CHAMBRES DE RECOURS
Décisions des Chambres de recours techniques
Décision de la Chambre de recours technique 3.4.2, en date du 17 avril 1997 - T 382/94 - 3.4.2
(Traduction)
Composition de la Chambre :
Président : | E. Turrini |
Membres : | B.J. Schachenmann |
S. Steinbrener | |
R. Zottmann | |
M. Lewenton |
Demandeur : Firma Carl Zeiss et al.
Référence : Documents produits lors du dépôt/CARL ZEISS
Article : 14, 70, 80, 90, 91, 123(2) CBE
Règle : 32(2)j), 39, 43, 67, 88 CBE
Mot-clé :"Attribution d'une date de dépôt" - "Documents produits lors du dépôt" - "Langues de l'OEB" - "Textes figurant dans les dessins" - "Texte d'une demande de brevet européen faisant foi"
Sommaire
I. Pour l'attribution d'une date de dépôt, la Convention n'exige pas que les textes figurant dans les dessins soient rédigés dans la même langue que celle qui a été utilisée dans la description et les revendications, conformément à l'article 14(1) et (2) CBE.
II. Si les dessins ont tous été déposés à la date du dépôt de la demande, ils font partie du contenu de la demande telle qu'elle a été déposée à l'origine, même s'ils contiennent des textes rédigés dans une langue officielle autre que la langue de la procédure. Rien ne s'oppose à ce que la demande soit modifiée sur la base d'une traduction de ces textes dans la langue de la procédure
Exposé des faits et conclusions
I. La demande de brevet européen n° 87 104 961.5 déposée le 3 avril 1987 comportait une description, dix revendications et un abrégé, tous rédigés en langue allemande, ainsi que des dessins (figures 1 à 25). Les figures 18, 19 et 25 de ces dessins contenaient des schémas dits "schémas d'étapes de processus" accompagnés de textes rédigés en anglais. La demande a été publiée sous cette forme le 11 novembre 1987.
II. Par notification en date du 21 avril 1992, l'examinateur chargé de l'instruction a informé pour la première fois la demanderesse (requérante) que, les dessins comportant des textes en anglais, la demande ne remplissait pas les conditions requises à l'article 14(1) CBE, qui prévoit que la demande européenne doit être déposée dans une langue officielle. De surcroît, aux termes de la règle 32(3) CBE, les schémas d'étapes de processus étaient considérés comme des dessins, lesquels ne doivent pas contenir de texte, à l'exception de courtes indications (règle 32(2) j) CBE). La suppression de ces figures était le seul moyen de remédier à cette irrégularité, l'utilisation d'une autre langue officielle dans cette partie de la demande n'étant pas admissible, en vertu de l'article 14(3) CBE.
III. Dans sa réponse en date du 21 août 1992, la requérante a déposé entre autres les figures 18, 19 et 25 modifiées dans lesquelles les textes en anglais avaient été remplacés par de courts mots clés en allemand. La description avait été également complétée sur la base d'une traduction en allemand des textes qui avaient été supprimés dans les dessins. La requérante a prétendu que, nonobstant les dispositions de l'article 14(3) CBE, les textes en anglais figurant dans les dessins faisaient partie de la demande telle qu'elle avait été déposée. Les modifications effectuées n'allaient donc pas à l'encontre de l'article 123(2) CBE.
IV. L'examinateur chargé de l'instruction a, par notification en date du 24 novembre 1992, demandé à la requérante de retirer ces modifications et de supprimer les figures 18, 19 et 25. Les modifications effectuées étaient inadmissibles en vertu de l'article 123(2) CBE, car il ressortait implicitement de l'article 70 CBE que seule la divulgation dans la langue de la procédure faisait partie du contenu de la demande telle qu'elle avait été déposée.
V. Dans deux autres courriers en date du 11 mai et du 3 septembre 1993, de même que lors d'une entrevue avec des membres de la division d'examen, le 3 juin 1993, la requérante a maintenu son point de vue et a demandé qu'on l'autorise à apporter les modifications susmentionnées par le biais de la correction d'erreurs prévue à la règle 88 CBE.
VI. La division d'examen a, par décision du 9 décembre 1993, rejeté la demande en vertu de l'article 97(1) CBE, au motif qu'elle allait à l'encontre des dispositions de l'article 123(2) CBE.
D'après l'exposé des motifs de cette décision, l'application des dispositions essentielles de la CBE régissant la sécurité juridique et la mise en oeuvre des droits de protection par brevet, telles que, par exemple, les articles 2(2), 69, 70 et 123 CBE, est subordonnée à l'application de l'article 14(1) CBE, qui exige impérativement l'utilisation exclusive d'une seule langue de la procédure, obligation qui ressort également des dispositions de l'article 80 CBE. Le non-respect de cette condition avait pour conséquence inévitable que les textes qui ne sont pas rédigés dans la langue de la procédure choisie par le demandeur sont réputés ne pas faire partie des documents de la demande telle qu'elle a été déposée.
Il ne peut notamment être considéré qu'il s'agit d'une irrégularité susceptible d'être corrigée par application de la règle 88 CBE. Le requérant n'a d'ailleurs pas présenté de requête en ce sens.
VII. La requérante a formé un recours contre cette décision le 11 février 1994 et a acquitté la taxe de recours. Elle a requis l'annulation de la décision attaquée et la délivrance d'un brevet sur la base des documents modifiés déposés par courrier en date du 21 août 1992, compte tenu des modifications apportées à la revendication 3 lors de l'entretien du 3 juin 1993.
VIII. Dans son exposé écrit des motifs du recours déposé le 7 avril 1994, la requérante, restant sur ses positions, a fait valoir à ce propos les arguments suivants :
i) dans la décision attaquée, il n'a pas été tenu compte du fait que, dans l'affaire en cause, la description et les revendications ont bien été déposées dans une seule langue officielle, de sorte que la demande satisfait aux conditions requises à l'article 80, ce que l'OEB a d'ailleurs confirmé en accordant à la demande une date de dépôt. Il en résulte que tous les documents déposés initialement font partie de la divulgation.
ii) Par contre, ni l'article 14 CBE, ni l'article 70(1) CBE ne donnent la moindre indication sur ce que doit être le contenu de la divulgation d'une demande à laquelle a été attribuée une date de dépôt. La décision attaquée, qui se fonde sur une interprétation trop étroite de ces dispositions, est par là en contradiction avec la décision J 15/88 (JO OEB 1990, 445), dans laquelle il est constaté que le demandeur a normalement le droit de "déduire l'objet de la demande de n'importe quelle partie de la description, des revendications ou des dessins déposés initialement", toute limitation apportée à ce droit devant être interprétée de manière restrictive.
iii) Les auteurs de la décision attaquée ont méconnu l'importance de la décision J 7/80 (JO OEB 1981, 137), laquelle concernait un cas dans lequel les pièces de la demande avaient été déposées dans deux langues différentes, la description et les revendications ayant été produites en suédois conformément aux dispositions de l'article 14(2) CBE, et la requête en délivrance en anglais. Il avait été décidé à ce propos que les parties de la demande qui n'avaient pas été déposées dans la même langue que celle utilisée dans la description et les revendications, c'est-à-dire en l'occurrence la requête en délivrance, pouvaient être corrigées au titre de la règle 88 CBE. Cette décision était du reste en accord avec les décisions G 3/89 et G 11/91 (JO OEB 1993, 117, 125) de la Grande Chambre de recours. Au demeurant, la demanderesse avait déjà formulé une telle requête en correction au cours de la procédure devant la première instance.
Enfin, la requérante a présenté une requête en remboursement de la taxe de recours.
Motifs de la décision
1. Le recours est recevable.
2. Dans le cas de la demande de brevet européen rejetée, dont les dessins comportaient des textes rédigés dans une langue officielle autre que la langue de la procédure, la question de droit qui se pose est celle de savoir si ces textes font partie du contenu initial de la demande, et s'il existe à cet égard une possibilité de correction. Dans la décision attaquée, cette possibilité avait été exclue.
3. L'article 14 CBE précise dans quelles langues les demandes de brevet européen doivent être déposées : soit une des langues officielles de l'Office européen des brevets (article 14(1) CBE), soit l'une des autres langues autorisées visées à l'article 14(2) CBE. La langue officielle dans laquelle une demande de brevet européen est déposée ou celle dans laquelle elle est traduite, dans le cas visé à l'article 14(2) CBE, est considérée comme la langue de la procédure, en vertu de l'article 14(3) CBE, et en vertu de l'article 70(1) CBE, le texte de la demande ou du brevet rédigé dans la langue de la procédure est le texte qui fait foi dans toutes les procédures devant l'OEB et dans tous les Etats contractants.
4. Il ressort de ces dispositions que la procédure de délivrance du brevet européen est par principe conduite dans une seule langue, à savoir celle des trois langues officielles de l'Office européen des brevets qui a été choisie par le demandeur (cf. J.B. van Benthem, Die Lösung der Sprachenfrage im Europa - Patentübereinkommen I, Mitt. der deutschen Patentanwälte, 1973, 129). Il ne peut toutefois être considéré que ce principe vaut aussi sans restriction pour les pièces de la demande de brevet européen telle qu'elle a été déposée, comme le montre déjà l'article 70(2) CBE qui prévoit que dans le cas où il est utilisé l'une des langues autorisées visées à l'article 14(2) CBE, le texte initial de la demande, qui était rédigé dans une langue non officielle, est pris en considération pour la détermination du contenu de la demande.
La Convention ne comporte pas de disposition analogue à celle de l'article 126 de la loi allemande sur les brevets qui prévoit d'une manière générale que les pièces rédigées dans une langue autre que la langue officielle ne sont pas prises en considération. L'article 14(5) CBE ne prévoit une telle sanction que pour les pièces qui ne sont pas comprises dans les pièces de la demande de brevet européen.
5. Lorsqu'il s'agit de savoir quelles sont les conditions minimales que doivent remplir les pièces de la demande à la date du dépôt, c'est avant tout à l'article 80 CBE qu'il convient de se référer, selon la logique de la Convention (cf. Teschemacher, Münchner Gemeinschaftskommentar, article 83 CBE, annotation n° 6)
Aux termes de l'article 80 d) CBE, pour qu'une date de dépôt puisse être attribuée à la demande, les documents déposés par le demandeur doivent contenir "une description et une ou plusieurs revendications" dans une des langues visées à l'article 14, paragraphes 1 et 2 CBE. La langue à considérer comme langue de la procédure est celle qui a été choisie dans ces parties de la demande (cf. décision J 7/80, JO OEB 1981, 137). Si la demande ne satisfait pas à ces conditions, la date de dépôt est, conformément à l'article 90(2) et à la règle 39 CBE, celle à laquelle il a été remédié dans les délais aux irrégularités qui ont été constatées. Sinon, la demande de brevet n'est pas considérée comme une demande de brevet européen.
Il ne devrait pas en être autrement dans le cas où des parties de la description ou des revendications ne satisfont pas aux conditions requises à l'article 80 d) CBE, du fait par exemple qu'elles sont rédigées dans une autre langue, ce qui n'est toutefois pas le cas en l'occurrence. Dans le cas de la présente demande, la description et les revendications ont été dûment déposées dans une seule langue officielle (l'allemand). Il n'y a donc pas lieu d'examiner plus en détail les questions qui pourraient se poser à ce propos.
6. Par contre, pour l'attribution d'une date de dépôt, la Convention n'exige pas que les textes qui pourraient accompagner les dessins soient rédigés dans une langue visée à l'article 14(1) ou (2) CBE, et il est à noter à ce propos que, selon la règle 32(2) j) CBE, les dessins, dont font partie, aux termes de la règle 32 (3) CBE, les schémas d'étapes de processus, peuvent incontestablement contenir certains textes (cf. Directives relatives à l'examen pratiqué à l'OEB, partie C-II, 5.1).
Si tous les dessins ont été déposés à la date du dépôt de la demande, peu importe pour l'attribution de la date de dépôt que les textes qui accompagnent ces dessins soient rédigés dans une langue autre que la langue de la procédure. Les dispositions spéciales prévues à l'article 91(1) g) et à la règle 43 CBE (fixation d'une nouvelle date de dépôt dans le cas où les dessins ont été déposés tardivement) ne portent que sur la question de savoir si les dessins ont bien été déposés à la date du dépôt de la demande. C'est la raison pour laquelle la section de dépôt avait à juste titre attribué à la demande en cause une date de dépôt fixée au 3 avril 1987.
7. De par sa nature même, la date de dépôt attribuée à une demande est une date qui vaut forcément pour toutes les pièces de la demande qui ont été déposées conformément à l'article 80 CBE. La Convention ne contient aucune disposition prévoyant qu'il pourrait n'être accordé une date de dépôt que pour une partie seulement de ces pièces. De même, selon l'article 123(2) CBE, les parties de la demande concernant la divulgation (à savoir, la description, les revendications et les dessins) ne peuvent faire l'objet de modifications ou de corrections que dans les limites de "ce que l'homme du métier est en mesure de déduire (..) de l'ensemble de ces documents tels qu'ils ont été déposés..." (décision G 3/89, point 3 des motifs (JO OEB 1993, 117)).
Il ne paraît par conséquent pas conforme à l'esprit de la Convention de décider que, bien qu'il ait été attribué une date de dépôt à la demande, certaines parties de la description, des revendications ou des dessins qui avaient bien été déposées à cette date de dépôt ne peuvent être considérées comme des pièces de la demande telle qu'elle a été déposée. La description, les revendications et, le cas échéant, les dessins compris dans les pièces de la demande déterminent le contenu de la demande telle qu'elle a été déposée (décision G 2/95, point 4 des motifs (JO OEB 1996, 555)).
8. Dans la présente affaire, il est incontestable que les schémas d'étapes de processus qui ont été déposés accompagnés de textes en anglais constituent des dessins au sens de la Convention, et cela non seulement parce qu'ils ont été dénommés "figures", mais aussi, entre autres, parce que les schémas d'étapes de processus sont considérés comme des dessins, aux termes du règlement d'exécution (règle 32(3) CBE).
La Chambre en conclut donc, pour les motifs indiqués aux points 4 à 7, que les figures 18, 19 et 25 déposées à la date de dépôt de la demande font intégralement partie du texte initial de la présente demande. Rien ne s'oppose par conséquent à ce que la demande soit modifiée sur la base d'une traduction dans la langue de la procédure des textes en anglais contenus dans les figures. En particulier, il ne peut être considéré qu'une telle modification va à l'encontre de l'article 123(2) CBE. Il n'y a pas lieu dans la présente procédure d'examiner dans quelle mesure les textes traduits figurant dans les dessins peuvent être maintenus dans les dessins ou doivent être insérés dans la description ; la règle 32(2)j) CBE doit permettre de répondre à cette question.
9. La division d'examen avait rejeté la demande en faisant valoir pour seul motif qu'il était contraire à l'article 123(2) CBE d'introduire dans la description et les dessins la traduction en allemand des textes en anglais figurant dans les dessins. Jusqu'à présent, la division d'examen n'a pas encore émis d'avis ni pris de décision définitive en ce qui concerne le respect des autres conditions requises dans la Convention. La Chambre, usant du pouvoir que lui confère l'article 111 CBE, renvoie par conséquent l'affaire à la division d'examen pour suite à donner.
Le renvoi de l'affaire devant la division d'examen ne faisant pas grief à la requérante, il n'y avait pas lieu de tenir une procédure orale (cf. décisions T 166/91, T 924/91).
10. L'on ne peut trouver dans les décisions des chambres de recours qu'a citées la requérante au cours de la procédure d'examen une réponse directe à la question de droit sur laquelle il est statué ici. La division d'examen a appliqué et interprété les dispositions pertinentes de la Convention dans le cadre de son pouvoir d'appréciation, et il ne saurait être considéré qu'il y a eu vice de procédure. Par conséquent, le remboursement de la taxe de recours ne peut être accordé, les conditions requises à cet égard par la règle 67 CBE n'étant pas remplies.
Dispositif
Par ces motifs, il est statué comme suit :
1. La décision attaquée est annulée.
2. L'affaire est renvoyée devant la division d'examen pour suite à donner.
3. La requête en remboursement de la taxe de recours est rejetée.