d'écarter les considérations du point 3.5.2 ci-dessus. Le nouveau représentant était donc tenu de poursuivre la procédure en l'état où elle se trouvait au moment où il a assumé la succession de son prédécesseur. En tout état de cause, la désignation d'un nouveau représentant par la Société Bayer environ deux semaines avant la procédure orale ne pouvait pas être l'occasion pour l'intimée 1 de définir à bref délai une nouvelle stratégie de défense tout à la fois imprévisible au vu des arguments présentés et des requêtes formulées antérieurement, incompatible avec le calendrier de procédure fixé par la Chambre et contraire aux dispositions mêmes de la CBE.
3.6 Etant dans l'impossibilité de considérer les personnes accompagnant le représentant de l'intimée 1 comme des témoins au titre de l'article 117(1)d) CBE, la Chambre a finalement décidé après délibération intermédiaire que ces personnes resteraient à sa disposition, mais à l'extérieur de la salle où se déroulait la procédure orale, afin que leurs éventuelles déclarations ne puissent être influencées par le contenu des débats antérieurs. Les arguments des intimées au cours de l'audience, qui se sont appuyées sur les résultats d'analyses et les déclarations sous la foi du serment produits antérieurement, n'ont cependant pas apporté un éclairage nouveau sur les éléments déjà présents au dossier, rendant inutile l'intervention de ces personnes ; celle-ci n'a d'ailleurs plus été souhaitée par l'intimée 1 au cours des débats ayant suivi la délibération intermédiaire.
3.7 La solution inverse, qui avait été préconisée par l'intimée 2 et qui consistait à reporter la procédure orale de manière à pouvoir procéder ultérieurement à une audition formelle des témoins, n'a pas été retenue par la Chambre pour deux raisons.
La première est que l'étude des dossiers d'opposition et de recours ne mettait pas a priori en évidence la nécessité de compléter les informations écrites par de tels témoignages, ce que la suite de la procédure orale a d'ailleurs confirmé.
La deuxième est que la dénonciation de témoins une semaine avant la procédure orale est un détournement de procédure dont l'effet dilatoire aurait uniquement pénalisé la requérante en prolongeant la procédure de recours et, par là-même, l'incertitude pour le public concernant la nouveauté de l'objet des revendications du brevet en cause. Face à une telle situation, la Chambre a estimé que les intérêts de la requérante en tant que propriétaire du brevet devaient clairement prévaloir.
4. ...
Critères d'appréciation des preuves fournies par les intimées
5. Les conditions pour faire valoir une utilisation antérieure accessible au public ont été définies dans de nombreuses décisions des chambres de recours, p. ex. dans la décision T 194/86 (susmentionnée). Ainsi, pour déterminer si une invention a été rendue effectivement accessible au public par utilisation antérieure, il y a lieu de fournir les indications suivantes :
a) la date de l'utilisation antérieure ;
b) l'objet exact de l'utilisation antérieure ;
c) les circonstances de l'utilisation antérieure.
5.1 Dans sa notification du 18 mars 1997 la Chambre a fait référence à la décision T 472/92 (susmentionnée) pour préciser le degré de conviction qu'elle entendait utiliser lors de la procédure orale pour apprécier les éléments de preuve produits par les intimées. Selon cette décision, dans la mesure où ce sont les opposantes qui disposent pratiquement de la totalité des moyens de preuve, le critère de l'appréciation de la probabilité, sur lequel les chambres de recours fondent habituellement leur conviction, était à interpréter selon des normes plus sévères atteignant pratiquement la conviction absolue, autrement dit la certitude allant au-delà de tout doute raisonnable. Cette approche pour juger du bien-fondé d'une objection d'utilisation antérieure accessible au public, qui a été récemment confirmée dans la décision T 848/94 du 3 juin 1997 (non publiée au JO OEB), n'a pas été contestée par les parties, en particulier par les intimées.
5.2 Transposées au contexte de la présente affaire ces considérations ont conduit la Chambre, afin d'établir qu'il y avait un enchaînement sans failles des moyens de preuve relatifs à la nature des zéolites jusqu'à la préparation des polyuréthanes, à articuler les débats lors de la procédure orale autour des points suivants :
- composition de la zéolite fabriquée par l'intimée 1 ;
- correspondance entre le produit fabriqué et le produit commercialisé ;
- correspondance entre le produit commercialisé et le produit mis en oeuvre.
6. ...
7. ...
8. ...
Conclusion
9. Il a donc été successivement établi que
- le produit Baylith L est un produit commercial dont la composition est susceptible de varier dans des limites telles que la somme a + b + c est comprise, aux erreurs expérimentales de mesure près, entre environ 0,9 et environ 1. Seuls les échantillons N13.85 et N14.85 analysés par l'intimée 2 sont des produits tels que mis en oeuvre dans le brevet en litige (a + b + c = 1) (premier maillon) ;
- il n'y a aucune évidence qu'un produit tel qu'analysé par l'intimée 2 a été adressé à la Société Gießharzwerk Frechen ou à la Société Rütgerswerke et il n'y a aucune trace de réception par les destinataires des produits Baylith L, tels qu'identifiés par la Société Bayer, de sorte qu'aucune conclusion ne peut être tirée quant à la nature des zéolites commercialisées, donc disponibles pour utilisation ultérieure (deuxième maillon) ;
- même si l'utilisation de produits Baylith L dans les conditions requises a effectivement été démontrée (troisième maillon), il s'agit de produits de composition indéterminée ne permettant de tirer aucune conclusion.
Outre l'incertitude quant à la nature exacte des zéolites commercialisées, il ressort de ces conclusions partielles que la dénomination commune Baylith L pour désigner à la fois le produit analysé, le produit commercialisé et le produit mis en oeuvre n'est pas un gage d'identité en ce qui concerne la composition de ces diverses zéolites, ni par conséquent de continuité dans l'enchaînement des moyens de preuve invoqués par les intimées. Il en résulte que la force probante des diverses déclarations sous la foi du serment et des documents produits est tout à fait insuffisante pour démontrer avec le degré de conviction défini dans la décision T 472/92 (susmentionnée) que des produits tels que mis en oeuvre dans le brevet en litige en tant que charge déshydratante du composant polyol étaient disponibles auprès des Sociétés Gießharzwerk Frechen et Rütgerswerke pour fabriquer des polyuréthanes par mélange de deux composants. Il s'ensuit que l'allégation d'utilisation antérieure accessible au public est sans fondement et que, par conséquent, l'exigence de nouveauté est satisfaite pour l'objet de toutes les revendications.
...
10. ...
Dispositif
Par ces motifs, il est statué comme suit :
1. La décision attaquée est annulée.
2. L'affaire est renvoyée à l'instance du premier degré afin de poursuivre la procédure.
* Seul un extrait de la décision est publié. Une copie de la décision complète dans la langue de la procédure peut être obtenue auprès du Bureau d'information de l'OEB à Munich moyennant versement d'une taxe de photocopie de 1,30 DEM par page.