T 1286/22 (LIPOFABRIK / LIPOPETIDES STIMULANTS CROISSANCE DES PLANTES) 05-11-2024
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COMPOSITION BIOSTIMULANTE DE LA CROISSANCE DES PLANTES CONTENANT DES LIPOPEPTIDES
Activité inventive - requête principale (non)
Réponse - référence à des requêtes subsidiaires (non)
Requêtes subsidiaires faites valoir pour la première fois lors de la procédure orale - circonstances exceptionnelles (non) - admises (non)
Renvoi à la division d'opposition pour considération des requêtes subsidiaires (non)
I. Le recours de l'opposante ("requérante") porte sur la décision intermédiaire de la division d'opposition, selon laquelle le brevet européen EP 3 422 858 ("le brevet") sous sa forme modifiée selon la requête subsidiaire 1 comportant le jeu de revendications 1 à 8, déposée au cours de la procédure orale, et l'invention qui en fait l'objet, satisfont aux exigences de la CBE.
II. La revendication 1 de la requête subsidiaire 1 déposée au cours de la procédure orale devant la division d'opposition s'énonce comme suit:
"1. Utilisation d'au moins un lipopeptide choisi parmi la mojavensine, la mycosubtiline, les bacillomycines A, B, C, D, F et L, la lichenysine, la pumilacidine, les fengycines A et B, les plipastatines A et B, ou l'agrastatine pour stimuler la croissance des plantes."
III. L'opposition a été fondée sur les motifs visés à l'article 100a) à c) CBE. En particulier, le document suivant a été cité au cours de la procédure d'opposition :
D3 : WO 2016/109395 A1
IV. La division d'opposition est arrivée notamment à la conclusion suivante sur la requête subsidiaire 1 :
- L'objet de la revendication 1 de la requête subsidiaire 1 impliquait une activité inventive au vu du document D3 considéré comme l'état de la technique le plus proche.
V. Dans son mémoire exposant les motifs du recours, la requérante a contesté la décision de la division d'opposition et a avancé en particulier que l'objet revendiqué n'impliquait pas d'activité inventive au vu du document D3 considéré comme l'état de la technique le plus proche.
VI. Dans sa réponse au recours, la titulaire ("intimée") a répondu aux arguments de la requérante et a avancé qu'aucune des objections soulevées par la requérante ne s'opposait au maintien du brevet dans sa forme modifiée telle qu'acceptée par la division d'opposition.
VII. Aux fins de la préparation de la procédure orale requise par les parties, la chambre a envoyé une notification selon l'article 15(1) RPCR. Dans cette notification, la chambre a exprimé, entre autres, l'avis préliminaire selon lequel l'objet de la revendication 1 de la requête subsidiaire 1 acceptée par la division d'opposition n'impliquait pas d'activité inventive au vu du document D3 considéré comme l'état de la technique le plus proche.
VIII. La procédure orale a eu lieu par visioconférence le 5 novembre 2024 en présence des deux parties. Pendant la procédure orale, l'intimée a demandé d'admettre dans la procédure de recours les requêtes subsidiaires 3 à 5 telles que déposées par courrier daté du 1er décembre 2021 et de renvoyer l'affaire à la division d'opposition pour considérer ces requêtes subsidiaires.
IX. Requêtes
Les requêtes des parties qui sont pertinentes pour la présente décision ont été formulées comme suit :
La requérante a demandé l'annulation de la décision attaquée et la révocation du brevet dans sa totalité. Elle a aussi demandé que les requêtes subsidiaires 3 à 5 telles que déposées par courrier daté du 1er décembre 2021 ne soient pas admises dans la procédure de recours.
L'intimée a demandé que le recours soit rejeté et que le brevet soit maintenu sous la forme modifiée telle qu'acceptée par la division d'opposition, c'est-à-dire sur la base des revendications de la requête subsidiaire 1 telle que déposée au cours de la procédure orale devant la division d'opposition (requête principale dans la procédure de recours). De façon subsidiaire, l'intimée a demandé l'admission dans la procédure de recours des requêtes subsidiaires 3 à 5 telles que déposées par courrier daté du 1er décembre 2021 et de renvoyer l'affaire à la division d'opposition pour considérer ces requêtes subsidiaires.
X. Les moyens invoqués par les parties, dans la mesure où ils sont pertinents pour la présente décision, sont indiqués ci-dessous dans les motifs de la décision.
Requête principale (requête subsidiaire 1 considérée par la division d'opposition en conformité avec les dispositions de la CBE) - revendication 1 - activité inventive selon l'article 56 CBE
1. L'état de la technique le plus proche
1.1 La requérante a avancé que le document D3 pouvait représenter l'état de la technique le plus proche. Ce choix n'a pas été contesté par l'intimée.
1.2 Le document D3 (page 1, lignes 10 à 13) concerne l'utilisation de la souche isolée de Bacillus amyloliquefaciens RTI301 pour stimuler la croissance des plantes. En particulier, D3 divulgue (page 5, ligne 14, à page 6, ligne 13 ; page 38, lignes 1 à 22 ; page 64, ligne 1 à page 67, ligne 28, exemples 3, 13, 15 et 16, tableau XIII) une composition de fengycines et dehydrofengycines isolées à partir d'une culture de ladite souche de Bacillus amyloliquefaciens pour stimuler la croissance des plantes.
2. Caractéristiques distinctives
2.1 L'intimée a fait valoir que le document D3 concernait l'utilisation comme agent antifongique d'une nouvelle souche de Bacillus amyloliquefaciens comprenant des nouvelles fengycines. Même si un effet stimulant sur la croissance des plantes était également montré dans D3, les conditions dans lesquelles les exemples de D3 avaient été réalisés ne permettaient pas d'exclure une contamination par des pathogènes. Contrairement aux exemples du brevet, il n'était donc pas possible d'exclure une contribution d'un effet antifongique dans l'amélioration de la croissance des plantes. De plus, les fengycines divulguées dans D3 n'avaient pas été purifiées. Il ne pouvait donc pas être exclu que l'effet stimulant montré dans D3 soit dû à d'autres composants des compositions testées. Même en admettant que les fengycines A et B telles que mentionnées dans la revendication 1 de la requête principale soient aussi incluses dans les compositions de D3 au vu de la divulgation du tableau XIII à page 66, ces fengycines n'avaient pas été utilisées dans une forme purifiée. Leur effet stimulant sur la croissance des plantes n'avait donc pas été validé. L'intimée a donc conclu que l'objet de la revendication 1 de la requête principale différait de l'enseignement de D3 par les lipopeptides mentionnés dans la revendication et par le fait que ces lipopeptides étaient utilisés comme stimulants de la croissance des plantes indépendamment d'un effet antifongique.
2.2 Ces arguments ne sont pas convaincants.
2.2.1 La revendication 1 de la requête principale (point II ci-dessus) définit l'utilisation "d'au moins un lipopeptide" choisi en particulier parmi les fengycines A et B, pour stimuler la croissance des plantes. La chambre partage l'avis de la requérante qu'une telle formulation ne limite pas l'utilisation revendiquée aux lipopeptides mentionnés sous forme purifiée. En effet, aucune pureté des lipopeptides à utiliser n'est spécifiée dans la revendication 1 de la requête principale. En d'autre termes, la présence d'autres composés utilisés en combinaison avec les lipopeptides mentionnés, notamment les fengycines A et B, pour stimuler la croissance des plantes n'est pas exclue de la porté de la revendication 1.
2.2.2 Comme il a été soumis par la requérante, D3 divulgue (page 38, lignes 1 à 21) l'utilisation d'une composition comprenant une ou plusieurs des fengycines mentionnées dans le tableau XIII (page 66 de D3) isolées de la souche de Bacillus amyloliquefaciens RTI301 pour stimuler la croissance des plantes. Comme il a été observé par la requérante, ledit tableau XIII mentionne, entre autres, les fengycines A et B, c'est-à-dire les deux fengycines mentionnées dans la revendication 1 de la requête principale.
2.2.3 De plus, la chambre partage l'avis de la requérante selon lequel l'effet stimulant sur la croissance des plantes de ladite souche de Bacillus amyloliquefaciens RTI301, incluant donc lesdites fengycines A et B, a été montré dans les exemples 3 (pages 44 et 45) et 13 (pages 61 et 62) de D3.
2.3 A la lumière de cette divulgation de D3, aucune caractéristique distinctive n'est présente entre l'objet de la revendication 1 de la requête principale et ladite divulgation de D3.
2.4 La division d'opposition a expliqué dans la décision contestée (paragraphe qui s'étend sur les pages 14 et 15) que D3 divulguait à la page 38 l'utilisation d'une composition comprenant au moins une fengycine MA isolée, une fengycine MB isolée, une fengycine MC isolée, une dehydroxyfengycine MA isolée, une dehydroxyfengycine MB isolée, une dehydroxyfengycine MC isolée, une fengycine H isolée, une dehydroxyfengycine H isolée, une fengycine I isolée et une dehydroxyfengycine I isolée, pour stimuler la croissance des plantes. La division d'opposition a donc conclu que les fengycines revendiquées étaient différentes de celles utilisées dans D3.
Cependant, pour les motifs expliqués ci-dessus, la chambre ne partage pas le raisonnement de la division d'opposition.
3. Le problème technique objectif et l'évidence de la solution revendiquée
3.1 L'intimée a fait valoir que le problème technique objectif dérivant des caractéristiques distinctives de la revendication 1 de la requête principale consistait à mettre à disposition une nouvelle biomolécule pouvant être utilisée comme agent biostimulant direct indépendamment d'un effet antifongique.
3.2 Cependant, pour les raisons mentionnées ci-dessus, aucune caractéristique distinctive n'existe entre l'objet de la revendication 1 de la requête principale et la divulgation du document D3.
3.3 En l'absence de caractéristiques distinctives, il n'y a aucun problème technique objectif à résoudre et aucune activité inventive ne peut être reconnue pour l'objet de la revendication 1 de la requête principale (article 56 CBE).
4. Il s'ensuit que la requête principale n'est pas fondée.
Requêtes subsidiaires 3 à 5 - admission dans la procédure de recours - article 12(3) et (5) et article 13(2) RPCR - renvoi à la division d'opposition selon l'article 111(1) CBE
5. Au cours de la procédure orale devant la chambre, l'intimée, après avoir entendu les conclusions de la chambre quant à la requête principale, a demandé d'admettre dans la procédure de recours les requêtes subsidiaires 3 à 5 telles que déposées devant la division d'opposition par courrier daté du 1er décembre 2021. Elle a également demandé de renvoyer l'affaire à la division d'opposition pour considérer ces requêtes subsidiaires.
5.1 La requérante a observé que la réponse au recours ne contenait aucune référence auxdites requêtes subsidiaires 3 à 5 et a requis que les requêtes subsidiaires 3 à 5 ne soient pas admises.
5.2 Selon l'article 12(3) RPCR, la réponse au recours doit contenir l'ensemble des moyens invoqués par l'intimée dans le cadre du recours. En particulier, elle doit exposer expressément et de façon précise l'ensemble des requêtes qui sont invoquées. Il n'a pas été contesté par l'intimée que sa réponse au recours ne contenait aucune référence aux requêtes subsidiaires 3 à 5 telles que déposées devant la division d'opposition par courrier daté du 1er décembre 2021, l'admission desquelles a été requise.
5.3 Selon l'article 12(5) RPCR, la chambre peut notamment, dans l'exercice de son pouvoir d'appréciation, ne pas admettre des requêtes soumises par une partie dans la mesure où elles ne satisfont pas auxdites exigences prévues au paragraphe 3. De plus, selon l'article 13(2) RPCR (entré en vigueur le 1er janvier 2024), toute modification des moyens présentée par une partie après la signification d'une notification au titre de l'article 15(1) RPCR n'est, en principe, pas prise en compte, sauf en cas de circonstances exceptionnelles, que la partie concernée a justifiées avec des raisons convaincantes.
5.4 L'intimée a fait référence au procès-verbal de la procédure orale devant la division d'opposition, mentionnant au point 7.1 à la page 10, que lesdites requêtes subsidiaires 3 à 5 avaient été maintenues. Elle a avancé qu'il n'avait jamais été question d'abandonner ces requêtes subsidiaires. Comme la décision contestée ne concernait que la requête principale, l'intimée était convaincue que si la chambre trouvait la requête principale non fondée, la procédure aurait dû automatiquement continuer sur la base des requêtes subsidiaires déposées devant la division d'opposition. Si la position de la chambre était telle que les requêtes subsidiaires auraient dues être présentées dans la procédure de recours, le fait de n'avoir pas fait référence aux requêtes subsidiaires dans la procédure de recours et qu'une requête en renvoi n'ait pas été faite, était une erreur d'appréciation, de bonne foi, de la position que pourrait prendre la chambre. Cette position de la chambre n'avait été découverte que pendant la procédure orale. Cela représentait une circonstance exceptionnelle.
5.5 Cependant, si l'article 12(1)a) RPCR prévoit que la procédure de recours se fonde, entre autres, sur les procès-verbaux de toute procédure orale devant la division d'opposition, cette disposition ne signifie pas que tout ce qui a été mentionné par l'intimée selon le procès-verbal de la procédure orale devant la division d'opposition, notamment le maintient des requêtes subsidiaires 3 à 5, fait automatiquement parties des moyens invoqués par l'intimée dans le cadre du recours.
5.6 En effet, selon l'article 113(2) CBE et en vertu du principe selon lequel les parties disposent de l'instance, la chambre ne peut prendre de décision sur le brevet que dans le texte proposé par le titulaire du brevet. L'intimée aurait donc dû faire valoir lesdites requêtes subsidiaires 3 à 5 et expliquer pourquoi elles surmontent les objections soulevées à l'encontre de la requête principale dans sa réponse au recours conformément aux dispositions de l'article 12(3) RPCR.
5.7 Aucune des soumissions écrites faites par l'intimée pendant la procédure de recours a fait référence aux requêtes subsidiaires 3 à 5. Le fait de faire valoir ces requêtes subsidiaires pendant la procédure orale constitue donc une modification des moyens invoqués par l'intimée aux termes de l'article 13(2) RPCR. La chambre n'a pu reconnaître aucune circonstance exceptionnelle justifiant l'admission de cette modification des moyens invoqués par l'intimée à un stade si tardif de la procédure de recours. En effet, le respect du règlement de procédure des chambres de recours, notamment des dispositions de l'article 12(3) RPCR, relève des responsabilités des parties.
5.8 Pour ces raisons la chambre a décidé de ne pas admettre les requêtes subsidiaires 3 à 5 telles que déposées devant la division d'opposition avec courrier du 1er décembre 2021 en vertu des dispositions de l'article 12(5) RPCR et de l'article 13(2) RPCR.
5.9 Par conséquent, la requête de l'intimée de renvoyer l'affaire à la division d'opposition pour considérer ces requêtes subsidiaires a également été rejetée.
Conclusions
6. Il est fait droit au recours car aucune des requêtes de l'intimée n'a pu être acceptée.
Par ces motifs, il est statué comme suit
1. La décision contestée est annulée.
2. Le brevet est révoqué.